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jeunesse de cœur ; enfants presque par leur âge, se trouvèrent, par suite d’étranges événements, jetés dans la société l’un de l’autre, il y a plus de dix-huit ans. Ils étaient de sexes différents ; ils s’aimèrent, et ils faillirent. Mais la faute en fut uniquement au jeune homme ; car ce qui était innocence chez elle n’était que passion chez lui. Il l’aima tendrement ; mais à cet âge les qualités de la jeune fille n’étaient qu’à demi développées. Il savait qu’elle était belle, qu’elle était simple, qu’elle était aimante ; mais il ne connaissait pas toute la vertu, toute la foi, toute la noblesse que le ciel avait mises dans son âme. Ils furent séparés ; chacun d’eux ignora le sort de l’autre. Il la chercha longtemps avec anxiété, mais en vain ; le chagrin et le remords le consumèrent bien des années, et le souvenir de sa bien-aimée jeta une ombre sur toute son existence. Mais son amour n’avait pas la sainte exaltation de celui de son amante (elle resta fidèle, elle !), et plus tard il chercha à retrouver, auprès d’autres femmes, le bonheur qu’il avait perdu en la perdant. Ce fut en vain, bien longtemps en vain. Alice, vous savez à qui cette histoire fait allusion. Non, ne m’interrompez point ! j’ai appris par le vieillard qui demeure ici près, que vous aviez été, il y a bien des années, témoin d’une scène qui vous trompa, en vous faisant croire que vous aviez devant les yeux une rivale. Il n’en était rien : cette dame vit encore ; maintenant, comme alors, elle n’est que mon amie, rien de plus. Je reconnais que, pendant un moment, mon imagination m’attira vers elle, mais mon cœur te resta fidèle.

— Que le ciel vous récompense de cette parole ! » murmura Alice, et elle se rapprocha davantage de lui.

Il continua :

« Des circonstances, que je vous raconterai dans un moment plus calme, faillirent unir, une fois encore, mon sort à une autre femme, par les liens du mariage. Je vous avais alors vue de loin, sans que vous me vissiez ; je vous avais vue, selon toute apparence environnée de considération et d’opulence ; et je bénis le ciel de ne vous avoir pas condamnée à la pénurie et au besoin. (Ici Maltravers raconta en quelles circonstances il avait entrevu Alice[1], et comment il avait recommencé à la chercher partout, mais en vain.) Dès

  1. Voy. Ernest Maltravers, 1re partie, liv. v, p. 230 et 231.