Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des animaux/Chapitre V

CHAPITRE V

EXPOSITION DES SYSTÈMES SUR LA GÉNÉRATION

Platon, dans le Timée, explique non seulement la génération de l’homme, des animaux, des plantes, des éléments, mais même celle du ciel et des dieux, par des simulacres réfléchis et par des images extraites de la Divinité créatrice, lesquelles, par un mouvement harmonique, se sont arrangées selon les propriétés des nombres dans l’ordre le plus parfait. L’univers, selon lui, est un exemplaire de la Divinité ; le temps, l’espace, le mouvement, la matière sont des images de ses attributs ; les causes secondes et particulières sont des dépendances des qualités numériques et harmoniques de ces simulacres. Le monde est l’animal par excellence, l’être animé le plus parfait ; pour avoir la perfection complète, il était nécessaire qu’il contînt tous les autres animaux, c’est-à-dire toutes les représentations possibles et toutes les formes imaginables de la faculté créatrice : nous sommes l’une de ces formes. L’essence de toute génération consiste dans l’unité d’harmonie du nombre trois, ou du triangle : celui qui engendre, celui dans lequel on engendre et celui qui est engendré. La succession des individus dans les espèces n’est qu’une image fugitive de l’éternité immuable de cette harmonie triangulaire, prototype universel de toutes les existences et de toutes les générations ; c’est pour cela qu’il a fallu deux individus pour en produire un troisième, c’est là ce qui constitue l’ordre essentiel du père et de la mère et la relation du fils.

Ce philosophe est un peintre d’idées ; c’est une âme qui, dégagée de la matière, s’élève dans le pays des abstractions, perd de vue les objets sensibles, n’aperçoit, ne contemple et ne rend que l’intellectuel. Une seule cause, un seul but, un seul moyen, font le corps entier de ses perceptions : Dieu comme cause, la perfection comme but, les représentations harmoniques comme moyens. Quelle idée plus sublime ! quel plan de philosophie plus simple ! quelles vues plus nobles ! mais quel vide ! quel désert de spéculations ! Nous ne sommes pas, en effet, de pures intelligences, nous n’avons pas la puissance de donner une existence réelle aux objets dont notre âme est remplie ; liés à la matière, ou plutôt dépendants de ce qui cause nos sensations, le réel ne sera jamais produit par l’abstrait. Je réponds à Platon dans sa langue : « Le Créateur réalise tout ce qu’il conçoit, ses perceptions engendrent l’existence ; l’être créé n’aperçoit au contraire qu’en retranchant à la réalité, et le néant est la production de ses idées. »

Rabaissons-nous donc sans regret à une philosophie plus matérielle, et, en nous tenant dans la sphère où la nature semble nous avoir confinés, examinons les démarches téméraires et le vol rapide de ces esprits qui veulent en sortir. Toute cette philosophie pythagoricienne, purement intellectuelle, ne roule que sur deux principes, dont l’un est faux et l’autre précaire ; ces deux principes sont la puissance réelle des abstractions, et l’existence actuelle des causes finales. Prendre les nombres pour des êtres réels, dire que l’unité numérique est un individu général, qui non seulement représente en effet tous les individus, mais même qui peut leur communiquer l’existence, prétendre que cette unité numérique a de plus l’exercice actuel de la puissance d’engendrer réellement une autre unité numérique à peu près semblable à elle-même, constituer par là deux individus, deux côtés d’un triangle, qui ne peuvent avoir de lien et de perfection que par le troisième côté de ce triangle, par un troisième individu qu’ils engendrent nécessairement ; regarder les nombres, les lignes géométriques, les abstractions métaphysiques, comme des causes efficientes, réelles et physiques, en faire dépendre la formation des éléments, la génération des animaux et des plantes et tous les phénomènes de la nature, me paraît être le plus grand abus qu’on pût faire de la raison et le plus grand obstacle qu’on pût mettre à l’avancement de nos connaissances. D’ailleurs, quoi de plus faux que de pareilles suppositions ? J’accorderai, si l’on veut, au divin Platon et au presque divin Malebranche (car Platon l’eût regardé comme son simulacre en philosophie) que la matière n’existe pas réellement, que les objets extérieurs ne sont que des effigies idéales de la faculté créatrice, que nous voyons tout en Dieu : en peut-il résulter que nos idées soient du même ordre que celles du Créateur, qu’elles puissent en effet produire des existences ? Ne sommes-nous pas dépendants de nos sensations ? Que les objets qui les causent soient réels ou non, que cette cause de nos sensations existe au dehors ou au dedans de nous, que ce soit dans Dieu ou dans la matière que nous voyons tout, que nous importe ? en sommes-nous moins sûrs d’être affectés toujours de la même façon par de certaines causes, et toujours d’une autre façon par d’autres ? Les rapports de nos sensations n’ont-ils pas une suite, un ordre d’existence et un fondement de relation nécessaire entre eux ? C’est donc cela qui doit constituer les principes de nos connaissances, c’est là l’objet de notre philosophie, et tout ce qui ne se rapporte point à cet objet sensible est vain, inutile et faux dans l’application. La supposition d’une harmonie triangulaire peut-elle faire la substance des éléments ? la forme du feu est-elle, comme le dit Platon, un triangle aigu, et la lumière et la chaleur des propriétés de ce triangle ? L’air et l’eau sont-ils des triangles rectangles et équilatéraux ? et la forme de l’élément terrestre est-elle un carré, parce qu’étant le moins parfait des quatre éléments, il s’éloigne du triangle autant qu’il est possible, sans cependant en perdre l’essence ? Le père et la mère n’engendrent-ils un enfant que pour terminer un triangle ? Ces idées platoniciennes, grandes au premier coup d’œil, ont deux aspects bien différents : dans la spéculation elles semblent partir de principes nobles et sublimes, dans l’application elles ne peuvent arriver qu’à des conséquences fausses et puériles.

Est-il bien difficile, en effet, de voir que nos idées ne viennent que par les sens[NdÉ 1], que les choses que nous regardons comme réelles et comme existantes sont celles dont nos sens nous ont toujours rendu le même témoignage dans toutes les occasions, que celles que nous prenons pour certaines sont celles qui arrivent et qui se présentent toujours de la même façon ; que cette façon dont elles se présentent ne dépend pas de nous, non plus que la forme sous laquelle elles se présentent ; que par conséquent nos idées, bien loin de pouvoir être les causes des choses, n’en sont que les effets, et des effets très particuliers, des effets d’autant moins semblables à la chose particulière, que nous les généralisons davantage ; qu’enfin nos abstractions mentales ne sont que des êtres négatifs, qui n’existent, même intellectuellement, que par le retranchement que nous faisons des qualités sensibles aux êtres réels ?

Dès lors, ne voit-on pas que les abstractions ne peuvent jamais devenir des principes ni d’existence ni de connaissances réelles, qu’au contraire ces connaissances ne peuvent venir que des résultats de nos sensations comparés, ordonnés et suivis, que ces résultats sont ce qu’on appelle l’expérience, source unique de toute science réelle, que l’emploi de tout autre principe est un abus, et que tout édifice bâti sur des idées abstraites est un temple élevé à l’erreur ?

Le faux porte en philosophie une signification bien plus étendue qu’en morale. Dans la morale, une chose est fausse uniquement parce qu’elle n’est pas de la façon dont on la représente ; le faux métaphysique consiste non seulement à n’être pas de la façon dont on le représente, mais même à ne pouvoir être d’une façon quelconque ; c’est dans cette espèce d’erreur du premier ordre que sont tombés les platoniciens, les sceptiques et les égoïstes, chacun selon les objets qu’ils ont considérés : aussi les fausses suppositions ont-elles obscurci la lumière naturelle de la vérité, offusqué la raison et retardé l’avancement de la philosophie.

Le second principe employé par Platon et par la plupart des spéculatifs que je viens de citer, principe même adopté du vulgaire et de quelques philosophes modernes, sont les causes finales : cependant, pour réduire ce principe à sa juste valeur, il ne faut qu’un moment de réflexion ; dire qu’il y a de la lumière parce que nous avons des yeux, qu’il y a des sons parce que nous avons des oreilles, ou dire que nous avons des oreilles et des yeux parce qu’il y a de la lumière et des sons, n’est-ce pas dire même chose, ou plutôt que dit-on ? Trouvera-t-on jamais rien par cette voie d’explication ? ne voit-on pas que ces causes finales ne sont que des rapports arbitraires et des abstractions morales, lesquelles devraient encore imposer moins que les abstractions métaphysiques ? Car leur origine est moins noble et plus mal imaginée ; et, quoique Leibniz les ait élevées au plus haut point sous le nom de raison suffisante, et que Platon les ait représentées par le portrait le plus flatteur sous le nom de la perfection, cela ne peut pas leur faire perdre à nos yeux ce qu’elles ont de petit et de précaire : en connaît-on mieux la nature et ses effets quand on sait que rien ne se fait sans une raison suffisante, ou que tout se fait en vue de la perfection ? Qu’est-ce que la raison suffisante ? Qu’est-ce que la perfection ? Ne sont-ce pas des êtres moraux créés par des vues purement humaines ? Ne sont-ce pas des rapports arbitraires que nous avons généralisés ? Sur quoi sont-ils fondés ? Sur des convenances morales, lesquelles, bien loin de pouvoir rien produire de physique et de réel, ne peuvent qu’altérer la réalité et confondre les objets de nos sensations, de nos perceptions et de nos connaissances avec ceux de nos sentiments, de nos passions et de nos volontés.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce sujet, aussi bien que sur celui des abstractions métaphysiques ; mais je ne prétends pas faire ici un traité de philosophie, et je reviens à la physique que les idées de Platon sur la génération universelle m’avaient fait oublier. Aristote, aussi grand philosophe que Platon, et bien meilleur physicien, au lieu de se perdre comme lui dans la région des hypothèses, s’appuie au contraire sur des observations, rassemble des faits et parle une langue plus intelligible : la matière, qui n’est qu’une capacité de recevoir les formes, prend dans la génération une forme semblable à celle des individus qui la fournissent ; et à l’égard de la génération particulière des animaux qui ont des sexes, son sentiment est que le mâle fournit seul le principe prolifique, et que la femelle ne donne rien qu’on puisse regarder comme tel. (Voyez Arist. De gen., lib. I, cap. xx, et lib. II, cap. iv.) Car, quoiqu’il dise ailleurs, en parlant des animaux en général, que la femelle répand une liqueur séminale au dedans de soi-même, il paraît qu’il ne regarde pas cette liqueur séminale comme un principe prolifique, et cependant, selon lui, la femelle fournit toute la matière nécessaire à la génération ; cette matière est le sang menstruel qui sert à la formation, au développement et à la nourriture du fœtus, mais le principe efficient existe seulement dans la liqueur séminale du mâle, laquelle n’agit pas comme matière, mais comme cause. Averroès, Avicenne et plusieurs autres philosophes qui ont suivi le sentiment d’Aristote, ont cherché des raisons pour prouver que les femelles n’avaient point de liqueur prolifique ; ils ont dit que, comme les femelles avaient la liqueur menstruelle, et que cette liqueur était nécessaire et suffisante à la génération, il ne paraissait pas naturel de leur en accorder une autre, et qu’on pouvait penser que ce sang menstruel est en effet la seule liqueur fournie par les femelles pour la génération, puisqu’elle commençait à paraître dans le temps de la puberté, comme la liqueur séminale du mâle commence aussi à paraître dans ce temps : d’ailleurs, disent-ils, si la femelle a réellement une liqueur séminale et prolifique, comme celle du mâle, pourquoi les femelles ne produisent-elles pas d’elles-mêmes et sans l’approche du mâle, puisqu’elles contiennent le principe prolifique aussi bien que la matière nécessaire pour la nourriture et pour le développement de l’embryon ? Cette dernière raison me semble être la seule qui mérite quelque attention. Le sang menstruel paraît être en effet nécessaire à l’accomplissement de la génération, c’est-à-dire à l’entretien, à la nourriture et au développement du fœtus, mais il peut bien n’avoir aucune part à la première formation qui doit se faire par le mélange de deux liqueurs également prolifiques ; les femelles peuvent donc avoir, comme les mâles, une liqueur séminale prolifique pour la formation de l’embryon, et elles auront de plus ce sang menstruel pour la nourriture et le développement du fœtus ; mais il est vrai qu’on serait assez porté à imaginer que la femelle ayant en effet une liqueur séminale qui est un extrait, comme nous l’avons dit, de toutes les parties de son corps, et ayant de plus tous les moyens nécessaires pour le développement, elle devrait produire d’elle-même des femelles sans communication avec le mâle ; il faut même avouer que cette raison métaphysique, que donnent les aristotéliciens pour prouver que les femelles n’ont point de liqueur prolifique, peut devenir l’objection la plus considérable qu’on puisse faire contre tous les systèmes de la génération, et en particulier contre notre explication : voici cette objection.

Supposons, me dira-t-on, comme vous croyez l’avoir prouvé, que ce soit le superflu des molécules organiques semblables à chaque partie du corps, qui, ne pouvant plus être admis dans ces parties pour les développer, en est renvoyé dans les testicules et les vésicules séminales du mâle ; pourquoi, par les forces d’affinité que vous avez supposées, ne forment-elles pas là de petits êtres organisés semblables en tout au mâle ? Et de même, pourquoi les molécules organiques, renvoyées de toutes les parties du corps de la femelle dans les testicules ou dans la matrice de la femelle, ne forment-elles pas aussi des corps organisés semblables en tout à la femelle ? Et si vous me répondez qu’il y a apparence que les liqueurs séminales du mâle et de la femelle contiennent en effet chacune des embryons tout formés, que la liqueur du mâle ne contient que des mâles, que celle de la femelle ne contient que des femelles, mais que tous ces petits êtres organisés périssent faute de développement, et qu’il n’y a que ceux qui se forment actuellement par le mélange des deux liqueurs séminales qui puissent se développer et venir au monde, n’aura-t-on pas raison de vous demander pourquoi cette voie de génération, qui est la plus compliquée, la plus difficile et la moins abondante en production, est celle que la nature a préférée et préfère d’une manière si marquée que presque tous les animaux se multiplient par cette voie de la communication du mâle avec la femelle ? Car, à l’exception du puceron, du polype d’eau douce et des autres animaux qui peuvent se multiplier d’eux-mêmes ou par la division et la séparation des parties de leur corps, tous les autres animaux ne peuvent produire leur semblable que par la communication de deux individus.

Je me contenterai de répondre à présent que la chose étant en effet telle qu’on vient de le dire, les animaux, pour la plus grande partie, ne se produisant qu’au moyen du concours du mâle et de la femelle, l’objection devient une question de fait, à laquelle, comme nous l’avons dit dans le chapitre II, il n’y a d’autre solution à donner que celle du fait même. Pourquoi les animaux se produisent-ils par le concoure des deux sexes ? La réponse est : parce qu’ils se produisent en effet ainsi ; mais, insistera-t-on, c’est la voie de reproduction la plus compliquée, même suivant votre explication. Je l’avoue, mais cette voie la plus compliquée pour nous est apparemment la plus simple pour la nature ; et si, comme nous l’avons remarqué, il faut regarder comme le plus simple dans la nature ce qui arrive le plus souvent, cette voie de génération sera dès lors la plus simple, ce qui n’empêche pas que nous ne devions la juger comme la plus composée, parce que nous ne la jugeons pas en elle-même, mais seulement par rapport à nos idées et suivant les connaissances que nos sens et nos réflexions peuvent nous en donner.

Au reste, il est aisé de voir que ce sentiment particulier des aristotéliciens, qui prétendaient que les femelles n’avaient aucune liqueur prolifique, ne peut pas subsister, si l’on fait attention aux ressemblances des enfants à la mère, des mulets à la femelle qui les produit, des métis et des mulâtres qui tous prennent autant et souvent plus de la mère que du père ; si d’ailleurs on pense que les organes de la génération des femelles sont, comme ceux des mâles, conformés de façon à préparer et recevoir la liqueur séminale, on se persuadera facilement que cette liqueur doit exister, soit qu’elle réside dans les vaisseaux spermatiques, ou dans les testicules, ou dans les cornes de la matrice, ou que ce soit cette liqueur qui, lorsqu’on la provoque, sort par les lacunes de Graaf, tant aux environs du col de la matrice qu’aux environs de l’orifice externe de l’urètre.

Mais il est bon de développer ici plus en détail les idées d’Aristote au sujet de la génération des animaux, parce que ce grand philosophe est celui de tous les anciens qui a le plus écrit sur cette matière et qui l’a traitée le plus généralement. Il distingue les animaux en trois espèces : les uns qui ont du sang, et qui, a l’exception, dit-il, de quelques-uns, se multiplient tous par la copulation ; les autres, qui n’ont point de sang, qui, étant mâles et femelles en même temps, produisent d’eux-mêmes et sans copulation, et enfin ceux qui viennent de pourriture et qui ne doivent pas leur origine à des parents de même espèce qu’eux. À mesure que j’exposerai ce que dit Aristote, je prendrai la liberté de faire les remarques nécessaires, et la première sera qu’on ne doit point admettre cette division ; car, quoique en effet toutes les espèces d’animaux qui ont du sang[NdÉ 2] soient composées de mâles et de femelles, il n’est peut-être pas également vrai que les animaux qui n’ont point de sang soient pour la plupart en même temps mâles et femelles : car nous ne connaissons guère que le limaçon sur la terre et les vers qui soient dans ce cas, et qui soient en effet mâles et femelles, et nous ne pouvons pas assurer que tous les coquillages aient les deux sexes à la fois, aussi bien que tous les autres animaux qui n’ont point de sang[NdÉ 3] : c’est ce que l’on verra dans l’histoire particulière de ces animaux ; et à l’égard de ceux qu’il dit provenir de la pourriture, comme il n’en fait pas l’énumération, il y aurait bien des exceptions à faire, car la plupart des espèces que les anciens croyaient engendrées par la pourriture viennent d’un œuf ou d’un ver, comme les observateurs modernes s’en sont assurés.

Il fait ensuite une seconde division des animaux, savoir : ceux qui ont la faculté de se mouvoir progressivement, comme de marcher, de voler, de nager, et ceux qui ne peuvent se mouvoir progressivement. Tous ces animaux qui se meuvent et qui ont du sang ont des sexes ; mais ceux qui, comme les huîtres, sont adhérents, ou qui ne se meuvent presque pas, n’ont point de sexe et sont à cet égard comme les plantes ; ce n’est, dit-il, que par la grandeur ou par quelque autre différence qu’on les a distingués en mâles et femelles. J’avoue qu’on n’est pas encore assuré que les coquillages aient des sexes ; il y a dans l’espèce des huîtres des individus féconds et d’autres individus qui ne le sont pas[NdÉ 4] ; les individus féconds se distinguent à cette bordure déliée qui environne le corps de l’huître, et on les appelle les mâles[1]. Il nous manque sur cela beaucoup d’observations qu’Aristote pouvait avoir, mais dont il me paraît qu’il donne ici un résultat trop général.

Mais suivons. Le mâle, selon Aristote, renferme le principe du mouvement génératif, et la femelle contient le matériel de la génération. Les organes qui servent à la fonction qui doit la précéder sont différents suivant les différentes espèces d’animaux : les principaux sont les testicules dans les mâles et la matrice dans les femelles. Les quadrupèdes, les oiseaux et les cétacés ont des testicules ; les poissons et les serpents en sont privés ; mais ils ont deux conduits propres à recevoir la semence et à la préparer, et de même que ces parties essentielles sont doubles dans les mâles, les parties essentielles à la génération sont aussi doubles dans les femelles ; ces parties servent dans les mâles à arrêter le mouvement de la portion du sang qui doit former la semence ; il le prouve par l’exemple des oiseaux, dont les testicules se gonflent considérablement dans la saison de leurs amours, et qui après cette saison diminuent si fort qu’on a peine à les trouver.

