Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome VI.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vivre longtemps et quelquefois autant que ceux qui ne sont pas atteints de cette maladie ; je crois néanmoins qu’on pourrait les guérir tous en leur faisant une petite blessure aux pattes, car c’est ainsi que l’on guérit les perroquets de l’épilepsie.

Que de maux à la suite de l’esclavage ! Ces oiseaux en liberté seraient-ils asthmatiques, galeux, épileptiques, auraient-ils des inflammations, des abcès, des chancres ? et la plus triste des maladies, celle qui a pour cause l’amour non satisfait, n’est-elle pas commune à tous les êtres captifs ? les femelles surtout, plus profondément tendres, plus délicatement susceptibles, y sont plus sujettes que les mâles. On a remarqué[1] qu’assez souvent la serine tombe malade au commencement du printemps : avant qu’on l’ait appariée, elle se dessèche, languit et meurt en peu de jours. Les émotions vaines et les désirs vides sont la cause de la langueur qui la saisit subitement lorsqu’elle entend plusieurs mâles chanter à ses côtés, et qu’elle ne peut s’approcher d’aucun. Le mâle, quoique premier moteur du désir, quoique plus ardent en apparence, résiste mieux que la femelle au mal du célibat ; il meurt rarement de privation, mais fréquemment d’excès.

Au reste, le physique du tempérament dans la serine est le même que dans les femelles des autres oiseaux ; elle peut, comme les poules, produire des œufs sans communication avec le mâle. L’œuf en lui-même, comme nous l’avons dit, n’est qu’une matrice[2] que l’oiseau femelle jette au dehors ; cette matrice demeure inféconde si elle n’a pas auparavant été imprégnée de la semence du mâle, et la chaleur de l’incubation corrompt l’œuf au lieu de le vivifier. On a de plus observé, dans les femelles privées de mâles, qu’elles ne font que rarement des œufs, si elles sont absolument séquestrées, c’est-à-dire si elles ne peuvent les voir ni les entendre ; qu’elles en font plus souvent et en plus grand nombre lorsqu’elles sont à portée d’être excitées par l’oreille ou la vue, c’est-à-dire par la présence du mâle ou par son chant, tant les objets, même de loin, émeuvent les puissances dans tous les êtres sensibles ! tant le feu de l’amour a de routes pour se communiquer[3] !

Nous ne pouvons mieux terminer cette histoire des serins que par l’extrait d’une lettre de M. Daines Barrington, vice-président de la Société royale, sur le chant des oiseaux, à M. Maty.

  1. Traité des serins de Canarie, p. 231 et 232.
  2. Voyez, dans le premier volume de cette Histoire naturelle, le chapitre cinquième où il est traité de la formation et du développement des œufs.
  3. Nous ajouterons ici deux petits faits dont nous avons été témoins. Une femelle chantait si bien qu’on la prit pour un mâle, et on l’avait appariée avec une autre femelle : mieux reconnue on lui donna un mâle qui lui apprit les véritables fonctions de son sexe ; elle pondit et ne chanta plus. L’autre fait est celui d’une femelle actuellement vivante, qui chante ou plutôt qui siffle un air, quoiqu’elle ait pondu deux œufs dans sa cage, qui se sont trouvés clairs comme tous les œufs que les oiseaux femelles produisent sans la communication du mâle.