Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/L’autruche

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 204-233).

L’AUTRUCHE


L’autruche[NdÉ 1] est un oiseau très anciennement connu, puisqu’il en est fait mention dans le plus ancien des livres ; il fallait même qu’il fût très connu, car il fournit aux écrivains sacrés plusieurs comparaisons tirées de ses mœurs et de ses habitudes[1] ; et plus anciennement encore sa chair était, selon toute apparence, une viande commune au moins parmi le peuple, puisque le législateur des juifs la leur interdit comme une nourriture immonde[2] ; enfin il en est question dans Hérodote, le plus ancien des historiens profanes[3], et dans les écrits des premiers philosophes qui ont traité des choses naturelles ; en effet, comment un animal si considérable par sa grandeur, si remarquable par sa forme, si étonnant par sa fécondité, attaché d’ailleurs par sa nature à un certain climat, qui est l’Afrique et une partie de l’Asie, aurait-il pu demeurer inconnu dans des pays si anciennement peuplés, où il se trouve à la vérité des déserts, mais où il ne s’en trouve point que l’homme n’ait pénétrés et parcourus[NdÉ 2] ?

La race de l’autruche est donc une race très ancienne, puisqu’elle prouve jusqu’aux premiers temps, mais elle n’est pas moins pure qu’elle est ancienne ; elle a su se conserver pendant cette longue suite de siècles, et toujours dans la même terre[NdÉ 3], sans altération comme sans mésalliance : en sorte qu’elle est dans les oiseaux, comme l’éléphant dans les quadrupèdes, une espèce entièrement isolée et distinguée de toutes les autres espèces par des caractères aussi frappants qu’invariables.