Tous les animaux quadrupèdes, comme les chevaux, les bœufs, etc., qui sont couverts de poil, et les poissons cétacés, comme les dauphins et les baleines, sont vivipares ; mais les animaux cartilagineux et les vipères ne sont pas vraiment vivipares, parce qu’ils produisent d’abord un œuf au dedans d’eux-mêmes, et ce n’est qu’après s’être développés dans cet œuf que les petits sortent vivants. Les animaux ovipares sont de deux espèces, ceux qui produisent des œufs parfaits, comme les oiseaux, les lézards, les tortues, etc. ; les autres qui ne produisent que des œufs imparfaits, comme les poissons, dont les œufs s’augmentent et se perfectionnent après qu’ils ont été répandus dans l’eau par la femelle, et à l’exception des oiseaux, dans les autres espèces d’animaux ovipares, les femelles sont ordinairement plus grandes que les mâles, comme dans les poissons, les lézards, etc.

Après avoir exposé ces variétés générales dans les animaux, Aristote commence à entrer en matière, et il examine d’abord le sentiment des anciens philosophes qui prétendaient que la semence, tant du mâle que de la femelle, provenait de toutes les parties de leur corps, et il se déclare contre ce sentiment, parce que, dit-il, quoique les enfants ressemblent assez souvent à leurs pères et mères, ils ressemblent aussi quelquefois à leurs aïeux, et que d’ailleurs ils ressemblent à leur père et à leur mère par la voix, par les cheveux, par les ongles, par leur maintien et par leur manière de marcher : or, la semence, dit-il, ne peut pas venir des cheveux, de la voix, des ongles ou d’une qualité extérieure, comme est celle de marcher ; donc les enfants ne ressemblent pas à leurs parents parce que la semence vient de toutes les parties de leur corps, mais par d’autres raisons. Il me semble qu’il n’est pas nécessaire d’avertir ici de quelle faiblesse sont ces dernières raisons que donne Aristote pour prouver que la semence ne vient pas de toutes les parties du corps : j’observerai seulement qu’il m’a paru que ce grand homme cherchait exprès les moyens de s’éloigner du sentiment des philosophes qui l’avaient précédé ; et je suis persuadé que quiconque lira son Traité de la génération avec attention reconnaîtra que le dessein formé de donner un système nouveau et différent de celui des anciens l’oblige à préférer toujours, et dans tous les cas, les raisons les moins probables, et à éluder, autant qu’il peut, la force des preuves, lorsqu’elles sont contraires à ses principes généraux de philosophie ; car les deux premiers livres semblent n’être faits que pour tâcher de détruire ce sentiment des anciens, et on verra bientôt que celui qu’il veut y substituer est beaucoup moins fondé.

Selon lui, la liqueur séminale du mâle est un excrément du dernier aliment, c’est-à-dire du sang, et les menstrues sont dans les femelles un excrément sanguin, le seul qui serve à la génération ; les femelles, dit-il, n’ont point d’autre liqueur prolifique, il n’y a donc point de mélange de celle du mâle avec celle de la femelle, et il prétend le prouver, parce qu’il y a des femmes qui conçoivent sans aucun plaisir, que ce n’est pas le plus grand nombre de femmes qui répandent de la liqueur à l’extérieur dans la copulation, qu’en général celles qui sont brunes et qui ont l’air hommasse ne répandent rien, dit-il, et cependant n’engendrent pas moins que celles qui sont blanches et dont l’air est plus féminin, qui répandent beaucoup ; ainsi, conclut-il, la femme ne fournit rien pour la génération que le sang menstruel : ce sang est la matière de la génération, et la liqueur séminale du mâle n’y contribue pas comme matière, mais comme forme ; c’est la cause efficiente, c’est le principe du mouvement, elle est à la génération ce que le sculpteur est au bloc de marbre ; la liqueur du mâle est le sculpteur, le sang menstruel le marbre, et le fœtus est la figure. Aucune partie de la semence du mâle ne peut donc servir comme matière à la génération, mais seulement comme cause motrice qui communique le mouvement aux menstrues qui sont la seule matière ; ces menstrues reçoivent de la semence du mâle une espèce d’âme qui donne la vie ; cette âme n’est ni matérielle ni immatérielle ; elle n’est pas immatérielle, parce qu’elle ne pourrait agir sur la matière ; elle n’est pas matérielle, parce qu’elle ne peut pas entrer comme matière dans la génération, dont toute la matière sont les menstrues ; c’est, dit notre philosophe, un esprit dont la substance est semblable à celle de l’élément des étoiles. Le cœur est le premier ouvrage de cette âme, il contient en lui-même le principe de son accroissement, et il a la puissance d’arranger les autres membres ; les menstrues contiennent en puissance toutes les parties du fœtus ; l’âme ou l’esprit de la semence du mâle commence à réduire à l’acte, à l’effet, le cœur, et lui communique le pouvoir de réduire aussi à l’acte ou à l’effet les autres viscères, et de réaliser ainsi successivement toutes les parties de l’animal. Tout cela paraît fort clair à notre philosophe ; il lui reste seulement un doute, c’est de savoir si le cœur est réalisé avant le sang qu’il contient, ou si le sang qui fait mouvoir le cœur est réalisé le premier, et il avait en effet raison de douter ; car, quoiqu’il ait adopté le sentiment que c’est le cœur qui existe le premier, Harvey a depuis prétendu, par des raisons de la même espèce que celles que nous venons de donner d’après Aristote, que ce n’était pas le cœur, mais le sang qui le premier se réalisait.

Voilà quel est le système que ce grand philosophe nous a donné sur la génération. Je laisse à imaginer si celui des anciens qu’il rejette, et contre lequel il s’élève à tout moment, pouvait être plus obscur, ou même, si l’on veut, plus absurde que celui-ci. Cependant ce même système que je viens d’exposer fidèlement a été suivi par la plus grande partie des savants, et on verra tout à l’heure qu’Harvey non seulement avait adopté les idées d’Aristote, mais même qu’il y en a encore ajouté de nouvelles, et dans le même genre, lorsqu’il a voulu expliquer le mystère de la génération : comme ce système fait corps avec le reste de la philosophie d’Aristote, où la forme et la matière sont les grands principes, où les âmes végétatives et sensitives sont les êtres actifs de la nature, où les causes finales sont des objets réels, je ne suis point étonné qu’il ait été reçu par tous les auteurs scolastiques ; mais il est surprenant qu’un médecin et un bon observateur, tel qu’était Harvey, ait suivi le torrent, tandis que dans le même temps tous les médecins suivaient le sentiment d’Hippocrate et de Galien, que nous exposerons dans la suite.

Au reste, il ne faut pas prendre une idée désavantageuse d’Aristote par l’exposition que nous venons de faire de son système sur la génération ; c’est comme si l’on voulait juger Descartes par son Traité de l’homme ; les explications que ces deux philosophes donnent de la formation du fœtus ne sont pas des théories ou des systèmes au sujet de la génération seule, ce ne sont pas des recherches particulières qu’ils ont faites sur cet objet, ce sont plutôt des conséquences qu’ils ont voulu tirer chacun de leurs principes philosophiques. Aristote admettait, comme Platon, les causes finales et efficientes ; ces causes efficientes sont les âmes sensitives et végétatives, lesquelles donnent la forme à la matière qui d’elle-même n’est qu’une capacité de recevoir les formes, et comme dans la génération la femelle donne la matière la plus abondante, qui est celle des menstrues, et que d’ailleurs il répugnait à son système des causes finales que ce qui peut se faire par un seul soit opéré par plusieurs, il a voulu que la femelle contînt seule la matière nécessaire à la génération ; et ensuite, comme un autre de ces principes était que la matière d’elle-même est informe, et que la forme est un être distinct et séparé de la matière, il a dit que le mâle fournissait la forme, et que par conséquent il ne fournissait rien de matériel.

Descartes au contraire, qui n’admettait en philosophie qu’un petit nombre de principes mécaniques, a cherché à expliquer la formation du fœtus par ces mêmes principes, et il a cru pouvoir comprendre et faire entendre aux autres comment, par les seules lois du mouvement, il pouvait se faire un être vivant et organisé : il différait, comme l’on voit, d’Aristote dans les principes qu’il employait, mais tous deux, au lieu de chercher à expliquer la chose en elle-même, au lieu de l’examiner sans prévention et sans préjugés, ne l’ont au contraire considérée que dans le point de vue relatif à leur système de philosophie et aux principes généraux qu’ils avaient établis, lesquels ne pouvaient pas avoir une heureuse application à l’objet présent de la génération, parce qu’elle dépend en effet, comme nous l’avons fait voir, de principes tout différents. Je ne dois pas oublier de dire que Descartes différait encore d’Aristote, en ce qu’il admet le mélange des liqueurs séminales des deux sexes, qu’il croit que le mâle et la femelle fournissent tous deux quelque chose de matériel pour la génération, et que c’est par la fermentation occasionnée par le mélange de ces deux liqueurs séminales que se fait la formation du fœtus.

Il paraît que si Aristote eût voulu oublier son système général de philosophie, pour raisonner sur la génération comme sur un phénomène particulier et indépendant de son système, il aurait été capable de nous donner tout ce qu’on pouvait espérer de meilleur sur cette matière ; car il ne faut que lire son traité pour reconnaître qu’il n’ignorait aucun des faits anatomiques, aucune observation, et qu’il avait des connaissances très approfondies sur toutes les parties accessoires à ce sujet, et d’ailleurs un génie élevé tel qu’il le faut pour rassembler avantageusement les observations et généraliser les faits.

Hippocrate, qui vivait sous Perdiccas, c’est-à-dire environ cinquante ou soixante ans avant Aristote, a établi une opinion qui a été adoptée par Galien, et suivie en tout ou en partie par le plus grand nombre des médecins jusque dans les derniers siècles : son sentiment était que le mâle et la femelle avaient chacun une liqueur prolifique. Hippocrate voulait même de plus que dans chaque sexe il y eût deux liqueurs séminales, l’une plus forte et plus active, l’autre plus faible et moins active. (Voyez Hippocrates, lib. de Genitura, p. 129, et lib. de Diæta, p. 198, Lugd. Bat., t. Ier, 1665.) La plus forte liqueur séminale du mâle, mêlée avec la plus forte liqueur séminale de la femelle, produit un enfant mâle, et la plus faible liqueur séminale du mâle, mêlée avec la plus faible liqueur séminale de la femelle, produit une femelle ; de sorte que le mâle et la femelle contiennent chacun, selon lui, une semence mâle et une semence femelle. Il appuie cette hypothèse sur le fait suivant, savoir : que plusieurs femmes qui d’un premier mari n’ont produit que des filles, d’un second ont produit des garçons, et que ces mêmes hommes, dont les premières femmes n’avaient produit que des filles, ayant pris d’autres femmes, ont engendré des garçons. Il me paraît que, quand même ce fait serait bien constaté, il ne serait pas nécessaire, pour en rendre raison, de donner au mâle et à la femelle deux espèces de liqueur séminale, l’une mâle et l’autre femelle ; car on peut concevoir aisément que les femmes qui de leurs premiers maris n’ont produit que des filles, et avec d’autres hommes ont produit des garçons, étaient seulement telles qu’elles fournissaient plus de parties propres à la génération avec leur premier mari qu’avec le second, ou que le second mari était tel qu’il fournissait plus de parties propres à la génération avec la seconde femme qu’avec la première ; car lorsque dans l’instant de la formation du fœtus les molécules organiques du mâle sont plus abondantes que celles de la femelle, il en résulte un mâle, et lorsque ce sont les molécules organiques de la femelle qui abondent le plus, il en résulte une femelle, et il n’est point étonnant qu’avec certaines femmes un homme ait du désavantage à cet égard, tandis qu’il aura de la supériorité avec d’autres femmes.

Ce grand médecin prétend que la semence du mâle est une sécrétion des parties les plus fortes et les plus essentielles de tout ce qu’il y a d’humide dans le corps humain ; il explique même d’une manière assez satisfaisante comment se fait cette sécrétion : « Venæ et nervi, dit-il, ab omni corpore in pudendum vergunt, quibus dum aliquantulùm teruntur, et calescunt ac implentur, velut pruritus incidit, ex hoc toti corpori voluptas ac caliditas accidit ; quum verò pudendum teritur et homo movetur, humidum in corpore calescit ac diffunditur, et à motu conquassatur ac spumescit, quemadmodum alii humores omnes conquassati spumesecunt.

» Sic autem in homine ab humido spumescente id quod robustissimum est ac pinguissimum secernitur, et ad medullam spinalem venit ; tendunt enim in hanc ex omni corpore viæ, diffundunt ex cerebro in lumbos ac in totum corpus et in medullam : et ex ipsa medulla procedunt viæ, ut et ad ipsam humidum perferatur et ex ipsa secedat ; postquam autem ad hanc medullam genitura pervenerit, procedit ad renes, hac enim viâ tendit per venas ; et si renes fuerint exulcerati, aliquando etiam sanguis defertur : à renibus autem transit per medios testes in pudendum, procedit autem non quâ urina, verùm alia ipsi via est illi contigua, etc. » (Voyez la traduction de Fœsius, t. Ier, p. 129.) Les anatomistes trouveront sans doute qu’Hippocrate s’égare dans cette route qu’il trace à la liqueur séminale, mais cela ne fait rien à son sentiment qui est que la semence vient de toutes les parties du corps, et qu’il en vient en particulier beaucoup de la tête, parce que, dit-il, ceux auxquels on a coupé les veines auprès des oreilles ne produisent plus qu’une semence faible et assez souvent inféconde. La femme a aussi une liqueur séminale qu’elle répand, tantôt en dedans et dans l’intérieur de la matrice, tantôt en dehors et à l’extérieur, lorsque l’orifice interne de la matrice s’ouvre plus qu’il ne faut. La semence du mâle entre dans la matrice et elle se mêle avec celle de la femelle, et comme l’un et l’autre ont chacun deux espèces de semences, l’une forte et l’autre faible, si tous deux ont fourni leur semence forte il en résulte un mâle, si, au contraire, ils n’ont donné tous deux que leur semence faible il n’en résulte qu’une femelle ; et si dans le mélange il y a plus de parties de la liqueur du père que de celles de la liqueur de la mère, l’enfant ressemblera plus au père qu’à la mère, et au contraire : on pouvait lui demander : qu’est-ce qui arrive lorsque l’un fournit sa semence faible et l’autre sa semence forte ? Je ne vois pas ce qu’il pourrait répondre, et cela seul suffit pour faire rejeter cette opinion de l’existence de deux semences dans chaque sexe.

Voici comment se fait, selon lui, la formation du fœtus : les liqueurs séminales se mêlent d’abord dans la matrice, elles s’y épaississent par la chaleur du corps de la mère, le mélange reçoit et tire l’esprit de la chaleur, et lorsqu’il en est tout rempli, l’esprit trop chaud sort au dehors, mais par la respiration de la mère il arrive un esprit froid, et alternativement il entre un esprit froid et il sort un esprit chaud dans le mélange, ce qui lui donne la vie et fait naître une pellicule à la surface du mélange, qui prend une forme ronde, parce que les esprits, agissant du milieu comme centre, étendent également de tous côtés le volume de cette matière. J’ai vu, dit ce grand médecin, un fœtus de six jours ; c’était une bulle de liqueur enveloppée d’une pellicule ; la liqueur était rougeâtre et la pellicule était semée de vaisseaux, les uns sanguins, les autres blancs, au milieu de laquelle était une petite éminence que j’ai cru être les vaisseaux ombilicaux par où le fœtus reçoit l’esprit de la respiration de la mère et la nourriture : peu à peu il se forme une autre enveloppe de la même façon que la première pellicule s’est formée. Le sang menstruel qui est supprimé fournit abondamment à la nourriture, et ce sang fourni par la mère au fœtus se coagule par degrés et devient chair ; cette chair s’articule à mesure qu’elle croît ; et c’est l’esprit qui donne cette forme à la chair. Chaque chose va prendre sa place, les parties solides vont aux parties solides, celles qui sont humides vont aux parties humides, chaque chose cherche celle qui lui est semblable, et le fœtus est enfin entièrement formé par ces causes et ces moyens.

Ce système est moins obscur et plus raisonnable que celui d’Aristote, parce qu’Hippocrate cherche à expliquer la chose particulière par des raisons particulières, et qu’il n’emprunte de la philosophie de son temps qu’un seul principe général, savoir : que le chaud et le froid produisent des esprits, et que ces esprits ont la puissance d’ordonner et d’arranger la matière ; il a vu la génération plus en médecin qu’en philosophe, Aristote l’a expliquée plutôt en métaphysicien qu’en naturaliste : c’est ce qui fait que les défauts du système d’Hippocrate sont particuliers et moins apparents, au lieu que ceux du système d’Aristote sont des erreurs générales et évidentes.

Ces deux grands hommes ont eu chacun leurs sectateurs : presque tous les philosophes scolastiques, en adoptant la philosophie d’Aristote, ont aussi reçu son système sur la génération ; presque tous les médecins ont suivi le sentiment d’Hippocrate, et il s’est passé dix-sept ou dix-huit siècles sans qu’il ait rien paru de nouveau sur ce sujet. Enfin, au renouvellement des sciences, quelques anatomistes tournèrent leurs vues sur la génération, et Fabrice d’Aquapendente fut le premier qui s’avisa de faire des expériences et des observations suivies sur la fécondation et le développement des œufs de poule. Voici en substance le résultat de ses observations.

Il distingue deux parties dans la matrice de la poule, l’une supérieure et l’autre inférieure, et il appelle la partie supérieure l’ovaire : ce n’est proprement qu’un assemblage d’un très grand nombre de petits jaunes d’œufs de figure ronde, dont la grandeur varie depuis la grosseur d’un grain de moutarde jusqu’à celle d’une grosse noix ou d’une nèfle ; ces petits jaunes sont attachés les uns aux autres, ils forment un corps qui ressemble assez bien à une grappe de raisin, ils tiennent à un pédicule commun comme les grains tiennent à la grappe. Les plus petits de ces œufs sont blancs, et ils prennent de la couleur à mesure qu’ils grossissent.

Ayant examiné ces jaunes d’œufs après communication du coq avec la poule, il n’a pas aperçu de différence sensible, il n’a vu de semence du mâle dans aucune partie de ces œufs, il croit que tous les œufs, et l’ovaire lui-même, deviennent féconds par une émanation spiritueuse qui sort de la semence du mâle, et il dit que c’est afin que cet esprit fécondant se conserve mieux que la nature a placé à l’orifice externe de la vulve des oiseaux une espèce de voile ou de membrane qui permet, comme une valvule, l’entrée de cet esprit séminal dans les espèces d’oiseaux, comme les poules, où il n’y a point d’intromission, et celle du membre génital dans les espèces où il y a intromission, mais en même temps cette valvule, qui ne peut pas s’ouvrir de dedans en dehors, empêche que cette liqueur et l’esprit qu’elle contient ne puissent ressortir ou s’évaporer.

