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quoi on recommande d’étendre de la paille au-dessous pour empêcher qu’ils ne se brisent.

Pendant tout le temps de l’incubation, la paonne évite soigneusement le mâle, et tâche surtout de lui dérober sa marche lorsqu’elle retourne à ses œufs ; car dans cette espèce, comme dans celle du coq et de bien d’autres[1], le mâle, plus ardent et moins fidèle au vœu de la nature, est plus occupé de son plaisir particulier que de la multiplication de son espèce ; et s’il peut surprendre la couveuse sur ses œufs, il les casse en s’approchant d’elle, et peut-être y met-il de l’intention, et cherche-t-il à se délivrer d’un obstacle qui l’empêche de jouir : quelques-uns ont cru qu’il ne les cassait que par son empressement à les couver lui-même[2] ; ce serait un motif bien différent. L’histoire naturelle aura toujours beaucoup d’incertitudes ; il faudrait, pour les lui ôter, observer tout par soi-même : mais qui peut tout observer ?

La paonne couve de vingt-sept à trente jours, plus ou moins, selon la température du climat et de la saison[3] : pendant ce temps on a soin de lui mettre à portée une quantité suffisante de nourriture, de peur qu’étant obligée d’aller se repaître au loin, elle ne quittât ses œufs trop longtemps et ne les laissât refroidir. Il faut aussi prendre garde de la troubler dans son nid et de lui donner de l’ombrage ; car, par une suite de son naturel inquiet et défiant, si elle se voit découverte, elle abandonnera ses œufs et recommencera une nouvelle ponte qui ne vaudra pas la première, à cause de la proximité de l’hiver.

On prétend que la paonne ne fait jamais éclore tous ses œufs à la fois ; mais dès qu’elle voit quelques poussins éclos, elle quitte tout pour les conduire : dans ce cas il faudra prendre les œufs qui ne seront point encore ouverts et les mettre éclore sous une autre couveuse, ou dans un four d’incubation[4].

Élien nous dit que la paonne ne reste pas constamment sur ses œufs, et qu’elle passe quelquefois deux jours sans y revenir, ce qui nuit à la réussite de la couvée[5]. Mais je soupçonne quelque méprise dans ce passage d’Élien, qui aura appliqué à l’incubation ce que Aristote et Pline ont dit de la ponte, laquelle en effet est interrompue par deux ou trois jours de repos ; au lieu que de pareilles interruptions dans l’action de couver paraissent contraires à l’ordre de la nature, et à ce qui s’observe dans toutes les espèces connues des oiseaux, si ce n’est dans les pays où la chaleur de l’air et du sol approche du degré nécessaire pour l’incubation[6].

  1. « Quam ob causam aves nonnullæ sylvestres pariunt, fugientes marem et incubant. » Aristote, Hist. animal., lib. vi, cap. ix.
  2. Voyez Aldrovande, Avi., t. II, p. 14.
  3. « Excludit diebus triginta aut paulo tardius. » Aristote, Historia animalium, lib. vi, cap. ix. — « Partus excluditur ter novenis aut tardius tricesimo. » Plin., lib. x, cap. lix.
  4. Maison rustique, t. Ier, p. 138.
  5. Ælian., Hist. animal., lib. v, cap. xxxii.
  6. Voyez ci-dessus l’histoire de l’Autruche.