L’autruche passe pour être le plus grand des oiseaux, mais elle est privée par sa grandeur même de la principale prérogative des oiseaux, je veux dire la puissance de voler : l’une de celles sur qui Vallisnieri a fait ses observations pesait, quoique très maigre, cinquante-cinq livres tout écorchée et vidée de ses parties intérieures ; en sorte que passant vingt à vingt-cinq livres pour ces parties et pour la graisse qui lui manquait[4], on peut, sans rien outrer, fixer le poids moyen d’une autruche vivante et médiocrement grasse à soixante et quinze ou quatre-vingts livres : or quelle force ne faudrait-il pas dans les ailes et dans les muscles moteurs de ces ailes, pour soulever et soutenir au milieu des airs une masse aussi pesante ! Les forces de la nature paraissent infinies lorsqu’on la contemple en gros et d’une vue générale ; mais lorsqu’on la considère de près et en détail, on trouve que tout est limité ; et c’est à bien saisir les limites que s’est prescrites la nature par sagesse, et non par impuissance[NdÉ 4], que consiste la bonne méthode d’étudier et ses ouvrages et ses opérations. Ici un poids de soixante et quinze livres est supérieur par sa seule résistance à tous les moyens que la nature sait employer pour élever et faire voguer dans le fluide de l’atmosphère des corps dont la gravité spécifique est un millier de fois plus grande que celle de ce fluide ; et c’est par cette raison qu’aucun des oiseaux dont la masse approche de celle de l’autruche, tels que le touyou, le casoar, le dronte, n’on ni ne peuvent avoir la faculté de voler ; il est vrai que la pesanteur n’est pas le seul obstacle qui s’y oppose ; la force des muscles pectoraux, la grandeur des ailes, leur situation avantageuse, la fermeté de leurs pennes[5], etc., seraient ici des conditions d’autant plus nécessaires, que la résistance à vaincre est plus grande : or toutes ces conditions leur manquent absolument ; car pour me renfermer dans ce qui regarde l’autruche, cet oiseau, à vrai dire, n’a point d’ailes, puisque les plumes qui sortent de ses ailerons sont toutes effilées, décomposées, et que leurs barbes sont de longues soies détachées les unes des autres, et ne peuvent faire corps ensemble pour frapper l’air avec avantage, ce qui est la principale fonction des pennes de l’aile ; celles de la queue sont aussi de la même structure, et ne peuvent par conséquent opposer à l’air une résistance convenable ; elles ne sont pas même disposées pour pouvoir gouverner le vol en s’étalant ou se resserrant à propos, et en prenant différentes inclinaisons ; et ce qu’il y a de remarquable, c’est que toutes les plumes qui recouvrent le corps sont encore faites de même ; l’autruche n’a pas, comme la plupart des autres oiseaux, des plumes de plusieurs sortes, les unes lanugineuses et duvetées, qui sont immédiatement sur la peau, les autres d’une consistance plus ferme et plus serrée qui recouvrent les premières, et d’autres encore plus longues qui servent au mouvement, et répondent à ce qu’on appelle les œuvres vives dans un vaisseau : toutes les plumes de l’autruche sont de la même espèce, toutes ont pour barbes des filets détachés, sans consistance, sans adhérence réciproque, en un mot, toutes sont inutiles pour voler ou pour diriger le vol : aussi l’autruche est attachée à la terre comme par une double chaîne, son excessive pesanteur et la conformation de ses ailes ; et elle est condamnée à en parcourir laborieusement la surface, comme les quadrupèdes, sans pouvoir jamais s’élever dans l’air. Aussi a-t-elle, soit au dedans, soit au dehors, beaucoup de traits de ressemblance avec ces animaux : comme eux, elle a sur la plus grande partie du corps du poil plutôt que des plumes ; sa tête et ses flancs n’ont même que peu ou point de poil, non plus que ses cuisses, qui sont très grosses, très musculeuses, et où réside sa principale force ; ses grands pieds nerveux et charnus, qui n’ont que deux doigts, ont beaucoup de rapport avec les pieds du chameau, qui lui-même est un animal singulier entre les quadrupèdes par la forme de ses pieds ; ses ailes, armées de deux piquants semblables à ceux du porc-épic, sont moins des ailes que des espèces de bras qui lui ont été donnés pour se défendre ; l’orifice des oreilles est à découvert, et seulement garni de poil dans la partie intérieure où est le canal auditif ; sa paupière supérieure est mobile comme dans presque tous les quadrupèdes, et bordée de longs cils comme dans l’homme et l’éléphant ; la forme totale de ses yeux a plus de rapport avec les yeux humains qu’avec ceux des oiseaux, et ils sont disposés de manière qu’ils peuvent voir tous deux à la fois le même objet[6] ; enfin les espaces calleux et dénués de plumes et de poils qu’elle a, comme le chameau, au bas du sternum, et à l’endroit des os pubis, en déposant de sa grande pesanteur, la mettent de niveau avec les bêtes de somme les plus terrestres, les plus lourdes par elles-mêmes, et qu’on a coutume de surcharger des plus rudes fardeaux. Thévenot était si frappé de la ressemblance de l’autruche avec le chameau dromadaire[7], qu’il a cru lui voir une bosse sur le dos[8] ; mais quoiqu’elle ait le dos arqué, on n’y trouve rien de pareil à cette éminence charnue des chameaux et des dromadaires.

Si de l’examen de la forme extérieure nous passons à celui de la conformation interne, nous trouverons à l’autruche de nouvelles dissemblances avec les oiseaux, et de nouveaux rapports avec les quadrupèdes.