Lorsque l’œuf s’est détaché du pédicule commun, il descend peu à peu par un conduit tortueux dans la partie inférieure de la matrice ; ce conduit est rempli d’une liqueur assez semblable à celle du blanc d’œuf, et c’est aussi dans cette partie que les œufs commencent à s’envelopper de cette liqueur blanche, de la membrane qui la contient, des deux cordons (chalazæ) qui traversent le blanc et se joignent au jaune, et même de la coquille qui se forme la dernière en fort peu de temps, et seulement avant la ponte. Ces cordons, selon notre auteur, sont la partie de l’œuf qui est fécondée par l’esprit séminal du mâle, et c’est là où le fœtus commence à se corporifier ; l’œuf est non seulement la vraie matrice, c’est-à-dire le lieu de la formation du poulet, mais c’est de l’œuf que dépend aussi toute la génération ; l’œuf la produit comme agent, il y fournit comme matière, comme organe et comme instrument ; la matière des cordons est la substance de la formation, le blanc et le jaune sont la nourriture, et l’esprit séminal du mâle est la cause efficiente. Cet esprit communique à la matière des cordons d’abord une faculté altératrice, ensuite une qualité formatrice, et enfin une qualité augmentatrice, etc.

Les observations de Fabrice d’Aquapendente ne l’ont pas conduit, comme l’on voit, à une explication bien claire de la génération. Dans le même temps à peu près que cet anatomiste s’occupait à ces recherches, c’est-à-dire vers le milieu et la fin du xvie siècle, le fameux Aldrovande (voyez son Ornithologie) faisait aussi des observations sur les œufs, mais, comme dit fort bien Harvey (p. 43), il paraît avoir suivi l’autorité d’Aristote beaucoup plus que l’expérience ; les descriptions qu’il donne du poulet dans l’œuf ne sont point exactes. Volcher Coiter, l’un de ses disciples, réussit mieux que son maître, et Parisanus, médecin de Venise, ayant travaillé aussi sur la même matière, ils ont donné chacun une description du poulet dans l’œuf qu’Harvey préfère à toutes les autres.

Ce fameux anatomiste, auquel on est redevable d’avoir mis hors de doute la question de la circulation du sang, que quelques observateurs avaient à la vérité soupçonnée auparavant et même annoncée, a fait un traité fort étendu sur la génération. Il vivait au commencement et vers le milieu du dernier siècle, et il était médecin du roi d’Angleterre Charles Ier. Comme il fut obligé de suivre ce prince malheureux dans le temps de sa disgrâce, il perdit avec ses meubles et ses autres papiers ce qu’il avait fait sur la génération des insectes ; et il paraît qu’il a composé de mémoire ce qu’il nous a laissé sur la génération des oiseaux et des quadrupèdes. Je vais rendre compte de ses observations, de ses expériences et de son système.

Harvey prétend que l’homme et tous les animaux viennent d’un œuf[NdÉ 5], que le premier produit de la conception dans les vivipares est une espèce d’œuf, et que la seule différence qu’il y ait entre les vivipares et les ovipares, c’est que les fœtus des premiers prennent leur origine, acquièrent leur accroissement et arrivent à leur développement entier dans la matrice, au lieu que les fœtus des ovipares prennent à la vérité leur première origine dans le corps de la mère, où ils ne sont encore qu’œufs, et que ce n’est qu’après être sortis du corps de la mère, et au dehors, qu’ils deviennent réellement des fœtus ; et il faut remarquer, dit-il, que, dans les animaux ovipares, les uns gardent leurs œufs au dedans d’eux-mêmes jusqu’à ce qu’ils soient parfaits, comme les oiseaux, les serpents et les quadrupèdes ovipares ; les autres répandent ces œufs avant qu’ils soient parfaits, comme les poissons à écailles, les crustacés, les testacés et les poissons mous. Les œufs que ces animaux répandent au dehors ne sont que les principes des véritables œufs ; ils acquièrent du volume et de la substance, des membranes et du blanc, en attirant à eux la matière qui les environne, et ils la tournent en nourriture ; il en est de même, ajoute-t-il, des insectes, par exemple, des chenilles, lesquelles, selon lui, ne sont que des œufs imparfaits qui cherchent leur nourriture, et qui au bout d’un certain temps arrivent à l’état de chrysalide, qui est un œuf parfait ; et il y a encore une autre différence dans les ovipares, c’est que les poules et les autres oiseaux ont des œufs de différente grosseur, au lieu que les poissons, les grenouilles, etc., qui les répandent avant qu’ils soient parfaits, les ont tous de la même grosseur. Seulement il observe que dans les pigeons qui ne pondent que deux œufs, tous les petits œufs qui restent dans l’ovaire sont de la même grandeur, et qu’il n’y a que les deux qui doivent sortir qui soient beaucoup plus gros que les autres, au lieu que dans les poules il y en a de toute grosseur, depuis le petit atome presque invisible jusqu’à la grosseur d’une nèfle. Il observe aussi que dans les poissons cartilagineux, comme la raie, il n’y a que deux œufs qui grossissent et mûrissent en même temps ; ils descendent des deux cornes de la matrice, et ceux qui restent dans l’ovaire sont, comme dans les poules, de différente grosseur : il dit en avoir vu plus de cent dans l’ovaire d’une raie.

Il fait ensuite l’exposition anatomique des parties de la génération de la poule, et il observe que dans tous les oiseaux la situation de l’orifice de l’anus et de la vulve est contraire à la situation de ces parties dans les autres animaux ; les oiseaux ont en effet l’anus en devant, et la vulve en arrière[2] ; et à l’égard de celles du coq, il prétend que cet animal n’a point de verge, quoique les oies et les canards en aient de fort apparentes ; l’autruche surtout en a une de la grosseur d’une langue de cerf ou de celle d’un petit bœuf ; il dit donc qu’il n’y a point d’intromission, mais seulement un simple attouchement, un frottement extérieur des parties du coq et de la poule, et il croit que dans tous les petits oiseaux qui, comme les moineaux, ne se joignent que pour quelques moments, il n’y a point d’intromission ni de vraie copulation.

Les poules produisent des œufs sans coq, mais en plus petit nombre, et ces œufs, quoique parfaits, sont inféconds ; il ne croit pas, comme c’est le sentiment des gens de la campagne, qu’en deux ou trois jours d’habitude avec le coq la poule soit fécondée au point que tous les œufs qu’elle doit produire pendant toute l’année soient tous féconds ; seulement il dit avoir fait cette expérience sur une poule séparée du coq depuis vingt jours, dont l’œuf se trouva fécond, ceux qu’elle avait pondus comme auparavant. Tant que l’œuf est attaché à son pédicule, c’est-à-dire à la grappe commune, il tire sa nourriture par les vaisseaux de ce pédicule commun ; mais dès qu’il s’en détache, il la tire par intussusception de la liqueur blanche qui remplit les conduits dans lesquels il descend, et tout, jusqu’à la coquille, se forme par ce moyen.

Les deux cordons (chalazæ), qu’Aquapendente regardait comme le germe ou la partie produite par la semence du mâle, se trouvent aussi bien dans les œufs inféconds que la poule produit sans communication avec le coq que dans les œufs féconds, et Harvey remarque très bien que ces parties de l’œuf ne viennent pas du mâle, et qu’elles ne sont pas celles qui sont fécondées. La partie de l’œuf qui est fécondée est très petite ; c’est un petit cercle blanc qui est sur la membrane du jaune, qui y forme une petite tache semblable à une cicatrice de la grandeur d’une lentille environ ; c’est dans ce petit endroit que se fait la fécondation, c’est là où le poulet doit naître et croître ; toutes les autres parties de l’œuf ne sont faites que pour celle-ci. Harvey remarque aussi que cette cicatricule se trouve dans tous les œufs féconds ou inféconds, et il dit que ceux qui veulent qu’elle soit produite par la semence du mâle se trompent ; elle est de la même grandeur et de la même forme dans les œufs frais et dans ceux qu’on a gardés longtemps ; mais dès qu’on veut les faire éclore et que l’œuf reçoit un degré de chaleur convenable, soit par la poule qui le couve, soit par le moyen du fumier ou d’un four, on voit bientôt cette petite tache s’augmenter et se dilater à peu près comme la prunelle de l’œil : voilà le premier changement qui arrive au bout de quelques heures de chaleur ou d’incubation.

Lorsque l’œuf a été échauffé pendant vingt-quatre heures, le jaune, qui auparavant était au centre du blanc, monte vers la cavité qui est au gros bout de l’œuf ; la chaleur faisant évaporer à travers la coquille la partie la plus liquide du blanc, cette cavité du gros bout devient plus grande, et la partie la plus pesante du blanc tombe dans la cavité du petit bout de l’œuf ; la cicatricule ou la tache qui est au milieu de la tunique du jaune s’élève avec le jaune et s’applique à la membrane de la cavité du gros bout ; cette tache est alors de la grandeur d’un petit pois, et on y distingue un petit point blanc dans le milieu, et plusieurs cercles concentriques dont ce point paraît être le centre.

Au bout de deux jours ces cercles sont plus visibles et plus grands, et la tache paraît divisée concentriquement par ces cercles en deux, et quelquefois en trois parties de différentes couleurs ; il y a aussi un peu de protubérance à l’extérieur, et elle a à peu près la figure d’un petit œil dans la pupille duquel il y aurait un point blanc ou une petite cataracte. Entre ces cercles est contenue par une membrane très délicate une liqueur plus claire que le cristal, qui paraît être une partie dépurée du blanc de l’œuf ; la tache, qui est devenue une bulle, paraît alors comme si elle était placée plus dans le blanc que dans la membrane du jaune. Pendant le troisième jour, cette liqueur transparente et cristalline, augmente à l’intérieur, aussi bien que la petite membrane qui l’environne. Le quatrième jour on voit à la circonférence de la bulle une petite ligne de sang couleur de pourpre, et à peu de distance du centre de la bulle on aperçoit un point, aussi couleur de sang, qui bat ; il paraît comme une petite étincelle à chaque diastole, et disparaît à chaque systole ; de ce point animé partent deux petits vaisseaux sanguins qui vont aboutir à la membrane qui enveloppe la liqueur cristalline : ces petits vaisseaux jettent des rameaux dans cette liqueur, et ces petits rameaux sanguins partent tous du même endroit, à peu près comme les racines d’un arbre partent du tronc ; c’est dans l’angle que ces racines forment avec le tronc, et dans le milieu de la liqueur, qu’est le point animé.

Vers la fin du quatrième jour ou au commencement du cinquième, le point animé est déjà augmenté de façon qu’il paraît être devenu une petite vésicule remplie de sang, et il pousse et tire alternativement ce sang, et dès le même jour on voit très distinctement cette vésicule se partager en deux parties qui forment comme deux vésicules, lesquelles alternativement poussent chacune le sang et se dilatent, et de même alternativement elles repoussent le sang et se contractent ; on voit alors autour du vaisseau sanguin, le plus court des deux dont nous avons parlé, une espèce de nuage qui, quoique transparent, rend plus obscure la vue de ce vaisseau ; d’heure en heure ce nuage s’épaissit, s’attache à la racine du vaisseau sanguin, et paraît comme un petit globe qui pend de ce vaisseau ; ce petit globe s’allonge et paraît partagé en trois parties : l’une est orbiculaire et plus grande que les deux autres, et on y voit paraître l’ébauche des yeux et de la tête entière, et dans le reste de ce globe allongé on voit, au bout du cinquième jour, l’ébauche des vertèbres.

Le sixième jour les trois bulles de la tête paraissent plus clairement ; on voit les tuniques des yeux, et en même temps les cuisses et les ailes, et ensuite le foie, les poumons, le bec ; le fœtus commence à se mouvoir et à étendre la tête, quoiqu’il n’ait encore que les viscères intérieurs, car le thorax, l’abdomen et toutes les parties extérieures du devant du corps lui manquent ; à la fin de ce jour, ou au commencement du septième, on voit paraître les doigts des pieds, le fœtus ouvre le bec et le remue, les parties antérieures du corps commencent à recouvrir les viscères ; le septième jour le poulet est entièrement formé, et ce qui lui arrive dans la suite, jusqu’à ce qu’il sorte de l’œuf, n’est qu’un développement de toutes les parties qu’il a acquises dans ces sept premiers jours ; au quatorzième ou au quinzième jour les plumes paraissent ; il sort enfin, en rompant la coquille avec son bec, au vingt et unième jour.

Ces expériences d’Harvey sur le poulet dans l’œuf paraissent, comme l’on voit, avoir été faites avec la dernière exactitude ; cependant on verra dans la suite qu’elles sont imparfaites, et qu’il y a bien de l’apparence qu’il est tombé lui-même dans le défaut qu’il reproche aux autres, d’avoir fait ces expériences dans la vue d’une hypothèse mal fondée, et dans l’idée où il était, d’après Aristote, que le cœur était le point animé qui paraît le premier ; mais, avant que de porter sur cela notre jugement, il est bon de rendre compte de ses autres expériences et de son système.

Tout le monde sait que c’est sur un grand nombre de biches et de daines qu’Harvey a fait ces expériences ; elles reçoivent le mâle vers la mi-septembre : quelques jours après l’accouplement, les cornes de la matrice deviennent plus charnues et plus épaisses, et en même temps plus fades et plus mollasses, et on remarque dans chacune des cavités des cornes de la matrice cinq caroncules ou verrues molles. Vers le 26 ou le 28 de septembre, la matrice s’épaissit encore davantage, les cinq caroncules se gonflent, et alors elles sont à peu près de la forme et de la grosseur du bout de la mamelle d’une nourrice ; en les ouvrant avec un scalpel, on trouve qu’elles sont remplies d’une infinité de petits points blancs. Harvey prétend avoir remarqué qu’il n’y avait alors, non plus que dans le temps qui suit immédiatement celui de l’accouplement, aucune altération, aucun changement dans les ovaires ou testicules de ces femelles, et que jamais il n’a vu ni pu trouver une seule goutte de la semence du mâle dans la matrice, quoiqu’il ait fait beaucoup d’expériences et de recherches pour découvrir s’il y en était entré.

Vers la fin d’octobre ou au commencement de novembre, lorsque les femelles se séparent des mâles, l’épaisseur des cornes de la matrice commence à diminuer, et la surface intérieure de leur cavité se tuméfie et paraît enflée, les parois intérieures se touchent et paraissent collées ensemble, les caroncules subsistent, et le tout est si mollasse qu’on ne peut y toucher, et ressemble à la substance de la cervelle. Vers le 13 ou 14 de novembre, Harvey dit qu’il aperçut des filaments, comme ceux des toiles d’araignée, qui traversaient les cavités des cornes de la matrice, et celle de la matrice même ; ces filaments partaient de l’angle supérieur des cornes, et par leur multiplication formaient une espèce de membrane ou tunique vide. Un jour ou deux après, cette tunique ou ce sac se remplit d’une matière blanche, aqueuse et gluante : ce sac n’est adhérent à la matrice que par une espèce de mucilage, et l’endroit où il l’est le plus sensiblement, c’est à la partie supérieure où se forme alors l’ébauche du placenta. Dans le troisième mois, ce sac contient un embryon long de deux travers de doigt, et il contient aussi un autre sac intérieur qui est l’amnios, lequel renferme une liqueur transparente et cristalline, dans laquelle nage le fœtus. Ce n’était d’abord qu’un point animé, comme dans l’œuf de la poule ; tout le reste se conduit et s’achève comme il l’a dit au sujet du poulet : la seule différence est que les yeux paraissent beaucoup plus tôt dans le poulet que dans les vivipares ; le point animé paraît vers le 19 ou 20 de novembre dans les biches et dans les daines ; dès le lendemain ou le surlendemain on voit paraître le corps oblong qui contient l’ébauche du fœtus ; six ou sept jours après il est formé au point d’y reconnaître les sexes et tous les membres, mais l’on voit encore le cœur et tous les viscères à découvert, et ce n’est qu’un jour ou deux après que le thorax et l’abdomen viennent les couvrir : c’est le dernier ouvrage, c’est le toit à l’édifice.

De ces expériences, tant sur les poules que sur les biches, Harvey conclut que tous les animaux femelles ont des œufs, que dans ces œufs il se fait une séparation d’une liqueur transparente et cristalline contenue par une tunique (l’amnios), et qu’une autre tunique extérieure (le chorion) contient le reste de la liqueur de l’œuf, et enveloppe l’œuf tout entier ; que dans la liqueur cristalline la première chose qui paraît est un point sanguin et animé ; qu’en un mot, le commencement de la formation des vivipares se fait de la même façon que celle des ovipares ; et voici comment il explique la génération des uns et des autres.

La génération est l’ouvrage de la matrice, jamais il n’y entre de semence du mâle ; la matrice conçoit le fœtus par une espèce de contagion que la liqueur du mâle lui communique, à peu près comme l’aimant communique au fer la vertu magnétique ; non seulement cette contagion masculine agit sur la matrice, mais elle se communique même à tout le corps féminin, qui est fécondé en entier, quoique dans toute la femelle il n’y ait que la matrice qui ait la faculté de concevoir le fœtus, comme le cerveau a seul la faculté de concevoir les idées, et ces deux conceptions se font de la même façon : les idées que conçoit le cerveau sont semblables aux images des objets qu’il reçoit par les sens ; le fœtus, qui est l’idée de la matrice, est semblable à celui qui le produit, et c’est par cette raison que le fils ressemble au père, etc.

Je me garderai bien de suivre plus loin notre anatomiste, et d’exposer toutes les branches de ce système : ce que je viens de dire suffit pour en juger ; mais nous avons des remarques importantes à faire sur ces expériences. La manière dont il les a données peut imposer, il paraît les avoir répétées un grand nombre de fois, il semble qu’il ait pris toutes les précautions nécessaires pour voir, et on croirait qu’il a tout vu, et qu’il a bien vu. Cependant je me suis aperçu que dans l’exposition il règne de l’incertitude et de l’obscurité ; ses observations sont rapportées de mémoire, et il semble, quoiqu’il dise souvent le contraire, qu’Aristote l’a guidé plus que l’expérience ; car, à tout prendre, il a vu dans les œufs tout ce qu’Aristote a dit, et n’a pas vu beaucoup au delà ; la plupart des observations essentielles qu’il rapporte avaient été faites avant lui ; on en sera bientôt convaincu, si l’on veut donner un peu d’attention à ce qui va suivre.

Aristote savait que les cordons (chalazæ) ne servaient en rien à la génération du poulet dans l’œuf : « Quæ ad principium lutei grandines hærent, nil conferunt ad generationem, ut quidam suspicantur. » (Hist. anim., lib. vi, cap. ii.) Parisanus, Volcher Coiter, Aquapendente, etc., avaient remarqué la cicatricule aussi bien qu’Harvey. Aquapendente croyait qu’elle ne servait à rien, mais Parisanus prétendait qu’elle était formée par la semence du mâle, ou du moins que le point blanc qu’on remarque dans le milieu de la cicatricule était la semence du mâle qui devait produire le poulet : « Estque, dit-il, illud galli semen albâ et tenuissimâ tunicâ obductum, quod substat duabus communibus toti ovo membranis, etc. » Ainsi la seule découverte qui appartienne ici à Harvey en propre, c’est d’avoir observé que cette cicatricule se trouve aussi bien dans les œufs inféconds que dans les œufs féconds ; car les autres avaient observé, comme lui, la dilatation des cercles, l’accroissement du point blanc, et il paraît même que Parisanus avait vu le tout beaucoup mieux que lui. Voilà tout ce qui arrive dans les deux premiers jours de l’incubation, selon Harvey ; ce qu’il dit du troisième jour n’est, pour ainsi dire, que la répétition de ce qu’a dit Aristote (Hist. anim., lib. vi, cap. iv) : « Per id tempus ascendit jam vitellus ad superiorem partem ovi acutiorem, ubi et principium ovi est et fœtus excluditur ; corque ipsum apparet in albumine sanguinei puncti, quod punctum salit et movet sese instar quasi animatum ; ab eo meatus venarum specie duo sanguine pleni, flexuosi, qui, crescente fœtu, feruntur in utramque tunicam ambientem, ac membrana sanguineas fibras habens eo tempore albumen continet sub meatibus illis venarum similibus ; ac paulò post discernitur corpus pusillum initio, omninò et candidum, capite conspicuo, atque in eo oculis maximè turgidis qui diu sic permanent, serò enim parvi fiunt ac considunt. In parte autem corporis inferiore nullum extat membrum per initia, quod respondeat superioribus. Meatus autem illi qui à corde prodeunt, alter ad circumdantem membranam tendit, alter ad luteum, officio umbilici. »

Harvey fait un procès à Aristote sur ce qu’il dit que le jaune de l’œuf monte vers la partie la plus aiguë, vers le petit bout de l’œuf, et sur cela seul cet anatomiste conclut qu’Aristote n’avait rien vu de ce qu’il rapporte au sujet de la formation du poulet dans l’œuf, que seulement il avait été assez bien informé des faits, et qu’il les tenait apparemment de quelque bon observateur. Je remarquerai qu’Harvey a tort de faire ce reproche à Aristote, et d’assurer généralement, comme il le fait, que le jaune monte toujours vers le gros bout de l’œuf ; car cela dépend uniquement de la position de l’œuf dans le temps qu’il est couvé ; le jaune monte toujours au plus haut, comme plus léger que le blanc, et si le gros bout est en bas, le jaune montera vers le petit bout, comme, au contraire, si le petit bout est en bas, le jaune montera vers le gros bout. Guillaume Langly, médecin de Dordrecht, qui a fait en 1655, c’est-à-dire quinze ou vingt ans après Harvey, des observations sur les œufs couvés, a fait le premier cette remarque. (Voyez Will. Langly, Observ. editæ à Justo Schradero, Amst., 1674.) Les observations de Langly ne commencent qu’après vingt-quatre heures d’incubation, et elles ne nous apprennent presque rien de plus que celles d’Harvey.

Mais, pour revenir au passage que nous venons de citer, on voit que la liqueur cristalline, le point animé, les deux membranes, les deux vaisseaux sanguins, etc., sont donnés par Aristote précisément comme Harvey les a vus ; aussi cet anatomiste prétend que le point animé est le cœur, que ce cœur est le premier formé, que les viscères et les autres membres viennent ensuite s’y joindre : tout cela a été dit par Aristote, vu par Harvey, et cependant tout cela n’est pas conforme à la vérité ; il ne faut, pour s’en assurer, que répéter les mêmes expériences sur les œufs, ou seulement lire avec attention celles de Malpighi (Malpighii pullus in ovo) qui ont été faites environ trente-cinq ou quarante ans après celles d’Harvey.

Cet excellent observateur a examiné avec attention la cicatricule qui, en effet, est la partie essentielle de l’œuf, il a trouvé cette cicatricule grande dans tous les œufs féconds, et petite dans les œufs inféconds, et ayant examiné cette cicatricule dans des œufs frais et qui n’avaient pas encore été couvés, il a reconnu que le point blanc dont parle Harvey, et qui, selon lui, devient le point animé, est une petite bourse ou une bulle qui nage dans une liqueur contenue par le premier cercle, et dans le milieu de cette bulle il a vu l’embryon ; la membrane de cette petite bourse, qui est l’amnios, étant très mince et transparente, lui laissait voir aisément le fœtus qu’elle enveloppait. Malpighi conclut avec raison de cette première observation que le fœtus existe dans l’œuf avant même qu’il ait été couvé, et que ses premières ébauches ont déjà jeté des racines profondes. Il n’est pas nécessaire de faire sentir ici combien cette expérience est opposée au sentiment d’Harvey, et même à ses expériences ; car Harvey n’a rien vu de formé ni d’ébauché pendant les deux premiers jours de l’incubation, et au troisième jour le premier indice du fœtus est, selon lui, un point animé qui est le cœur, au lieu qu’ici l’ébauche du fœtus existe en entier dans l’œuf avant qu’il ait été couvé, chose qui, comme l’on voit, est bien différente, et qui est en effet d’une conséquence infinie, tant par elle-même que par les inductions qu’on en doit tirer pour l’explication de la génération.

Après s’être assuré de ce fait important, Malpighi a examiné avec la même attention la cicatricule des œufs inféconds que la poule produit sans avoir eu de communication avec le mâle ; cette cicatricule, comme je l’ai dit, est plus petite que celle qu’on trouve dans les œufs féconds ; elle a souvent des circonscriptions irrégulières, et un tissu qui quelquefois est différent dans les cicatricules de différents œufs : assez près de son centre, au lieu d’une bulle qui renferme le fœtus, il y a un corps globuleux comme une môle, qui ne contient rien d’organisé, et qui étant ouvert ne présente rien de différent de la môle même, rien de formé ni d’arrangé ; seulement cette môle a des appendices qui sont remplis d’un suc assez épais, quoique transparent, et cette masse informe est enveloppée et environnée de plusieurs cercles concentriques.

Après six heures d’incubation, la cicatricule des œufs féconds a déjà augmenté considérablement ; on reconnaît aisément dans son centre la bulle formée par la membrane amnios, remplie d’une liqueur dans le milieu de laquelle on voit distinctement nager la tête du poulet jointe à l’épine du dos ; six heures après, tout se distingue plus clairement, parce que tout a grossi ; on reconnaît sans peine la tête et les vertèbres de l’épine. Six heures encore après, c’est-à-dire au bout de dix-huit heures d’incubation, la tête a grossi et l’épine s’est allongée, et au bout de vingt-quatre heures la tête du poulet paraît s’être recourbée, et l’épine du dos paraît toujours de couleur blanchâtre ; les vertèbres sont disposées des deux côtés du milieu de l’épine, comme de petits globules, et presque dans le même temps on voit paraître le commencement des ailes ; la tête, le col et la poitrine s’allongent ; après trente heures d’incubation il ne paraît rien de nouveau, mais tout s’est augmenté, et surtout la membrane amnios ; on remarque autour de cette membrane les vaisseaux ombilicaux qui sont d’une couleur obscure ; au bout de trente-huit heures, le poulet étant devenu plus fort, montre une tête assez grosse dans laquelle on distingue trois vésicules entourées de membranes qui enveloppent aussi l’épine du dos, à travers lesquelles on voit cependant très bien les vertèbres. Au bout de quarante heures c’était, dit notre observateur, une chose admirable que de voir le poulet vivant dans la liqueur enfermée par l’amnios ; l’épine du dos s’était épaissie, la tête s’était courbée, les vésicules du cerveau étaient moins découvertes, les premières ébauches des yeux paraissaient, le cœur battait et le sang circulait déjà. Malpighi donne ici la description des vaisseaux et de la route du sang, et il croit avec raison que, quoique le cœur ne batte pas avant les trente-huit ou quarante heures d’incubation, il ne laisse pas d’exister auparavant, comme tout le reste du corps du poulet, et en examinant séparément le cœur dans une chambre assez obscure, il n’a jamais vu qu’il produisit la moindre étincelle de lumière, comme Harvey paraît l’insinuer.

Au bout de deux jours on voit la bulle ou la membrane amnios remplie d’une liqueur assez abondante dans laquelle est le poulet : la tête, composée de vésicules, est courbée, l’épine du dos s’est allongée, et les vertèbres paraissent s’allonger aussi, le cœur, qui pend hors de la poitrine, bat trois fois de suite, car l’humeur qu’il contient est poussée de la veine par l’oreillette dans les ventricules du cœur, des ventricules dans les artères, et enfin dans les vaisseaux ombilicaux. Il remarque qu’ayant alors séparé le poulet du blanc de son œuf, le mouvement du cœur ne laissa pas de continuer et de durer un jour entier. Après deux jours et quatorze heures, ou soixante-deux heures d’incubation, le poulet, quoique devenu plus fort, demeure toujours la tête penchée dans la liqueur contenue par l’amnios ; on voit des veines et des artères qui arrosent les vésicules du cerveau, on voit les linéaments des yeux et ceux de la moelle de l’épine qui s’étend le long des vertèbres, et tout le corps du poulet est comme enveloppé d’une partie de cette liqueur qui a pris alors plus de consistance que le reste. Au bout de trois jours le corps du poulet paraît courbé ; on voit dans la tête, outre les deux yeux, cinq vésicules remplies d’humeur, lesquelles dans la suite forment le cerveau ; on voit aussi les premières ébauches des cuisses et des ailes ; le corps commence à prendre de la chair, la prunelle des yeux se distingue, et on peut déjà reconnaître le cristallin et l’humeur vitrée. Après le quatrième jour, les vésicules du cerveau s’approchent de plus en plus les unes des autres, les éminences des vertèbres s’élèvent davantage, les ailes et les cuisses deviennent plus solides à mesure qu’elles s’allongent, tout le corps est recouvert d’une chair onctueuse, on voit sortir de l’abdomen les vaisseaux ombilicaux ; le cœur est caché en dedans, parce que la capacité de la poitrine est fermée par une membrane fort mince. Après le cinquième jour et à la fin du sixième les vésicules du cerveau commencent à se couvrir ; la moelle de l’épine s’étant divisée en deux parties commence à prendre de la solidité et à s’avancer le long du tronc, les ailes et les cuisses s’allongent, et les pieds s’étendent ; le bas-ventre est formé et tuméfié ; on voit le foie fort distinctement, il n’est pas encore rouge, mais de blanchâtre qu’il était auparavant il est alors devenu de couleur obscure ; le cœur bat dans ses deux ventricules ; le corps du poulet est recouvert de la peau, et l’on y distingue déjà les points de la naissance des plumes. Le septième jour la tête du poulet est fort grosse ; le cerveau paraît recouvert de ses membranes ; le bec se voit très bien entre les deux yeux ; les ailes, les cuisses et les pieds ont acquis leur figure parfaite ; le cœur paraît alors être composé de deux ventricules, comme de deux bulles contiguës et réunies à la partie supérieure avec le corps des oreillettes, et on remarque deux mouvements successifs dans les ventricules aussi bien que dans les oreillettes ; c’est comme s’il y avait deux cœurs séparés.

Je ne suivrai pas plus loin Malpighi : le reste n’est qu’un développement plus grand des parties, qui se fait jusqu’au vingt et unième jour que le poulet casse sa coquille après avoir pipé ; le cœur est le dernier à prendre la forme qu’il doit avoir, et à se réunir en deux ventricules ; car le poumon paraît à la fin du neuvième jour, il est alors de couleur blanchâtre, et le dixième jour les muscles des ailes paraissent, les plumes sortent, et ce n’est qu’au onzième jour qu’on voit des artères, qui auparavant étaient éloignées du cœur, s’y attacher, comme les doigts à la main, et qu’il est parfaitement conformé et réuni en deux ventricules.

On est maintenant en état de juger sainement de la valeur des expériences d’Harvey ; il y a grande apparence que ce fameux anatomiste ne s’est pas servi de microscope, qui à la vérité n’était pas perfectionné de son temps, car il n’aurait pas assuré, comme il l’a fait, que la cicatricule d’un œuf infécond et celle d’un œuf fécond n’avaient aucune différence ; il n’aurait pas dit que la semence du mâle ne produit aucune altération dans l’œuf, et qu’elle ne forme rien dans cette cicatricule ; il n’aurait pas dit qu’on ne voit rien avant la fin du troisième jour, et que ce qui paraît le premier est un point animé dans lequel il croit que s’est changé le point blanc ; il aurait vu que ce point blanc était une bulle qui contient l’ouvrage entier de la génération, et que toutes les parties du fœtus y sont ébauchées au moment que la poule a eu communication avec le coq ; il aurait reconnu de même que sans cette communication elle ne contient qu’une môle informe qui ne peut devenir animée, parce qu’en effet elle n’est pas organisée comme un animal, et que ce n’est que quand cette môle, qu’on doit regarder comme un assemblage des parties organiques de la semence de la femelle, est pénétrée par les parties organiques de la semence du mâle qu’il en résulte un animal, qui dès ce moment est formé, mais dont le mouvement est encore imperceptible, et ne se découvre qu’au bout de quarante heures d’incubation ; il n’aurait pas assuré que le cœur est formé le premier, que les autres parties viennent s’y joindre par juxtaposition, puisqu’il est évident, par les observations de Malpighi, que les ébauches de toutes les parties sont toutes formées d’abord, mais que ces parties paraissent à mesure qu’elles se développent ; enfin s’il eût vu ce que Malpighi a vu, il n’aurait pas dit affirmativement qu’il ne restait aucune impression de la semence du mâle dans les œufs, et que ce n’était que par contagion qu’ils sont fécondés, etc.

Il est bon de remarquer aussi que ce que dit Harvey au sujet des parties de la génération du coq n’est point exact ; il semble assurer que le coq n’a point de membre génital et qu’il n’y a point d’intromission : cependant il est certain que cet animal a deux verges au lieu d’une, et qu’elles agissent toutes deux en même temps dans l’acte du coït, qui est au moins une forte compression, si ce n’est pas un vrai accouplement avec intromission. (Voyez Regn. Graaf, p. 242.) C’est par ce double organe que le coq répand la liqueur séminale dans la matrice de la poule.

Comparons maintenant les expériences qu’Harvey a faites sur les biches avec celles de Graaf sur les femelles des lapins ; nous verrons que, quoique Graaf croie, comme Harvey, que tous les animaux viennent d’un œuf, il y a une grande différence dans la façon dont ces deux anatomistes ont vu les premiers degrés de la formation, ou plutôt du développement du fœtus des vivipares.

Après avoir fait tous ses efforts pour établir, par plusieurs raisonnements tirés de l’anatomie comparée, que les testicules des femelles vivipares sont de vrais ovaires, Graaf explique comment les œufs qui se détachent de ces ovaires tombent dans les cornes de la matrice, et ensuite il rapporte ce qu’il a observé sur une lapine qu’il a disséquée une demi-heure après l’accouplement. Les cornes de la matrice, dit-il, étaient plus rouges, il n’y avait aucun changement aux ovaires, non plus qu’aux œufs qu’ils contiennent, et il n’y avait aucune apparence de semence du mâle, ni dans le vagin, ni dans la matrice, ni dans les cornes de la matrice.

Ayant disséqué une autre lapine six heures après l’accouplement, il observa que les follicules ou enveloppes qui, selon lui, contiennent les œufs dans l’ovaire, étaient devenues rougeâtres ; il ne trouva de semence du mâle ni dans les ovaires, ni ailleurs. Vingt-quatre heures après l’accouplement, il en disséqua une troisième, et il remarqua dans l’un des ovaires trois, et dans l’autre cinq follicules altérés ; car de clairs et limpides qu’ils sont auparavant, ils étaient devenus opaques et rougeâtres. Dans une autre, disséquée vingt-sept heures après l’accouplement, les cornes de la matrice et les conduits supérieurs qui y aboutissent étaient encore plus rouges, et l’extrémité de ces conduits enveloppait l’ovaire de tous côtés. Dans une autre qu’il ouvrit quarante heures après l’accouplement, il trouva dans l’un des ovaires sept, et dans l’autre trois follicules altérés. Cinquante-deux heures après l’accouplement il en disséqua une autre, dans les ovaires de laquelle il trouva un follicule altéré dans l’un, et quatre follicules altérés dans l’autre ; et ayant examiné de près et ouvert ces follicules, il y trouva une matière presque glanduleuse dans le milieu de laquelle il y avait une petite cavité où il ne remarqua aucune liqueur sensible, ce qui lui fit soupçonner que la liqueur limpide et transparente que ces follicules contiennent ordinairement, et qui est enveloppée, dit-il, de ses propres membranes, pouvait en avoir été chassée et séparée par une espèce de rupture ; il chercha donc cette matière dans les conduits qui aboutissent aux cornes de la matrice, et dans ces cornes mêmes, mais il n’y trouva rien ; il reconnut seulement que la membrane intérieure des cornes de la matrice était fort enflée. Dans une autre, disséquée trois jours après l’accouplement, il observa que l’extrémité supérieure du conduit qui aboutit aux cornes de la matrice embrassait étroitement de tous côtés l’ovaire ; et l’ayant séparée de l’ovaire, il remarqua dans l’ovaire droit trois follicules un peu plus grands et plus durs qu’auparavant ; et ayant cherché avec grand soin dans les conduits dont nous avons parlé, il trouva, dit-il, dans le conduit qui est à droite un œuf, et dans la corne droite de la matrice deux autres œufs, si petits qu’ils n’étaient pas plus gros que des grains de moutarde ; ces petits œufs avaient chacun deux membranes qui les enveloppaient, et l’intérieur était rempli d’une liqueur très limpide. Ayant examiné l’autre ovaire, il y aperçut quatre follicules altérés ; mais des quatre il y en avait trois qui étaient plus blancs et qui avaient aussi un peu de liqueur limpide dans leur milieu, tandis que le quatrième était plus obscur et ne contenait aucune liqueur, ce qui lui fit juger que l’œuf s’était séparé de ce dernier follicule ; et en effet, ayant cherché dans le conduit qui y répond et dans la corne de la matrice à laquelle ce conduit aboutit, il trouva un œuf dans l’extrémité supérieure de la corne, et cet œuf était absolument semblable à ceux qu’il avait trouvés dans la corne droite. Il dit que les œufs qui sont séparés de l’ovaire sont plus de dix fois plus petits que ceux qui y sont encore attachés, et il croit que cette différence vient de ce que les œufs, lorsqu’ils sont dans les ovaires, renferment encore une autre matière qui est cette substance glanduleuse qu’il a remarquée dans les follicules. On verra tout à l’heure combien cette opinion est éloignée de la vérité.