Une tête fort petite[9], aplatie et composée d’os très tendres et très faibles[10], mais fortifiée à son sommet par une plaque de corne, est soutenue dans une situation horizontale sur une colonne osseuse d’environ trois pieds de haut, et composée de dix-sept vertèbres : la situation ordinaire du corps est aussi parallèle à l’horizon ; le dos a deux pieds de long et sept vertèbres, auxquelles s’articulent sept paires de côtes, dont deux de fausses et cinq de vraies : ces dernières sont doubles à leur origine, puis se réunissent en une seule branche. La clavicule est formée d’une troisième paire de fausses côtes[NdÉ 5] ; les cinq véritables vont s’attacher par des appendices cartilagineux au sternum, qui ne descend point jusqu’au bas du ventre, comme dans la plupart des oiseaux ; il est aussi beaucoup moins saillant au dehors ; sa forme a du rapport avec celle d’un bouclier, et il a plus de largeur que dans l’homme même. De l’os sacrum naît une espèce de queue composée de sept vertèbres semblables aux vertèbres humaines ; le fémur a un pied de long, le tibia et le tarse un pied et demi chacun, et chaque doigt est composé de trois phalanges[11] comme dans l’homme, et contre ce qui se voit ordinairement dans les doigts des oiseaux, lesquels ont très rarement un nombre égal de phalanges[12].

Si nous pénétrons plus à l’intérieur, et que nous observions les organes de la digestion, nous verrons d’abord un bec assez médiocre[13], capable d’une très grande ouverture, une langue fort courte et sans aucun vestige de papilles ; plus loin s’ouvre un ample pharynx proportionné à l’ouverture du bec, et qui peut admettre un corps de la grosseur du poing ; l’œsophage est aussi très large et très fort, et aboutit au premier ventricule qui fait ici trois fonctions : celle de jabot parce qu’il est le premier ; celle de ventricule parce qu’il est en partie musculeux et en partie muni de fibres musculeuses, longitudinales et circulaires[14] ; enfin, celle du bulbe glanduleux qui se trouve ordinairement dans la partie inférieure de l’œsophage la plus voisine du gésier, puisqu’il est en effet garni d’un grand nombre de glandes, et ces glandes sont conglomérées et non conglobées comme dans la plupart des oiseaux[15] : ce premier ventricule est situé plus bas que le second, en sorte que l’entrée de celui-ci, que l’on nomme communément l’orifice supérieur, est réellement l’orifice inférieur par sa situation ; ce second ventricule n’est souvent distingué du premier que par un léger étranglement, et quelquefois il est séparé lui-même en deux cavités distinctes par un étranglement semblable, mais qui ne paraît point au dehors ; il est parsemé de glandes et revêtu intérieurement d’une tunique villeuse presque semblable à la flanelle, sans beaucoup d’adhérence, et criblée d’une infinité de petits trous répondant aux orifices des glandes ; il n’est pas aussi fort que le sont communément les gésiers des oiseaux, mais il est fortifié par dehors de muscles très puissants, dont quelques-uns sont épais de trois pouces ; sa forme extérieure approche beaucoup de celle du ventricule de l’homme.

M. Duverney a prétendu que le canal hépatique se terminait dans ce second ventricule[16] comme cela a lieu dans la tanche et plusieurs autres poissons, et même quelquefois dans l’homme, selon l’observation de Galien[17] ; mais Ramby[18] et Vallisnieri[19] assurent avoir vu constamment dans plusieurs autruches l’insertion de ce canal dans le duodenum, deux pouces, un pouce, quelquefois même un demi-pouce seulement au-dessous du pylore ; et Vallisnieri indique ce qui aurait pu occasionner cette méprise, si c’en est une, en ajoutant plus bas qu’il avait vu dans deux autruches une veine allant du second ventricule au foie, laquelle veine il prit d’abord pour un rameau du canal hépatique, mais qu’il reconnut ensuite dans les deux sujets pour un vaisseau sanguin portant du sang au foie et non de la bile au ventricule[20].

Le pylore est plus ou moins large dans différents sujets, ordinairement teint en jaune et imbibé d’un suc amer, ainsi que le fond du second ventricule, ce qui est facile à comprendre, vu l’insertion du canal hépatique tout au commencement du duodenum, et sa direction de bas en haut.

Le pylore dégorge dans le duodenum, qui est le plus étroit des intestins, et où s’insèrent encore les deux canaux pancréatiques, un pied et quelquefois deux et trois pieds au-dessous de l’insertion de l’hépatique, au lieu qu’ils s’insèrent ordinairement dans les oiseaux tout près du cholédoque.