Quatre jours après l’accouplement, il en ouvrit une autre, et il trouva dans l’un des ovaires quatre, et dans l’autre ovaire trois follicules vides d’œufs ; et dans les cornes correspondantes à ces ovaires il trouva ces quatre œufs d’un côté, et les trois autres de l’autre ; ces œufs étaient plus gros que les premiers qu’il avait trouvés trois jours après l’accouplement ; ils étaient à peu près de la grosseur du plus petit plomb dont on se sert pour tirer aux petits oiseaux[3], et il remarqua que dans ces œufs la membrane intérieure était séparée de l’extérieure, et qu’il paraissait comme un second œuf dans le premier. Dans une autre, qui fut disséquée cinq jours après l’accouplement, il trouva dans les ovaires six follicules vides, et autant d’œufs dans la matrice, à laquelle ils étaient si peu adhérents qu’on pouvait, en soufflant dessus, les faire aller où on voulait ; ces œufs étaient de la grosseur du plomb qu’on appelle communément du plomb à lièvre ; la membrane intérieure y était plus apparente que dans les précédents. En ayant ouvert une autre six jours après l’accouplement, il trouva dans l’un des ovaires six follicules vides, mais seulement cinq œufs dans la corne correspondante de la matrice ; ces cinq œufs étaient tous cinq comme accumulés dans un petit monceau ; dans l’autre ovaire, il vit quatre follicules vides, et dans la corne correspondante de la matrice il ne trouva qu’un œuf. (Je remarquerai en passant que Graaf a eu tort de prétendre que le nombre des œufs, ou plutôt des fœtus, répondait toujours au nombre des cicatrices ou follicules vides de l’ovaire, puisque ses propres observations prouvent le contraire.) Ces œufs étaient de la grosseur du gros plomb à giboyer, ou d’une petite chevrotine. Sept jours après l’accouplement, ayant ouvert une autre lapine, notre anatomiste trouva dans les ovaires quelques follicules vides, plus grands, plus rouges et plus durs que tous ceux qu’il avait observés auparavant, et il aperçut alors autant de tumeurs transparentes, ou, si l’on veut, autant de cellules dans différents endroits de la matrice, et les ayant ouvertes, il en tira les œufs qui étaient gros comme des petites balles de plomb, appelées vulgairement des postes ; la membrane intérieure était plus apparente qu’elle ne l’avait encore été, et au dedans de cette membrane il n’aperçut rien qu’une liqueur très limpide : les prétendus œufs, comme l’on voit, avaient en très peu de temps tiré du dehors une grande quantité de liqueur, et s’étaient attachés à la matrice. Dans une autre, qu’il disséqua huit jours après l’accouplement, il trouva dans la matrice les tumeurs ou cellules qui contiennent les œufs, mais ils étaient trop adhérents, il ne put les en détacher. Dans une autre, qu’il ouvrit neuf jours après l’accouplement, il trouva les cellules qui contiennent les œufs fort augmentées, et dans l’intérieur de l’œuf, qui ne peut plus se détacher, il vit la membrane intérieure contenant à l’ordinaire une liqueur très claire, mais il aperçut dans le milieu de cette liqueur un petit nuage délié. Dans une autre, disséquée dix jours après l’accouplement, ce petit nuage s’était épaissi et formait un corps oblong de la figure d’un petit ver. Enfin douze jours après l’accouplement, il reconnut distinctement l’embryon qui, deux jours auparavant, ne présentait que la figure d’un corps oblong ; il était même si apparent qu’on pouvait en distinguer les membres : dans la région de la poitrine il aperçut deux points sanguins et deux autres points blancs, et dans l’abdomen une substance mucilagineuse un peu rougeâtre. Quatorze jours après l’accouplement, la tête de l’embryon était grosse et transparente, les yeux proéminents, la bouche ouverte, l’ébauche des oreilles paraissait, l’épine du dos, de couleur blanchâtre, était recourbée vers le sternum, il en sortait de chaque côté de petits vaisseaux sanguins dont les ramifications s’étendaient sur le dos et jusqu’aux pieds ; les deux points sanguins avaient grossi considérablement et se présentaient comme les ébauches des ventricules du cœur ; à côté de ces deux points sanguins on voyait deux points blancs qui étaient les ébauches des poumons ; dans l’abdomen on voyait l’ébauche du foie qui était rougeâtre, et un petit corpuscule tortillé comme un fil, qui était celle de l’estomac et des intestins : après cela ce n’est plus qu’un accroissement et un développement de toutes ces parties, jusqu’au trente et unième jour, que la femelle du lapin met bas ses petits.

De ces expériences Graaf conclut que toutes les femelles vivipares ont des œufs, que ces œufs sont contenus dans les testicules qu’il appelle ovaires, qu’ils ne peuvent s’en détacher qu’après avoir été fécondés par la semence du mâle, et il dit qu’on se trompe lorsqu’on croit que dans les femmes et les filles il se détache très souvent des œufs de l’ovaire : il paraît persuadé que jamais les œufs ne se séparent de l’ovaire qu’après leur fécondation par la liqueur séminale du mâle, ou plutôt par l’esprit de cette liqueur, parce que, dit-il, la substance glanduleuse, au moyen de laquelle les œufs sortent de leurs follicules, n’est produite qu’après une copulation qui doit avoir été féconde. Il prétend aussi que tous ceux qui ont cru avoir vu des œufs de deux ou trois jours déjà gros se sont trompés, parce que les œufs, selon lui, restent plus de temps dans l’ovaire, quoique fécondés, et qu’au lieu d’augmenter d’abord, ils diminuent au contraire jusqu’à devenir dix fois plus petits qu’ils n’étaient, et que ce n’est que quand ils sont descendus des ovaires dans la matrice qu’ils commencent à reprendre de l’accroissement.

En comparant ces observations avec celles d’Harvey, on reconnaîtra aisément que les premiers et principaux faits lui avaient échappé ; et quoiqu’il y ait plusieurs erreurs dans les raisonnements et plusieurs fautes dans les expériences de Graaf, cependant cet anatomiste, aussi bien que Malpighi, ont tous deux mieux vu qu’Harvey ; ils sont assez d’accord sur le fond des observations, et tous deux ils sont contraires à Harvey : celui-ci ne s’est pas aperçu des altérations qui arrivent à l’ovaire ; il n’a pas vu dans la matrice les petits globules qui contiennent l’œuvre de la génération, et que Graaf appelle des œufs ; il n’a pas même soupçonné que le fœtus pouvait être tout entier dans cet œuf ; et quoique ses expériences nous donnent assez exactement ce qui arrive dans le temps de l’accroissement du fœtus, elles ne nous apprennent rien, ni du moment de la fécondation, ni du premier développement. Schrader, médecin hollandais, qui a fait un extrait fort ample du livre d’Harvey, et qui avait une grande vénération pour cet anatomiste, avoue lui-même qu’il ne faut pas s’en fier à Harvey sur beaucoup de choses, et surtout sur ce qu’il dit des premiers temps de la fécondation, et qu’en effet le poulet est dans l’œuf avant l’incubation, et que c’est Joseph de Aromatariis qui l’a observé le premier, etc. (Voyez Obs. Justi Schraderi, Amst., 1674, in præfatione.) Au reste, quoique Harvey ait prétendu que tous les animaux venaient d’un œuf, il n’a pas cru que les testicules des femmes continssent des œufs : ce n’est que par une comparaison du sac qu’il croyait avoir vu se former dans la matrice des vivipares avec le revêtement et l’accroissement des œufs dans celle des ovipares, qu’il a dit que tous venaient d’un œuf, et il n’a fait que répéter à cet égard ce qu’Aristote avait dit avant lui. Le premier qui ait découvert les prétendus œufs dans les ovaires des femelles est Stenon : dans la dissection qu’il fit d’un chien de mer femelle, il vit, dit-il, des œufs dans les testicules, quoique cet animal soit, comme l’on sait, vivipare ; et il ajoute qu’il ne doute pas que les testicules des femmes ne soient analogues aux ovaires des ovipares, soit que les œufs des femmes tombent, de quelque façon que ce puisse être, dans la matrice, soit qu’il n’y tombe que la matière contenue dans ces œufs. Cependant, quoique Stenon soit le premier auteur de la découverte de ces prétendus œufs, Graaf a voulu se l’attribuer, et Swammerdam la lui a disputée, même avec aigreur ; il a prétendu que Van-Hom avait aussi reconnu ces œufs avant Graaf : il est vrai qu’on peut reprocher à ce dernier d’avoir assuré positivement plusieurs choses que l’expérience a démenties, et d’avoir prétendu qu’on pouvait juger du nombre des fœtus contenus dans la matrice par le nombre des cicatrices ou follicules vides de l’ovaire, ce qui n’est point vrai, comme on peut le voir par les expériences de Verrheyen (t. II, chap. iii, édit. de Bruxelles, 1710), par celles de M. Méry (Hist. de l’Acad., 1701), et par quelques-unes des propres expériences de Graaf, où, comme nous l’avons remarqué, il s’est trouvé moins d’œufs dans la matrice que de cicatrices sur les ovaires. D’ailleurs, nous ferons voir que ce qu’il dit sur la séparation des œufs et sur la manière dont ils descendent dans la matrice n’est point exact, que même il n’est point vrai que ces œufs existent dans les testicules des femelles, qu’on ne les a jamais vus, que ce qu’on voit dans la matrice n’est point un œuf, et que rien n’est plus mal fondé que les systèmes qu’on a voulu établir sur les observations de ce fameux anatomiste.

Cette prétendue découverte des œufs dans les testicules des femelles attira l’attention de la plupart des autres anatomistes ; ils ne trouvèrent cependant que des vésicules dans les testicules de toutes les femelles vivipares sur lesquelles ils purent faire des observations, mais ils n’hésitèrent pas à regarder ces vésicules comme des œufs ; ils donnèrent aux testicules le nom d’ovaires, et aux vésicules qu’ils contiennent le nom d’œufs ; ils dirent aussi, comme Graaf, que dans le même ovaire ces œufs sont de différentes grosseurs, que les plus gros dans les ovaires des femmes ne sont pas de la grosseur d’un petit pois, qu’ils sont très petits dans les jeunes personnes de quatorze ou quinze ans, mais que l’âge et l’usage des hommes les fait grossir ; qu’on en peut compter plus de vingt dans chaque ovaire ; que ces œufs sont fécondés dans l’ovaire par la partie spiritueuse de la liqueur séminale du mâle, qu’ensuite ils se détachent et tombent dans la matrice par les trompes de Fallope, où le fœtus est formé de la substance intérieure de l’œuf, et le placenta de la matière extérieure ; que la substance glanduleuse qui n’existe dans l’ovaire qu’après une copulation féconde ne sert qu’à comprimer l’œuf et à le faire sortir hors de l’ovaire, etc. Mais Malpighi, ayant examiné les choses de plus près, me paraît avoir fait à l’égard de ces anatomistes ce qu’il avait fait à l’égard d’Harvey au sujet du poulet dans l’œuf : il a été beaucoup plus loin qu’eux, et quoiqu’il ait corrigé plusieurs erreurs avant même qu’elles fussent reçues, la plupart des physiciens n’ont pas laissé d’adopter le sentiment de Graaf et des anatomistes dont nous venons de parler, sans faire attention aux observations de Malpighi, qui cependant sont très importantes, et auxquelles son disciple Valisnieri a donné beaucoup de poids.

Valisnieri est de tous les naturalistes celui qui a parlé le plus à fond sur le sujet de la génération ; il a rassemblé tout ce qu’on avait découvert avant lui sur cette matière, et ayant lui-même, à l’exemple de Malpighi, fait un nombre infini d’observations, il me paraît avoir prouvé bien clairement que les vésicules qu’on trouve dans les testicules de toutes les femelles ne sont pas des œufs, que jamais ces vésicules ne se détachent du testicule, et qu’elles ne sont autre chose que les réservoirs d’une lymphe ou d’une liqueur qui doit contribuer, dit-il, à la génération et à la fécondation d’un autre œuf, ou de quelque chose de semblable à un œuf, qui contient le fœtus tout formé. Nous allons rendre compte des expériences et des remarques de ces deux auteurs, auxquelles on ne saurait donner trop d’attention.

Malpighi, ayant examiné un grand nombre de testicules de vaches et de quelques autres femelles d’animaux, assure avoir trouvé dans tous ces testicules des vésicules de différentes grosseurs, soit dans les femelles encore fort jeunes, soit dans les femelles adultes ; ces vésicules sont toutes enveloppées d’une membrane assez épaisse, dans l’intérieur de laquelle il y a des vaisseaux sanguins, et elles sont remplies d’une espèce de lymphe ou de liqueur qui se durcit et se caille par la chaleur du feu, comme le blanc d’œuf.

Avec le temps on voit croître un corps ferme et jaune qui est adhérent au testicule, qui est proéminent et qui augmente si fort qu’il devient de la grandeur d’une cerise, et qu’il occupe la plus grande partie du testicule. Ce corps est composé de plusieurs petits lobes anguleux dont la position est assez irrégulière, et il est couvert d’une tunique semée de vaisseaux sanguins et de nerfs. L’apparence et la forme intérieure de ce corps jaune ne sont pas toujours les mêmes, mais elles varient en différents temps ; lorsqu’il n’est encore que de la grosseur d’un grain de millet, il a à peu près la forme d’un paquet globuleux dont l’intérieur ne paraît être que comme un tissu variqueux. Très souvent on remarque une enveloppe extérieure qui est composée de la substance même du corps jaune, autour des vésicules du testicule.

Lorsque ce corps jaune est devenu à peu près de la grandeur d’un pois, il a la figure d’une poire, et en dedans vers son centre il a une petite cavité remplie de liqueur ; quand il est parvenu à la grosseur d’une cerise, il contient une cavité pleine de liqueur. Dans quelques-uns de ces corps jaunes, lorsqu’ils sont parvenus à leur entière maturité, on voit, dit Malpighi, vers le centre, un petit œuf avec ces appendices, de la grosseur d’un grain de millet, et lorsqu’ils ont jeté leur œuf on voit ces corps épuisés et vides ; ils ressemblent alors à un canal caverneux, dans lequel on peut introduire un stylet, et la cavité qu’ils renferment et qui s’est vidée est de la grandeur d’un pois. On remarquera ici que Malpighi dit n’avoir vu que quelquefois un œuf de la grosseur d’un grain de millet dans quelques-uns de ces corps jaunes ; on verra, par ce que nous rapporterons dans la suite, qu’il s’est trompé, et qu’il n’y a jamais d’œuf dans cette cavité, ni rien qui y ressemble. Il croit que l’usage de ce corps jaune et glanduleux, que la nature produit et fait paraître dans de certains temps, est de conserver l’œuf et de le faire sortir du testicule, qu’il appelle l’ovaire, et peut-être de contribuer à la génération même de l’œuf ; par conséquent, dit-il, les vésicules de l’ovaire qu’on y remarque en tout temps, et qui en tout temps aussi sont de différentes grandeurs, ne sont pas les véritables œufs qui doivent être fécondés, et ces vésicules ne servent qu’à la production du corps jaune où l’œuf doit se former. Au reste, quoique ce corps jaune ne se trouve pas en tout temps et dans tous les testicules, on en trouve cependant toujours les premières ébauches, et notre observateur en a trouvé des indices dans de jeunes génisses nouvellement nées, dans des vaches qui étaient pleines, dans des femmes grosses, et il conclut, avec raison, que ce corps jaune et glanduleux n’est pas, comme l’a cru Graaf, un effet de la fécondation : selon lui cette substance jaune produit les œufs inféconds qui sortent de l’ovaire sans qu’il y ait communication avec le mâle ; et aussi les œufs féconds lorsqu’il y a eu communication ; de là ces œufs tombent dans les trompes, et tout le reste s’exécute comme Graaf l’a décrit.

Ces observations de Malpighi font voir que les testicules des femelles ne sont pas de vrais ovaires, comme la plupart des anatomistes le croyaient de son temps, et le croient encore aujourd’hui[NdÉ 6] ; que les vésicules qu’ils contiennent ne sont pas des œufs, que jamais ces vésicules ne sortent du testicule pour tomber dans la matrice, et que ces testicules sont, comme ceux du mâle, des espèces de réservoirs qui contiennent une liqueur qu’on doit regarder comme une semence de la femelle encore imparfaite, qui se perfectionne dans le corps jaune et glanduleux, en remplit ensuite la cavité intérieure, et se répand lorsque le corps glanduleux a acquis une entière maturité ; mais avant que de décider ce point important, il faut encore rapporter les observations de Valisnieri. On reconnaîtra que, quoique Malpighi et Valisnieri aient tous deux fait de bonnes observations, ils ne les ont pas poussées assez loin, et qu’ils n’ont pas tiré de ce qu’ils ont fait les conséquences que leurs observations produisaient naturellement, parce qu’étant tous deux fortement prévenus du système des œufs et du fœtus préexistant dans l’œuf, le premier croyait avoir vu l’œuf dans la liqueur contenue dans la cavité du corps jaune, et le second, n’ayant jamais pu y voir cet œuf, n’a pas laissé de croire qu’il y était, parce qu’il fallait bien qu’il fût quelque part, et qu’il ne pouvait être nulle part ailleurs.

Valisnieri commença ses observations en 1692 sur des testicules de truie : ces testicules ne sont pas composés comme ceux des vaches, des brebis, des juments, des chiennes, des ânesses, des chèvres ou des femmes, et comme ceux de beaucoup d’autres animaux femelles vivipares, car ils ressemblent à une petite grappe de raisin ; les grains sont ronds, proéminents en dehors ; entre ces grains, il y en a de plus petits qui sont de la même espèce que les grands, et qui n’en diffèrent que parce qu’ils ne sont pas arrivés à leur maturité : ces grains ne paraissent pas être enveloppés d’une membrane commune ; ils sont, dit-il, dans les truies, ce que sont dans les vaches les corps jaunes que Malpighi a observés ; ils sont ronds, d’une couleur qui tire sur le rouge, leur surface est parsemée de vaisseaux sanguins comme les œufs des ovipares, et tous ces grains ensemble forment une masse plus grosse que l’ovaire. On peut, avec un peu d’adresse et en coupant la membrane tout autour, séparer un à un ces grains et les tirer de l’ovaire, où ils laissent chacun leur niche.

Ces corps glanduleux ne sont pas absolument de la même couleur dans toutes les truies ; dans les unes ils sont plus rouges, dans d’autres ils sont plus clairs, et il y en a de toute grosseur, depuis la plus petite jusqu’à celle d’un grain de raisin ; en les ouvrant on trouve dans leur intérieur une cavité triangulaire, plus ou moins grande, remplie d’une lymphe ou d’une liqueur très limpide, qui se caille par le feu, et devient blanche comme celle qui est contenue dans les vésicules. Valisnieri espérait trouver l’œuf dans quelques-unes de ces cavités, et surtout dans celles qui étaient les plus grandes, mais il ne le trouva pas, quoiqu’il le cherchât avec grand soin, d’abord dans tous les corps glanduleux des ovaires de quatre truies différentes, et ensuite dans une infinité d’autres ovaires de truies et d’autres animaux ; jamais il ne put trouver l’œuf que Malpighi dit avoir trouvé une fois ou deux : mais voyons la suite des observations.

Au-dessous de ces corps glanduleux on voit les vésicules de l’ovaire qui sont en plus grand et en plus petit nombre ; selon et à mesure que les corps glanduleux grossissent, les vésicules diminuent. Les unes de ces vésicules sont grosses comme une lentille, et les autres comme un grain de millet ; dans les testicules crus on pourrait en compter vingt, trente ou trente-cinq, mais lorsqu’on les fait cuire on en voit un plus grand nombre, et elles sont si adhérentes dans l’intérieur du testicule, et si fortement attachées avec des fibres et des vaisseaux membraneux qu’il n’est pas possible de les séparer du testicule sans rupture des uns ou des autres.

Ayant examiné les testicules d’une truie qui n’avait pas encore porté, il y trouva, comme dans les autres, les corps glanduleux, et dans leur intérieur la cavité triangulaire remplie de lymphe, mais jamais d’œufs ni dans les unes ni dans les autres : les vésicules de cette truie qui n’avait pas porté étaient en plus grand nombre que celles des testicules des truies qui avaient déjà porté ou qui étaient pleines. Dans les testicules d’une autre truie qui était pleine, et dont les petits étaient déjà gros, notre observateur trouva deux corps glanduleux des plus grands, qui étaient vides et affaissés, et d’autres plus petits qui étaient dans l’état ordinaire ; et, ayant disséqué plusieurs autres truies pleines, il observa que le nombre des corps glanduleux était toujours plus grand que celui des fœtus, ce qui confirme ce que nous avons dit au sujet des observations de Graaf, et nous prouve qu’elles ne sont point exactes à cet égard, ce qu’il appelle follicules de l’ovaire n’étant que les corps glanduleux dont il est ici question, et leur nombre étant toujours plus grand que celui des fœtus. Dans les ovaires d’une jeune truie qui n’avait que quelques mois, les testicules étaient d’une grosseur convenable, et semés de vésicules assez gonflées ; entre ces vésicules on voyait la naissance de quatre corps glanduleux dans l’un des testicules, et de sept autres corps glanduleux dans l’autre testicule.

Après avoir fait ces observations sur les testicules des truies, Valisnieri répéta celles de Malpighi sur les testicules des vaches, et il trouva que tout ce qu’il avait dit était conforme à la vérité ; seulement Valisnieri avoue qu’il n’a jamais pu trouver l’œuf que Malpighi croyait avoir aperçu une fois ou deux dans la cavité intérieure du corps glanduleux, et les expériences multipliées que Valisnieri rapporte sur les testicules des femelles de plusieurs espèces d’animaux, qu’il faisait à dessein de trouver l’œuf, sans jamais avoir pu y réussir, auraient dû le porter à douter de l’existence de cet œuf prétendu ; cependant on verra que, contre ses propres expériences, le préjugé où il était du système des œufs lui a fait admettre l’existence de cet œuf, qu’il n’a jamais vu et que jamais personne ne verra. On peut dire qu’il n’est guère possible de faire un plus grand nombre d’expériences, ni de les faire mieux qu’il les a faites ; car il ne s’est pas borné à celles que nous venons de rapporter, il en a fait plusieurs sur les testicules des brebis, et il observe comme une chose particulière à cette espèce d’animal qu’il n’y a jamais plus de corps glanduleux sur les testicules que de fœtus dans la matrice ; dans les jeunes brebis qui n’ont pas porté, il n’y a qu’un corps glanduleux dans chaque testicule, et lorsque ce corps est épuisé, il s’en forme un autre, et si une brebis ne porte qu’un seul fœtus dans sa matrice, il n’y a qu’un seul corps glanduleux dans les testicules ; si elle a deux fœtus, elle a aussi deux corps glanduleux : ce corps occupe la plus grande partie du testicule, et après qu’il est épuisé et qu’il s’est évanoui, il en pousse un autre qui doit servir à une autre génération.

Dans les testicules d’une ânesse il trouva des vésicules grosses comme de petites cerises, ce qui prouve évidemment que ces vésicules ne sont pas les œufs, puisque étant de cette grosseur, quand même elles pourraient se détacher du testicule, elles ne pourraient pas entrer dans les cornes de la matrice, qui sont, dans cet animal, trop étroites pour les recevoir.

Les testicules des chiennes, des louves et des renards femelles ont à l’extérieur une enveloppe ou une espèce de capuchon ou de bourse produite par l’expansion de la membrane qui environne la corne de la matrice. Dans une chienne qui commençait à entrer en chaleur, et que le mâle n’avait pas encore approchée, Valisnieri trouva que cette bourse qui recouvre le testicule, et qui n’y est point adhérente, était baignée intérieurement d’une liqueur semblable à du petit-lait ; il y trouva deux corps glanduleux dans le testicule droit, qui avaient environ deux lignes de diamètre, et qui tenaient presque toute l’étendue de ce testicule. Ces corps glanduleux avaient chacun un petit mamelon dans lequel on voyait très distinctement une fente d’environ une demi-ligne de largeur, de laquelle il sortait, sans qu’il fût besoin de presser le mamelon, une liqueur semblable à du petit-lait assez clair, et lorsqu’on le pressait il en sortait une plus grande quantité, ce qui fit soupçonner à notre observateur que cette liqueur était la même que celle qu’il avait trouvée dans l’intérieur du capuchon. Il souffla dans cette fente par le moyen d’un petit tuyau, et dans l’instant le corps glanduleux se gonfla dans toutes ses parties, et y ayant introduit un fil de soie il pénétra aisément jusqu’au fond ; il ouvrit ces corps glanduleux dans le sens que le fil de soie y était entré, et il trouva dans leur intérieur une cavité considérable qui communiquait à la fente, et qui contenait aussi beaucoup de liqueur. Valisnieri espérait toujours qu’il pourrait enfin être assez heureux pour y trouver l’œuf, mais quelque recherche qu’il fît et quelque attention qu’il eût à regarder de tous côtés, il ne put jamais l’apercevoir ni dans l’un, ni dans l’autre de ces deux corps glanduleux. Au reste, il crut avoir remarqué que l’extrémité de leur mamelon par où s’écoulait la liqueur était resserrée par un sphincter qui, comme dans la vessie, servait à fermer ou à ouvrir le canal du mamelon ; il trouva aussi dans le testicule gauche deux corps glanduleux et les mêmes cavités, les mêmes mamelons, les mêmes canaux et la même liqueur qui en distille ; cette liqueur ne sortait pas seulement par cette extrémité du mamelon, mais aussi par une infinité d’autres petits trous de la circonférence du mamelon ; et n’ayant pu trouver l’œuf ni dans cette liqueur, ni dans la cavité qui la contient, il fit cuire deux de ces corps glanduleux, espérant que par ce moyen il pourrait reconnaître l’œuf, après lequel, dit-il, je soupirais ardemment ; mais ce fut en vain, car il ne trouva rien.

Ayant fait ouvrir une autre chienne qui avait été couverte depuis quatre ou cinq jours, il ne trouva aucune différence aux testicules, il y avait trois corps glanduleux faits comme les précédents, et qui de même laissaient distiller de la liqueur par les mamelons. Il chercha l’œuf avec grand soin partout, et il ne put le trouver ni dans ce corps glanduleux, ni dans les autres, qu’il examina avec la plus grande attention, et même à la loupe et au microscope ; il a reconnu seulement, avec ce dernier instrument, que ces corps glanduleux sont une espèce de lacis de vaisseaux formés d’un nombre infini de petites vésicules globuleuses qui servent à filtrer la liqueur qui remplit la cavité et qui sort par l’extrémité du mamelon.

Il ouvrit ensuite une autre chienne qui n’était pas en chaleur, et ayant essayé d’introduire de l’air entre le testicule et le capuchon qui le couvre, il vit que ce capuchon se dilatait très considérablement, comme se dilate une vessie enflée d’air. Ayant enlevé ce capuchon, il trouva sur le testicule trois corps glanduleux, mais ils étaient sans mamelon, sans fente apparente, et il n’en distillait aucune liqueur.

Dans une autre chienne qui avait mis bas deux mois auparavant et qui avait fait cinq petits chiens, il trouva cinq corps glanduleux, mais fort diminués de volume, et qui commençaient à s’oblitérer, sans produire de cicatrices ; il restait encore dans leur milieu une petite cavité, mais elle était sèche et vide de toute liqueur.

Non content de ces expériences et de plusieurs autres que je ne rapporte pas, Valisnieri, qui voulait absolument trouver le prétendu œuf, appela les meilleurs anatomistes de son pays, entre autre M. Morgagni, et ayant ouvert une jeune chienne qui était en chaleur pour la première fois, et qui avait été couverte trois jours auparavant, ils reconnurent les vésicules des testicules, les corps glanduleux, leurs mamelons, leur canal et la liqueur qui en découle et qui est aussi dans leur cavité intérieure, mais jamais ils ne vinrent d’œuf dans aucun de ces corps glanduleux : il fit ensuite des expériences, dans le même dessein, sur des chamois femelles, sur des renards femelles, sur des chattes, sur un grand nombre de souris, etc. ; il trouva dans les testicules de tous ces animaux toujours les vésicules, souvent les corps glanduleux et la liqueur qu’ils contiennent, mais jamais il ne trouva d’œuf.

Enfin voulant examiner les testicules des femmes, il eut occasion d’ouvrir une jeune paysanne mariée depuis quelques années, qui s’était tuée en tombant d’un arbre ; quoiqu’elle fût d’un bon tempérament et que son mari fût robuste et de bon âge, elle n’avait point eu d’enfants ; il chercha si la cause de la stérilité de cette femme ne se découvrirait pas dans les testicules, et il trouva en effet que les vésicules étaient toutes remplies d’une matière noirâtre et corrompue.

Dans les testicules d’une fille de dix-huit ans qui avait été élevée dans un couvent, et qui, selon toutes les apparences, était vierge, il trouva le testicule droit un peu plus gros que le gauche ; il était de figure ovoïde, et sa superficie était un peu inégale ; cette inégalité était produite par la protubérance de cinq ou six vésicules de ce testicule, qui avançaient au dehors. On voyait du côté de la trompe une de ces vésicules qui était plus proéminente que les autres, et dont le mamelon avançait au dehors, à peu près comme dans les femelles des animaux lorsque commence la saison de leurs amours. Ayant ouvert cette vésicule, il en sortit un jet de lymphe ; il y avait autour de cette vésicule une matière glanduleuse en forme de demi-lune et d’une couleur jaune tirant sur le rouge ; il coupa transversalement le reste de ce testicule, où il vit beaucoup de vésicules remplies d’une liqueur limpide, et il remarqua que la trompe correspondante à ce testicule était fort rouge et un peu plus grosse que l’autre, comme il l’avait observé plusieurs fois sur les matrices des femelles d’animaux, lorsqu’elles sont en chaleur.

Le testicule gauche était aussi sain que le droit, mais il était plus blanc et plus uni à sa surface ; car quoiqu’il y eût quelques vésicules un peu proéminentes, il n’y en avait cependant aucune qui sortît en forme de mamelon ; elles étaient toutes semblables les unes aux autres et sans matière glanduleuse, et la trompe correspondante n’était ni gonflée, ni rouge.

Dans une petite fille de cinq ans il trouva les testicules avec leurs vésicules, leurs vaisseaux sanguins, leurs fibres et leurs nerfs.

Dans les testicules d’une femme de soixante ans il trouva quelques vésicules et les vestiges de l’ancienne substance glanduleuse, qui étaient comme autant de gros points d’une matière de couleur jaune brun et obscure.

De toutes ces observations, Valisnieri conclut que l’ouvrage de la génération se fait dans les testicules de la femelle, qu’il regarde toujours comme des ovaires, quoiqu’il n’y ait jamais trouvé d’œufs, et qu’il ait démontré au contraire que les vésicules ne sont pas des œufs ; il dit aussi qu’il n’est pas nécessaire que la semence du mâle entre dans la matrice pour féconder l’œuf ; il suppose que cet œuf sort par le mamelon du corps glanduleux après qu’il a été fécondé dans l’ovaire, que de là il tombe dans la trompe, où il ne s’attache pas d’abord, qu’il descend et s’augmente peu à peu, et qu’enfin il s’attache à la matrice. Il ajoute qu’il est persuadé que l’œuf est caché dans la cavité du corps glanduleux, et que c’est là où se fait tout l’ouvrage de la fécondation, « quoique, dit-il, ni moi ni aucun des anatomistes en qui j’ai eu pleine confiance n’ayons jamais vu ni trouvé cet œuf. »

Selon lui, l’esprit de la semence du mâle monte à l’ovaire, pénètre l’œuf, et donne le mouvement au fœtus qui est préexistant dans cet œuf. Dans l’ovaire de la première femme étaient contenus des œufs qui non seulement renfermaient en petit tous les enfants qu’elle a faits ou qu’elle pouvait faire, mais encore toute la race humaine, toute sa postérité jusqu’à l’extinction de l’espèce. Que si nous ne pouvons pas concevoir ce développement infini et cette petitesse extrême des individus contenus les uns dans les autres à l’infini, c’est, dit-il, la faute de notre esprit, dont nous reconnaissons tous les jours la faiblesse : il n’en est pas moins vrai que tous les animaux qui ont été, sont et seront, ont été créés tous à la fois, et tous renfermés dans les premières femelles. La ressemblance des enfants à leurs parents ne vient, selon lui, que de l’imagination de la mère ; la force de cette imagination est si grande et si puissante sur le fœtus qu’elle peut produire des taches, des monstruosités, des dérangements de parties, des accroissements extraordinaires, aussi bien que des ressemblances parfaites.

Ce système des œufs, par lequel, comme l’on voit, on ne rend raison de rien, et qui est si mal fondé, aurait cependant emporté les suffrages unanimes de tous les physiciens, si, dans les premiers temps qu’on a voulu l’établir, on n’eût pas fait un autre système fondé sur la découverte des animaux spermatiques.

Cette découverte, qu’on doit à Leeuwenhoek et à Hartsoeker, a été confirmée par Andry, Valisnieri, Bourguet, et par plusieurs autres observateurs. Je vais rapporter ce qu’ils ont dit de ces animaux spermatiques qu’ils ont trouvés dans la liqueur séminale de tous les animaux mâles : ils sont en si grand nombre que la semence paraît en être composée en entier, et Leeuwenhoek prétend en avoir vu plusieurs milliers dans une goutte plus petite que le plus petit grain de sable. On les trouve, disent ces observateurs, en nombre prodigieux dans tous les animaux mâles, et on n’en trouve aucun dans les femelles ; mais dans les mâles on les trouve, soit dans la semence répandue au dehors par les voies ordinaires, soit dans celle qui est contenue dans les vésicules séminales qu’on a ouvertes dans des animaux vivants. Il y en a moins dans la liqueur contenue dans les testicules que dans celle des vésicules séminales, parce qu’apparemment la semence n’y est pas encore entièrement perfectionnée. Lorsqu’on expose cette liqueur de l’homme à une chaleur, même médiocre, elle s’épaissit, le mouvement de tous ces animaux cesse assez promptement ; mais si on la laisse refroidir, elle se délaye et les animaux conservent leur mouvement longtemps, et jusqu’à ce que la liqueur vienne à s’épaissir par le dessèchement ; plus la liqueur est délayée, plus le nombre de ces animalcules paraît s’augmenter, et s’augmente en effet au point qu’on peut réduire et décomposer, pour ainsi dire, toute la substance de la semence en petits animaux, en la mêlant avec quelque liqueur délayante, comme avec de l’eau ; et lorsque le mouvement de ces animalcules est prêt à finir, soit à cause de la chaleur, soit par le dessèchement, ils paraissent se rassembler de plus près, et ils ont un mouvement commun de tourbillon dans le centre de la petite goutte qu’on observe, et ils semblent périr tous dans le même instant, au lieu que dans un plus grand volume de liqueur on les voit aisément périr successivement.

Ces animalcules sont, disent-ils, de différente figure dans les différentes espèces d’animaux ; cependant ils sont tous longs, menus et sans membres, ils se meuvent avec rapidité et en tous sens ; la matière qui contient ces animaux est, comme je l’ai dit, beaucoup plus pesante que le sang. De la semence de taureau a donné à Verheyen, par la chimie, d’abord du phlegme, ensuite une quantité assez considérable d’huile fétide, mais peu de sel volatil en proportion, et beaucoup plus de terre qu’il n’aurait cru. (Voyez Verheyen, Sup. anat., t. II, p. 69.) Cet auteur paraît surpris de ce qu’en rectifiant la liqueur distillée il ne put en tirer des esprits ; et, comme il était persuadé que la semence en contient une grande quantité, il attribue leur évaporation à leur trop grande subtilité ; mais ne peut-on pas croire, avec plus de fondement, qu’elle n’en contient que peu ou point du tout ? La consistance de cette matière et son odeur n’annoncent pas qu’il y ait des esprits ardents, qui d’ailleurs ne se trouvent en abondance que dans les liqueurs fermentées ; et à l’égard des esprits volatils, on sait que les cornes, les os et les autres parties solides des animaux en donnent plus que toutes les liqueurs du corps animal. Ce que les anatomistes ont donc appelé esprits séminaux, aura seminalis, pourrait bien ne pas exister, et certainement ce ne sont pas ces esprits qui agitent les particules qu’on voit se mouvoir dans les liqueurs séminales ; mais, pour qu’on soit plus en état de prononcer sur la nature de la semence et sur celle des animaux spermatiques, nous allons rapporter les principales observations qu’on a faites sur ce sujet.

Leeuwenhoek ayant observé la semence du coq y vit des animaux semblables par la figure aux anguilles de rivière, mais si petits qu’il prétend que cinquante mille de ces animalcules n’égalent pas la grosseur d’un grain de sable ; dans la semence du rat, il en faut plusieurs milliers pour faire l’épaisseur d’un cheveu, etc. Cet excellent observateur était persuadé que la substance entière de la semence n’est qu’un amas de ces animaux ; il a observé ces animalcules dans la semence de l’homme, des animaux quadrupèdes, des oiseaux, des poissons, des coquillages, des insectes ; ceux de la semence de la sauterelle sont longuets et fort menus ; ils paraissent attachés, dit-il, par leur extrémité supérieure, et leur autre extrémité, qu’il appelle leur queue, a un mouvement très vif, comme serait celui de la queue d’un serpent dont la tête et la partie supérieure du corps seraient immobiles. Lorsqu’on observe la semence dans des temps où elle n’est pas encore parfaite, par exemple, quelque temps avant que les animaux cherchent à se joindre, il prétend avoir vu les mêmes animalcules, mais sans aucun mouvement, au lieu que, quand la saison de leurs amours est arrivée, ces animalcules se remuent avec une grande vivacité.

Dans la semence de la grenouille mâle il les vit d’abord imparfaits et sans mouvement, et quelque temps après il les trouva vivants ; ils sont si petits qu’il en faut, dit-il, dix mille pour égaler la grosseur d’un seul œuf de la grenouille femelle. Au reste, ceux qu’il trouva dans les testicules de la grenouille n’étaient pas vivants, mais seulement ceux qui étaient dans la liqueur séminale en grand volume, où ils prenaient peu à peu la vie et le mouvement.

Dans la semence de l’homme et dans celle du chien, il prétend avoir vu des animaux de deux espèces, qu’il regarde, les uns comme mâles et les autres comme femelles, et ayant enfermé dans un petit verre de la semence de chien, il dit que le premier jour il mourut un grand nombre de ces petits animaux, que le second et le troisième jour il en mourut encore plus, qu’il en restait fort peu de vivants le quatrième jour, mais qu’ayant répété cette observation une seconde fois sur la semence du même chien, il y trouva encore au bout de sept jours des animalcules vivants, dont quelques-uns nageaient avec autant de vitesse qu’ils nagent ordinairement dans la semence nouvellement extraite de l’animal, et qu’ayant ouvert une chienne qui avait été couverte trois fois par le même chien quelque temps avant l’observation, il ne put apercevoir avec les yeux seuls, dans l’une des cornes de la matrice, aucune liqueur séminale du mâle, mais qu’au moyen du microscope il y trouva les animaux spermatiques du chien, qu’il les trouva aussi dans l’autre corne de la matrice, et qu’ils étaient en très grande quantité dans cette partie de la matrice qui est voisine du vagin, ce qui, dit-il, prouve évidemment que la liqueur séminale du mâle était entrée dans la matrice, ou du moins que les animaux spermatiques du chien y étaient arrivés par leur mouvement, qui peut leur faire parcourir quatre ou cinq pouces de chemin en une demi-heure. Dans la matrice d’une femelle de lapin qui venait de recevoir le mâle, il observa aussi une quantité infinie de ces animaux spermatiques du mâle ; il dit que le corps de ces animaux est rond, qu’ils ont de longues queues et qu’ils changent souvent de figure, surtout lorsque la matière humide, dans laquelle ils nagent, s’évapore et se dessèche.

Ceux qui prirent la peine de répéter les observations de Leeuwenhoek les trouvèrent assez conformes à la vérité ; mais il y en eut qui voulurent encore enchérir sur ses découvertes, et Dalenpatius ayant observé la liqueur séminale de l’homme prétendit non seulement y avoir trouvé des animaux semblables aux têtards qui doivent devenir des grenouilles, dont le corps lui parut à peu près gros comme un grain de froment, dont la queue était quatre ou cinq fois plus longue que le corps, qui se mouvaient avec une grande agilité et frappaient avec la queue la liqueur dans laquelle ils nageaient ; mais, chose plus merveilleuse, il vit un de ces animaux se développer ou plutôt quitter son enveloppe ; ce n’était plus un animal, c’était un corps humain dont il distingua très bien, dit-il, les deux jambes, les deux bras, la poitrine et la tête, à laquelle l’enveloppe servait de capuchon. (Voyez Nouvelles de la Répub. des lettres, année 1699, page 552.) Mais, par les figures mêmes que cet auteur a données de ce prétendu embryon qu’il a vu sortir de son enveloppe, il est évident que le fait est faux ; il a cru voir ce qu’il dit, mais il s’est trompé, car cet embryon, tel qu’il le décrit, aurait été plus formé au sortir de son enveloppe, et en quittant sa condition de ver spermatique, qu’il ne l’est en effet au bout d’un mois ou de cinq semaines dans la matrice même de la mère ; aussi cette observation de Dalenpatius, au lieu d’avoir été confirmée par d’autres observations, a été rejetée de tous les naturalistes, dont les plus exacts et les plus exercés à observer n’ont vu dans cette liqueur de l’homme que de petits corps ronds ou oblongs qui paraissaient avoir de longues queues, mais sans autre organisation extérieure, sans membres, comme sont aussi ces petits corps dans la semence de tous les autres animaux.

On pourrait dire que Platon avait deviné ces animaux spermatiques qui deviennent des hommes ; car il dit à la fin du Timée, page 1088, trad. de Marc Ficin : « Vulva quoque matrisque in fœminis eâdem ratione animal avidum generandi, quando procul à fœtu per ætatis florem, aut ultrà dintiùs detinetur, ægrè fert moram ac plurimùm indignatur, passimque per corpus oberrans, meatus spiritûs intercludit, respirare non sinit, extremis vexat angustiis, morbis denique omnibus premit, quousque utrorumque cupido amorque quasi ex arboribus fœtum fructumve producunt, ipsum deinde decerpunt, et in matricem velut agrum inspergunt : hinc animalia primùm talia, ut nec propter parvitatem videantur, necdum appareant formata, concipiunt ; mox quæ conflaverant, explicant, ingentia intùs enutriunt, demùm educunt in lucem, animaliumque generationem perficiunt. » Hippocrate, dans son traité de Diætâ, paraît insinuer aussi que les semences d’animaux sont remplies d’animalcules ; Démocrite parle de certains vers qui prennent la figure humaine ; Aristote dit que les premiers hommes sortirent de la terre sous la forme de vers ; mais ni l’autorité de Platon, d’Hippocrate, de Démocrite et d’Aristote, ni l’observation de Dalenpatius, ne feront recevoir cette idée que ces vers spermatiques sont de petits hommes cachés sous une enveloppe, car elle est évidemment contraire à l’expérience et à toutes les autres observations.

Valisnieri et Bourguet, que nous avons cités, ayant fait ensemble des observations sur la semence d’un lapin, y virent de petits vers dont l’une des extrémités était plus grosse que l’autre ; ils étaient fort vifs, ils partaient d’un endroit pour aller à un autre, et frappaient la liqueur de leur queue ; quelquefois ils s’élevaient, quelquefois ils s’abaissaient, d’autres fois ils se tournaient en rond et se contournaient comme des serpents ; enfin, dit Valisnieri, je reconnus clairement qu’ils étaient de vrais animaux : « e gli riconobbi, e gli giudicai senza dubitamento alcuno per veri, verissimi, arciverissimi vermi. » (Voyez Opere del Cav. Valisnieri, t. II, p. 105, 1re col.) Cet auteur, qui était prévenu du système des œufs, n’a pas laissé d’admettre les vers spermatiques et de les reconnaître, comme l’on voit, pour de vrais animaux.

M. Andry, ayant fait des observations sur ces vers spermatiques de l’homme, prétend qu’ils ne se trouvent que dans l’âge propre à la génération ; que dans la première jeunesse et dans la grande vieillesse ils n’existent point ; que dans les sujets incommodés de maladies vénériennes on n’en trouve que peu, et qu’ils y sont languissants et morts pour la plupart ; que dans les parties de la génération des impuissants on n’en voit aucun qui soit en vie ; que ces vers dans l’homme ont la tête, c’est-à-dire l’une des extrémités, plus grosse, par rapport à l’autre extrémité, qu’elle ne l’est dans les autres animaux ; ce qui s’accorde, dit-il, avec la figure du fœtus et de l’enfant, dont la tête en effet est beaucoup plus grosse, par rapport au corps, que celle des adultes, et il ajoute que les gens qui font trop d’usage des femmes n’ont ordinairement que très peu ou point du tout de ces animaux.

Leeuwenhoek, Andry et plusieurs autres s’opposèrent donc de toutes leurs forces au système des œufs ; ils avaient découvert dans la semence de tous les mâles des animalcules vivants ; ils prouvaient que ces animalcules ne pouvaient être regardés comme des habitants de cette liqueur, puisque leur volume était plus grand que celui de la liqueur même ; que d’ailleurs on ne trouvait rien de semblable ni dans le sang, ni dans les autres liqueurs du corps des animaux ; ils disaient que les femelles ne fournissant rien de pareil, rien de vivant, il était évident que la fécondité qu’on leur attribuait appartenait au contraire aux mâles ; qu’il n’y avait que dans la semence de ceux-ci où l’on vît quelque chose de vivant, que ce que l’on y voyait était de vrais animaux, et que ce fait tout seul avançait plus l’explication de la génération que tout ce qu’on avait imaginé auparavant, puisqu’en effet ce qu’il y a de plus difficile à concevoir dans la génération c’est la production du vivant, que tout le reste est accessoire, et qu’ainsi on ne pouvait pas douter que ces petits animaux ne fussent destinés à devenir des hommes ou des animaux parfaits de chaque espèce ; et lorsqu’on opposait aux partisans de ce système qu’il ne paraissait pas naturel d’imaginer que de plusieurs millions d’animalcules, qui tous pouvaient devenir un homme, il y en eût qu’un seul qui eût cet avantage ; lorsqu’on leur demandait pourquoi cette profusion inutile de germes d’hommes, ils répondaient que c’était la magnificence ordinaire de la nature ; que dans les plantes et dans les arbres on voyait bien que de plusieurs millions de graines qu’ils produisent naturellement il n’en réussit qu’un très petit nombre, et qu’ainsi on ne devait point être étonné de celui des animaux spermatiques, quelque prodigieux qu’il fût. Lorsqu’on leur objectait la petitesse infinie du ver spermatique, comparé à l’homme, ils répondaient par l’exemple de la graine des arbres, de l’orme, par exemple, laquelle comparée à l’individu parfait est aussi fort petite ; et ils ajoutaient, avec assez de fondement, des raisons métaphysiques par lesquelles ils prouvaient que le grand et le petit n’étant que des relations, le passage du petit au grand ou du grand au petit s’exécute par la nature avec encore plus de facilité que nous n’en avons à le concevoir.

D’ailleurs, disaient-ils, n’a-t-on pas des exemples très fréquents de transformation dans les insectes ? ne voit-on pas de petits vers aquatiques devenir des animaux ailés par un simple dépouillement de leur enveloppe, laquelle cependant était leur forme extérieure et apparente ? les animaux spermatiques, par une pareille transformation, ne peuvent-ils pas devenir des animaux parfaits ? Tout concourt donc, concluaient-ils, à favoriser ce système sur la génération, et à faire rejeter le système des œufs ; et si l’on veut absolument, disaient quelques-uns, que dans les femelles des vivipares il y ait des œufs comme dans celles des ovipares, ces œufs dans les unes et dans les autres ne seront que la matière nécessaire à l’accroissement du ver spermatique, il entrera dans l’œuf par le pédicule qui l’attachait à l’ovaire, il y trouvera une nourriture préparée pour lui ; tous les vers qui n’auront pas été assez heureux pour rencontrer cette ouverture du pédicule de l’œuf périront, celui qui seul aura enfilé ce chemin arrivera à sa transformation : c’est par cette raison qu’il existe un nombre prodigieux de ces petits animaux ; la difficulté de rencontrer un œuf et ensuite l’ouverture du pédicule de cet œuf ne peut être compensée que par le nombre infini des vers ; il y a un million, si l’on veut, à parier contre un, qu’un tel ver spermatique ne rencontrera pas le pédicule de l’œuf, mais aussi il y a un million de vers ; dès lors il n’y a plus qu’un à parier contre un que le pédicule de l’œuf sera enfilé par un de ces vers ; et lorsqu’il y est une fois entré et qu’il s’est logé dans l’œuf, un autre ne peut plus y entrer, parce que, disaient-ils, le premier ver bouche entièrement le passage, ou bien il y a une soupape à l’entrée du pédicule qui peut jouer lorsque l’œuf n’est pas absolument plein, mais lorsque le ver a achevé de remplir l’œuf la soupape ne peut s’ouvrir, quoique poussée par un second ver ; cette soupape d’ailleurs est fort bien imaginée, parce que, s’il prend envie au premier ver de ressortir de l’œuf, elle s’oppose à son départ, il est obligé de rester et de se transformer ; le ver spermatique est alors le vrai fœtus, la substance de l’œuf le nourrit, les membranes de cet œuf lui servent d’enveloppe, et lorsque la nourriture contenue dans l’œuf commence à lui manquer, il s’applique à la peau intérieure de la matrice et tire ainsi sa nourriture du sang de la mère, jusqu’à ce que, par son poids et l’augmentation de ses forces, il rompe enfin ses liens pour venir au monde.

Par ce système, ce n’est plus la première femme qui renfermait toutes les races passées, présentes et futures, mais c’est le premier homme qui en effet contenait toute sa postérité ; les germes préexistants ne sont plus des embryons sans vie renfermés comme de petites statues dans des œufs contenus à l’infini les uns dans les autres, ce sont de petits animaux, de petits homoncules organisés et actuellement vivants, tous renfermés les uns dans les autres, auxquels il ne manque rien, et qui deviennent des animaux parfaits et des hommes par un simple développement aidé d’une transformation semblable à celle que subissent les insectes avant d’arriver à leur état de perfection.

Comme ces deux systèmes des vers spermatiques et des œufs partagent aujourd’hui les physiciens, et que tous ceux qui ont écrit nouvellement sur la génération ont adopté l’une ou l’autre de ces opinions, il nous paraît nécessaire de les examiner avec soin, et de faire voir que non seulement elles sont insuffisantes pour expliquer les phénomènes de la génération, mais encore qu’elles sont appuyées sur des suppositions dénuées de toute vraisemblance.

Toutes les deux supposent le progrès à l’infini, qui, comme nous l’avons dit, est moins une supposition raisonnable qu’une illusion de l’esprit : un ver spermatique est plus de mille millions de fois plus petit qu’un homme ; si donc nous supposons que la grandeur de l’homme soit prise pour l’unité, la grandeur du ver spermatique ne pourra être exprimée que par la fraction 1/1000000000, c’est-à-dire par un nombre de dix chiffres ; et comme l’homme est au ver spermatique de la première génération en même raison que ce ver est au ver spermatique de la seconde génération, la grandeur ou plutôt la petitesse du ver spermatique de la seconde génération ne pourra être exprimée que par un nombre composé de dix-neuf chiffres, et par la même raison la petitesse du ver spermatique de la troisième génération ne pourra être exprimée que par un nombre de vingt-huit chiffres, celle du ver spermatique de la quatrième génération sera exprimée par un nombre de trente-sept chiffres, celle du ver spermatique de la cinquième génération par un nombre de quarante-six chiffres, et celle du ver spermatique de la sixième génération par un nombre de cinquante-cinq chiffres. Pour nous former une idée de la petitesse représentée par cette fraction, prenons les dimensions de la sphère de l’univers depuis le soleil jusqu’à Saturne, en supposant le soleil un million de fois plus gros que la terre et éloigné de Saturne de mille fois le diamètre solaire ; nous trouverons qu’il ne faut que quarante-cinq chiffres pour exprimer le nombre des lignes cubiques contenues dans cette sphère, et en réduisant chaque ligne cubique en mille millions d’atomes, il ne faut que cinquante-quatre chiffres pour en exprimer le nombre ; par conséquent l’homme serait plus grand, par rapport au ver spermatique de la sixième génération, que la sphère de l’univers ne l’est par rapport au plus petit atome de matière qu’il soit possible d’apercevoir au microscope. Que sera-ce si on pousse ce calcul seulement à la dixième génération ? La petitesse sera si grande que nous n’aurons aucun moyen de la faire sentir ; il me semble que la vraisemblance de cette opinion disparaît à mesure que l’objet s’évanouit. Ce calcul peut s’appliquer aux œufs comme aux vers spermatiques, et le défaut de vraisemblance est commun aux deux systèmes : on dira sans doute que, la matière étant divisible à l’infini, il n’y a point d’impossibilité dans cette dégradation de grandeur, et que, quoiqu’elle ne soit pas vraisemblable, parce qu’elle s’éloigne trop de ce que notre imagination nous représente ordinairement, on doit cependant regarder comme possible cette division de la matière à l’infini, puisque par la pensée on peut toujours diviser en plusieurs parties un atome, quelque petit que nous le supposions. Mais je réponds qu’on se fait sur cette divisibilité à l’infini la même illusion que sur toutes les autres espèces d’infinis géométriques ou arithmétiques : ces infinis ne sont tous que des abstractions de notre esprit et n’existent pas dans la nature des choses ; et si l’on veut regarder la divisibilité de la matière à l’infini comme un infini absolu, il est encore plus aisé de démontrer qu’elle ne peut exister dans ce sens ; car si une fois nous supposons le plus petit atome possible, par notre supposition même cet atome sera nécessairement indivisible, puisque s’il était divisible ce ne serait pas le plus petit atome possible, ce qui serait contraire à la supposition. Il me paraît donc que toute hypothèse où l’on admet un progrès à l’infini doit être rejetée non seulement comme fausse, mais encore comme dénuée de toute vraisemblance ; et, comme le système des œufs et celui des vers spermatiques supposent ce progrès, on ne doit pas les admettre.

Une autre grande difficulté qu’on peut faire contre ces deux systèmes, c’est que dans celui des œufs la première femme contenait des œufs mâles et des œufs femelles ; que les œufs mâles ne contenaient pas d’autres œufs mâles, ou plutôt ne contenaient qu’une génération de mâles, et qu’au contraire les œufs femelles contenaient des milliers de générations d’œufs mâles et d’œufs femelles, de sorte que dans le même temps et dans la même femme il y a toujours un certain nombre d’œufs capables de se développer à l’infini, et un autre nombre d’œufs qui ne peuvent se développer qu’une fois ; et de même, dans l’autre système, le premier homme contenait des vers spermatiques, les uns mâles et les autres femelles ; tous les vers femelles n’en contiennent pas d’autres, tous les vers mâles, au contraire, en contiennent d’autres, les uns mâles et les autres femelles, à l’infini, et dans le même homme et en même temps il faut qu’il y ait des vers qui doivent se développer à l’infini, et d’autres vers qui ne doivent se développer qu’une fois : je demande s’il y a aucune apparence de vraisemblance dans ces suppositions.

Une troisième difficulté contre ces deux systèmes, c’est la ressemblance des enfants, tantôt au père, tantôt à la mère, et quelquefois à tous les deux ensemble, et les marques évidentes des deux espèces dans les mulets et dans les animaux mi-partie. Si le ver spermatique de la semence du père doit être le fœtus, comment se peut-il que l’enfant ressemble à la mère ? et si le fœtus est préexistant dans l’œuf de la mère, comment se peut-il que l’enfant ressemble à son père ? et si le ver spermatique d’un cheval ou l’œuf d’une ânesse contient le fœtus, comment se peut-il que le mulet participe de la nature du cheval et de celle de l’ânesse ?

Ces difficultés générales, qui sont invincibles, ne sont pas les seules qu’on puisse faire contre ces systèmes, il y en a de particulières qui ne sont pas moins fortes ; et, pour commencer par le système des vers spermatiques, ne doit-on pas demander à ceux qui les admettent et qui imaginent que ces vers se transforment en hommes, comment ils entendent que se fait cette transformation, et leur objecter que celle des insectes n’a et ne peut avoir aucun rapport avec celle qu’ils supposent ? car le ver qui doit devenir mouche, ou la chenille qui doit devenir papillon, passe par un état mitoyen, qui est celui de la chrysalide, et lorsqu’il sort de la chrysalide, il est entièrement formé, il a acquis sa grandeur totale et toute la perfection de sa forme, et il est dès lors en état d’engendrer ; au lieu que, dans la prétendue transformation du ver spermatique en homme, on ne peut pas dire qu’il y ait un état de chrysalide, et quand même on en supposerait un pendant les premiers jours de la conception, pourquoi la production de cette chrysalide supposée n’est-elle pas un homme adulte et parfait, et qu’au contraire ce n’est qu’un embryon encore informe auquel il faut un nouveau développement ? On voit bien que l’analogie est ici violée et que, bien loin de confirmer cette idée de la transformation du ver spermatique, elle la détruit lorsqu’on prend la peine de l’examiner.

D’ailleurs, le ver qui doit se transformer en mouche vient d’un œuf, cet œuf est le produit de la copulation des deux sexes, de la mouche mâle et de la mouche femelle, et il renferme le fœtus ou le ver qui doit ensuite devenir chrysalide, et arriver enfin à son état de perfection, à son état de mouche, dans lequel seul l’animal a la faculté d’engendrer, au lieu que le ver spermatique n’a aucun principe de génération, il ne vient pas d’un œuf ; et, quand même on accorderait que la semence peut contenir des œufs d’où sortent les vers spermatiques, la difficulté restera toujours la même ; car ces œufs supposés n’ont pas pour principe d’existence la copulation des deux sexes, comme dans les insectes : par conséquent la production supposée, non plus que le développement prétendu des vers spermatiques, ne peuvent être comparés à la production et au développement des insectes, et bien loin que les partisans de cette opinion puissent tirer avantage de la transformation des insectes, elle me paraît au contraire détruire le fondement de leur explication.

Lorsqu’on fait attention à la multitude innombrable des vers spermatiques, et au très petit nombre de fœtus qui en résulte, et qu’on oppose aux physiciens prévenus de ce système la profusion énorme et inutile qu’ils sont obligés d’admettre, ils répondent, comme je l’ai dit, par l’exemple des plantes et des arbres, qui produisent un très grand nombre de graines assez inutilement pour la propagation ou la multiplication de l’espèce, puisque de toutes ces graines il n’y en a que fort peu qui produisent des plantes et des arbres, et que tout le reste semble être destiné à l’engrais de la terre ou à la nourriture des animaux ; mais cette comparaison n’est pas tout à fait juste, parce qu’il est de nécessité absolue que tous les vers spermatiques périssent, à l’exception d’un seul, au lieu qu’il n’est pas également nécessaire que toutes les graines périssent, et que d’ailleurs, en servant de nourriture à d’autres corps organisés, elles servent au développement et à la reproduction des animaux, lorsqu’elles ne deviennent pas elles-mêmes des végétaux, au lieu qu’on ne voit aucun usage des vers spermatiques, aucun but auquel on puisse rapporter leur multitude prodigieuse. Au reste, je ne fais cette remarque que pour rapporter tout ce qu’on a dit ou pu dire sur cette matière, car j’avoue qu’une raison tirée des causes finales n’établira ni ne détruira jamais un système en physique.

Une autre objection que l’on a faite contre l’opinion des vers spermatiques, c’est qu’ils semblent être en nombre assez égal dans la semence de toutes les espèces d’animaux, au lieu qu’il paraîtrait naturel que dans les espèces où le nombre des fœtus est fort abondant, comme dans les poissons, les insectes, etc., le nombre des vers spermatiques fût aussi fort grand ; et il semble que dans les espèces où la génération est moins abondante, comme dans l’homme, les quadrupèdes, les oiseaux, etc., le nombre des vers dût être plus petit ; car, s’ils sont la cause immédiate de la production, pourquoi n’y a-t-il aucune proportion entre leur nombre et celui des fœtus ? D’ailleurs, il n’y a pas de différence proportionnelle dans la grandeur de la plupart des espèces de vers spermatiques, ceux des gros animaux sont aussi petits que ceux des plus petits animaux ; le cabillaud et l’éperlan ont des animaux spermatiques également petits ; ceux de la semence d’un rat et ceux de la liqueur séminale d’un homme sont à peu près de la même grosseur, et lorsqu’il y a de la différence dans la grandeur de ces animaux spermatiques, elle n’est point relative à la grandeur de l’individu ; le calmar, qui n’est qu’un poisson assez petit, a des vers spermatiques plus de cent mille fois plus gros que ceux de l’homme ou du chien, autre preuve que ces vers ne sont pas la cause immédiate et unique de la génération.

Les difficultés particulières qu’on peut faire contre le système des œufs sont aussi très considérables : si le fœtus est préexistant dans l’œuf avant la communication du mâle et de la femelle, pourquoi dans les œufs que la poule produit sans avoir eu le coq, ne voit-on pas le fœtus aussi bien que dans les œufs qu’elle produit après la copulation du coq ? Nous avons rapporté ci-devant les observations de Malpighi faites sur des œufs frais sortant du corps de la poule et qui n’avaient pas encore été couvés ; il a toujours trouvé le fœtus dans ceux que produisaient les poules qui avaient reçu le coq, et dans ceux des poules vierges ou séparées du coq depuis longtemps il n’a jamais trouvé qu’une môle dans la cicatricule ; il est donc bien clair que le fœtus n’est pas préexistant dans l’œuf, mais qu’au contraire il ne s’y forme que quand la semence du mâle l’a pénétré[NdÉ 7].

Une autre difficulté contre ce système, c’est que non seulement on ne voit pas le fœtus dans les œufs des ovipares avant la conjonction des sexes, mais même on ne voit pas d’œufs dans les vivipares : les physiciens, qui prétendent que le ver spermatique est le fœtus sous une enveloppe, sont au moins assurés de l’existence des vers spermatiques ; mais ceux qui veulent que le fœtus soit préexistant dans l’œuf, non seulement imaginent cette préexistence, mais même ils n’ont aucune preuve de l’existence de l’œuf ; au contraire, il y a probabilité presque équivalente à la certitude que ces œufs n’existent pas dans les vivipares, puisqu’on a fait des milliers d’expériences pour tâcher de les découvrir, et qu’on n’a jamais pu les trouver.

Quoique les partisans du système des œufs ne s’accordent point au sujet de ce que l’on doit regarder comme le vrai œuf dans les testicules des femelles, ils veulent cependant tous que la fécondation se fasse immédiatement dans ce testicule qu’ils appellent l’ovaire, sans faire attention que, si cela était, on trouverait la plupart des fœtus dans l’abdomen, au lieu de les trouver dans la matrice ; car le pavillon, ou l’extrémité supérieure de la trompe étant, comme l’on sait, séparée du testicule, les prétendus œufs doivent tomber souvent dans l’abdomen, et on y trouverait souvent des fœtus : or on sait que ce cas est extrêmement rare ; je ne sais pas même s’il est vrai que cela soit jamais arrivé par l’effet que nous supposons, et je pense que les fœtus qu’on a trouvés dans l’abdomen étaient sortis, ou des trompes de la matrice, ou de la matrice même, par quelque accident.

Les difficultés générales et communes aux deux systèmes ont été senties par un homme d’esprit qui me paraît avoir mieux raisonné que tous ceux qui ont écrit avant lui sur cette matière ; je veux parler de l’auteur de la Vénus physique, imprimée en 1745 ; ce traité, quoique fort court, rassemble plus d’idées philosophiques qu’il n’y en a dans plusieurs gros volumes sur la génération. Comme ce livre est entre les mains de tout le monde, je n’en ferai pas l’analyse, il n’en est pas même susceptible ; la précision avec laquelle il est écrit ne permet pas qu’on en fasse un extrait ; tout ce que je puis dire, c’est qu’on y trouvera des vues générales qui ne s’éloignent pas infiniment des idées que j’ai données, et que cet auteur est le premier qui ait commencé à se rapprocher de la vérité dont on était plus loin que jamais depuis qu’on avait imaginé les œufs et découvert les vers spermatiques. Il ne nous reste plus qu’à rendre compte de quelques expériences particulières, dont les unes ont paru favorables et les autres contraires à ces systèmes.

On trouve dans l’Histoire de l’Académie des sciences, année 1701, quelques difficultés proposées par M. Méry contre le système des œufs. Cet habile anatomiste soutenait avec raison que les vésicules qu’on trouve dans les testicules des femelles ne sont pas des œufs, qu’elles sont adhérentes à la substance intérieure du testicule, et qu’il n’est pas possible qu’elles s’en séparent naturellement, que quand même elles pourraient se séparer de la substance intérieure du testicule elles ne pourraient pas encore en sortir, parce que la membrane commune qui enveloppe tout le testicule est d’un tissu trop serré pour qu’on puisse concevoir qu’une vésicule, ou un œuf rond et mollasse pût s’ouvrir un passage à travers cette forte membrane ; et comme la plus grande partie des physiciens et des anatomistes étaient alors prévenus en faveur du système des œufs, et que les expériences de Graaf leur avaient imposé au point qu’ils étaient persuadés, comme cet anatomiste l’avait dit, que les cicatricules qu’on trouve dans les testicules des femelles étaient les niches des œufs, et que le nombre de ces cicatricules marquait celui des fœtus, M. Méry fit voir des testicules de femme où il y avait une très grande quantité de ces cicatricules, ce qui, dans le système de ces physiciens, aurait supposé dans cette femme une fécondité inouïe. Ces difficultés excitèrent les autres anatomistes de l’Académie, qui étaient partisans des œufs, à faire de nouvelles recherches ; M. Duverney examina et disséqua des testicules de vaches et de brebis ; il prétendit que les vésicules étaient les œufs, parce qu’il y en avait qui étaient plus ou moins adhérentes à la substance du testicule, et qu’on devait croire que dans le temps de la parfaite maturité elles s’en détachaient totalement, puisqu’en introduisant de l’air et en soufflant dans l’intérieur du testicule, l’air passait entre ces vésicules et les parties voisines. M. Méry répondit seulement que cela ne faisait pas une preuve suffisante, puisque jamais on n’avait vu ces vésicules entièrement séparées du testicule : au reste, M. Duverney remarqua sur les testicules le corps glanduleux, mais il ne le reconnut pas pour une partie essentielle et nécessaire à la génération ; il le prit au contraire pour une excroissance accidentelle et parasite, à peu près, dit-il, comme sont sur les chênes les noix de galle, les champignons, etc. M. Littre, dont apparemment la prévention pour le système des œufs était encore plus forte que celle de M. Duverney, prétendit non seulement que les vésicules étaient des œufs, mais même il assura avoir reconnu dans l’une de ces vésicules, encore adhérente et placée dans l’intérieur du testicule, un fœtus bien formé, dans lequel il distingua, dit-il, très bien la tête et le tronc ; il en donna même les dimensions. Mais outre que cette merveille ne s’est jamais offerte qu’à ses yeux, et qu’aucun autre observateur n’a jamais rien aperçu de semblable, il suffit de lire son Mémoire (année 1701, page 111) pour reconnaître combien cette observation est douteuse. Par son propre exposé on voit que la matrice était squirreuse et le testicule entièrement vicié ; on voit que la vésicule ou l’œuf qui contenait le prétendu fœtus était plus petit que d’autres vésicules ou œufs qui ne contenaient rien, etc. Aussi Valisnieri, quoique partisan, et partisan très zélé, du système des œufs, mais en même temps homme très véridique, a-t-il rappelé cette observation de M. Littre et celles de M. Duverney à un examen sévère qu’elles n’étaient pas en état de subir.

Une expérience fameuse en faveur des œufs est celle de Nuck ; il ouvrit une chienne trois jours après l’accouplement, il tira l’une des cornes de la matrice et la lia en la serrant dans son milieu, en sorte que la partie supérieure du conduit ne pouvait plus avoir de communication avec la partie inférieure ; après quoi il remit cette corne de la matrice à sa place et ferma la plaie, dont la chienne ne parut être que légèrement incommodée : au bout de vingt et un jours il la rouvrit et il trouva deux fœtus dans la partie supérieure, c’est-à-dire entre le testicule et la ligature, et dans la partie inférieure de cette corne il n’y avait aucun fœtus ; dans l’autre corne de la matrice, qui n’avait pas été serrée par une ligature, il en trouva trois qui étaient régulièrement disposés, ce qui prouve, dit-il, que le fœtus ne vient pas de la semence du mâle, mais qu’au contraire il existe dans l’œuf de la femelle. On sent bien qu’en supposant que cette expérience qui n’a été faite qu’une fois, et sur laquelle par conséquent on ne doit pas trop compter, en supposant, dis-je, que cette expérience fût toujours suivie du même effet, on ne serait point en droit d’en conclure que la fécondation se fait dans l’ovaire, et qu’il s’en détache des œufs qui contiennent le fœtus tout formé ; elle prouverait seulement que le fœtus peut se former dans les parties supérieures des cornes de la matrice aussi bien que dans les inférieures, et il paraît très naturel d’imaginer que la ligature comprimant et resserrant les cornes de la matrice dans leur milieu oblige les liqueurs séminales, qui sont dans les parties inférieures, à s’écouler au dehors, et détruit ainsi l’ouvrage de la génération dans ces parties inférieures.

Voilà, à très peu près, où en sont demeurés les anatomistes et les physiciens au sujet de la génération : il me reste à exposer ce que mes propres recherches et mes expériences m’ont appris de nouveau ; on jugera si le système que j’ai donné n’approche pas infiniment plus de celui de la nature qu’aucun de ceux dont je viens de rendre compte.

Au Jardin du Roi, le 6 février 1746.

Notes de Buffon
  1. Voyez l’observation de M. Deslandes dans son Traité de la marine, Paris, 1747.
  2. La plupart de tous ces faits sont tirés d’Aristote.
  3. Cette comparaison de la grosseur des œufs avec celle du plomb moulé n’est mise ici que pour en donner une idée juste, et pour éviter de faire graver la planche de Graaf, où ces œufs sont représentés dans leurs différents états.
Notes de l’éditeur
  1. Proposition d’une très grande exactitude.
  2. Buffon veut dire, sans doute, du « sang rouge ».
  3. Il existe un grand nombre d’animaux hermaphrodites, c’est-à-dire possédant à la fois des organes mâles et des organes femelles, mais il n’existe qu’un bien petit nombre d’espèces dans lesquelles chaque individu hermaphrodite soit susceptible de se féconder lui-même.
  4. Les huîtres sont hermaphrodites.
  5. Harvey est, en effet, le premier qui ait affirmé l’existence de l’œuf de la femme.

    Pour rendre plus facile la lecture de toute la partie de l’œuvre de Buffon relative à la génération, il me paraît utile de donner ici quelques détails sur les organes et les éléments anatomiques qui servent à la génération, chez l’homme et les animaux supérieurs, les seuls dont s’occupe Buffon. Cela me dispensera de relever par la suite chacune des nombreuses erreurs que l’illustre naturaliste a commises et qu’il ne pouvait guère éviter, étant donnée l’ignorance qui régnait à son époque relativement aux questions qui sont l’objet de ce mémoire.

    Chez l’homme, comme chez tous les animaux vertébrés, ce qui caractérise essentiellement la femelle, c’est la faculté qu’elle possède de produire des œufs, tandis que le mâle produit des spermatozoïdes. Œufs et spermatozoïdes sont des cellules très simples. La fécondation consiste dans une fusion d’un ou plusieurs spermatozoïdes avec la substance d’un œuf. À la suite de cette fusion de la cellule mâle avec la cellule femelle, cette dernière se segmente pour produire l’embryon.

    Ce sont là les faits constants présentés pour tous les animaux supérieurs ; ce qui varie d’un groupe à l’autre, c’est l’organisation de l’œuf et des spermatozoïdes, et surtout celle des parties qui produisent ces cellules.

    Les cellules mâles, ou spermatozoïdes, sont produites, chez tous les animaux supérieurs et chez l’homme, par une paire de glandes tantôt logées dans l’abdomen, comme chez les oiseaux, les poissons et les reptiles ; tantôt situées au dehors et pendant entre les cuisses. Ces glandes sont connues sous le nom de testicules. Les spermatozoïdes s’y forment dans l’intérieur de tubes ou de culs-de-sac ; d’où ils passent dans des canaux dits déférents qui, chez l’homme, les transportent dans une paire de réservoirs situés dans l’abdomen, au voisinage du rectum, et connus sous le nom de vésicules séminales. Au moment du coït, les vésicules séminales expulsent, en se contractant, les spermatozoïdes qu’elles contiennent et qui sont projetés au dehors, au moment de l’éjaculation, par le canal de l’urètre. Pendant leur passage dans ce dernier, les spermatozoïdes sont mélangés à des liquides sécrétés par la prostate et par d’autres glandes situées le long du canal. Le sperme est donc un liquide très complexe dans lequel nagent les spermatozoïdes. Ces derniers sont formés d’une très petite cellule ovoïde, munie d’un long flagellum, à l’aide duquel ils se meuvent rapidement dans le liquide spermatique.

    Les cellules femelles ou œufs sont produites par une paire de glandes, toujours situées dans l’abdomen, connues sous le nom d’ovaires. À la surface des ovaires se voient un grand nombre de saillies, connues depuis très longtemps par les anatomistes et considérées d’abord par eux comme les œufs véritables. Ce sont des cavités vésiculeuses auxquelles on a donné le nom de vésicules de de Graaf, du nom du savant qui, le premier, en donna une bonne description. C’est dans ces vésicules, dont il est beaucoup question au cours de l’article de Buffon, que se développent les œufs. Chez la femme, une vésicule se rompt, d’ordinaire, à chaque époque menstruelle et l’œuf qu’elle contient est expulsé. La vésicule se cicatrise ensuite en se ratatinant et produit ce que l’on a nommé un corps jaune. Dans les vieux auteurs, et même dans Buffon, on constate une confusion déplorable entre ces trois choses : l’œuf, la vésicule de de Graaf et le corps jaune. C’est seulement au commencement de ce siècle que l’œuf des mammifères a été découvert et convenablement décrit par von Baer. Les erreurs contenues dans l’œuvre de Buffon s’expliquent donc très facilement par la confusion que je viens de rappeler, mais il est nécessaire d’en connaître la valeur pour être en mesure de le lire sans trop de fatigue.

    Je reviens aux organes générateurs de la femelle. Les deux ovaires de la femme et des mammifères organisés sur le même type diffèrent des testicules en ce qu’ils ne communiquent pas directement avec des canaux excréteurs. Ils sont isolés dans l’abdomen ; mais, dans le voisinage de chaque ovaire, il existe un canal (oviducte) dont une des extrémités très dilatée s’ouvre dans l’abdomen sous le nom de trompe et dont l’autre extrémité débouche dans l’utérus. Lors de l’évacuation de l’œuf, qui a lieu à l’époque des menstrues et souvent au moment d’un rapprochement sexuel, sous l’influence de la congestion de l’ovaire provoquée par l’excitation voluptueuse, la trompe s’applique contre l’ovaire et reçoit l’œuf qu’en est expulsé. Par l’oviducte, l’œuf descend jusque dans la cavité de l’utérus. C’est en ce dernier point, selon toutes les probabilités, qu’il se trouve en contact avec les spermatozoïdes et qu’il est fécondé. L’utérus est un sac de forme à peu près triangulaire, à base dirigée en haut, recevant dans chacun de ses angles un des oviductes, et à sommet dirigé en bas, embrassé par le vagin. À l’état de vacuité, l’utérus offre une cavité à peine visible et des parois charnues, musculaires, extrêmement épaisses. L’orifice inférieur de l’utérus, connu sous le nom de museau de tanche, s’ouvre, ainsi que nous l’avons dit plus haut, dans le vagin, qui est un canal à parois musculaires contractiles, destiné à recevoir la verge du mâle pendant le rapprochement sexuel ; son orifice extérieur est entouré d’une paire de petites lèvres et d’une paire de grosses lèvres recouvertes de poils et formant les bords de la vulve.

    C’est dans l’utérus que l’œuf fécondé se développe pour produire l’embryon.

    Chez la femme et les mammifères, l’œuf est très petit, ce qui fait qu’il a si longtemps échappé aux recherches des naturalistes. Il est formé par une seule cellule dont les différentes parties ont reçu des noms spéciaux : la membrane d’enveloppe, très mince, a reçu le nom de membrane vitelline ; le contenu est désigné sous le nom de vitellus, et le noyau sous celui de vésicule germinative. Aussitôt après la fusion des spermatozoïdes avec le vitellus, celui-ci se segmente, ainsi que le noyau, pour produire l’embryon.

    Chez les oiseaux, l’œuf ne peut échapper à l’observation la plus superficielle ; il est, en effet, très volumineux, mais il offre une organisation beaucoup moins différente de celle de l’œuf des mammifères qu’on ne serait tenté de le croire. La coquille, le blanc ou albumine et le jaune ne sont que des parties accessoires. La portion essentielle de l’œuf de la poule se présente sous l’aspect d’une tache blanchâtre, arrondie, située sur un point de la circonférence du jaune. On lui a donné le nom de cicatricule. Il est très facile de la voir à l’œil nu, car elle atteint la dimension d’une lentille ; il suffit pour cela de jeter un jaune d’œuf entier dans l’eau ; la cicatricule se trouve presque toujours dans la partie supérieure du jaune. C’est la cicatricule seule qui subit l’effet de la fécondation et qui se segmente pour produire l’embryon ; elle représente donc le vitellus de l’œuf des mammifères, d’où le nom de vitellus germinatif qu’on lui donne aujourd’hui. Quant au reste du jaune, il sert à l’alimentation de l’embryon pendant son développement. Le blanc est employé au même usage. Il est facile de voir dans le blanc, à chacune des extrémités de l’œuf, une sorte de cordon opaque, enroulé en spirale, rattachant le jaune de l’œuf à la membrane qui tapisse la face interne de la coquille (membrane de la coque). Ces deux cordons, connus sous le nom de chalazes, ont joué un grand rôle dans les préoccupations des anciens naturalistes, ainsi que le lecteur pourra aisément s’en assurer par la lecture de Buffon ; ils n’ont, en réalité, aucune importance.

    Entre l’œuf du mammifère entièrement dépourvu de matériaux destinés à nourrir l’embryon et celui de l’oiseau qui en possède une si grande quantité, il est facile de trouver tous les passages, mais l’œuf reste toujours, en réalité, semblable à lui-même, et le phénomène de la fécondation se résume toujours en une fusion d’une ou plusieurs cellules mâles (spermatozoïdes) avec la cellule femelle (œuf).

  6. L’erreur de Malpighi vient de ce qu’il n’a observé les vésicules de de Graaf qu’après la sortie de l’œuf. Quant à Buffon, il se lance dans l’erreur avec sa fougue habituelle et n’en sortira plus. Son unique préoccupation va être de montrer que les corps jaunes sont des réservoirs d’une « semence de la femelle ».
  7. Idée très exacte.