Le duodenum est sans valvules, ainsi que le jejunum ; l’iléon en a quelques-unes aux approches de sa jonction avec le colon : ces trois intestins grêles sont à peu près la moitié de la longueur de tout le tube intestinal, et cette longueur est fort sujette à varier, même dans les sujets d’égale grandeur, étant de soixante pieds dans les uns[21] et de vingt-neuf dans les autres[22].

Les deux cæcums naissent ou du commencement du colon, selon les anatomistes de l’Académie, ou de la fin de l’iléon, selon le docteur Ramby[23] ; chaque cæcum forme une espèce de cône creux, long de deux ou trois pieds, large d’un pouce à sa base, garni à l’intérieur d’une valvule en forme de lame spirale, faisant environ vingt tours de la base au sommet, comme dans le lièvre, le lapin et dans le renard marin, la raie, la torpille, l’anguille de mer, etc.

Le colon a aussi ses valvules en feuillet, mais au lieu de tourner en spirale comme dans le cæcum, la lame ou feuillet de chaque valvule forme un croissant qui occupe un peu plus que la demi-circonférence du colon ; en sorte que les extrémités des croissants opposés empiètent un peu les unes sur les autres, et se croisent de toute la quantité dont elles surpassent le demi-cercle, structure qui se retrouve dans le colon du singe et dans le jéjunum de l’homme, et qui se marque au dehors de l’intestin par des cannelures transversales, parallèles, espacées d’un demi-pouce, et répondant aux feuillets inférieurs ; mais ce qu’il y a de remarquable, c’est que ces feuillets ne se trouvent pas dans toute la longueur du colon, ou plutôt c’est que l’autruche a deux colons bien distincts, l’un plus large et garni de ces feuillets intérieurs en forme de croissants, sur une longueur d’environ huit pieds, l’autre plus étroit et plus long, qui n’a ni feuillets ni valvules, et s’étend jusqu’au rectum. C’est dans ce second colon que les excréments commencent à se figurer, selon Vallisnieri.

Le rectum est fort large, long d’environ un pied, et muni à son extrémité de fibres charnues : il s’ouvre dans une grande poche ou vessie composée des mêmes membranes que les intestins, mais plus épaisse, et dans laquelle on a trouvé quelquefois jusqu’à huit pouces d’urine[24], car les uretères s’y rendent aussi par une insertion très oblique, telle qu’elle a lieu dans la vessie des animaux terrestres ; et non seulement ils y charrient l’urine, mais encore une certaine pâte blanche qui accompagne les excréments de tous les oiseaux.

Cette première poche, à qui il ne manque qu’un col pour être une véritable vessie, communique, par un orifice muni d’une espèce de sphincter, à une seconde et dernière poche plus petite, qui sert de passage à l’urine et aux excréments solides, et qui est presque remplie par une sorte de noyau cartilagineux, adhérant par sa base à la jonction des os pubis, et refendu par le milieu à la manière des abricots.

Les excréments solides ressemblent beaucoup à ceux des brebis et des chèvres ; ils sont divisés en petites masses, dont le volume n’a aucun rapport avec la capacité des intestins où ils se sont formés : dans les intestins grêles, ils se présentent sous la forme d’une bouillie, tantôt verte et tantôt noire, selon la quantité des aliments, qui prennent de la consistance en approchant des gros intestins, mais qui ne se figurent, comme je l’ai déjà dit, que dans le second colon[25].

On trouve quelquefois, aux environs de l’anus, de petits sacs à peu près pareils à ceux que les lions et les tigres ont au même endroit.

Le mésentère est transparent dans toute son étendue, et large d’un pied en de certains endroits. Vallisnieri prétend y avoir vu des vestiges non obscurs de vaisseaux lymphatiques ; Ramby dit aussi que les vaisseaux du mésentère sont fort apparents, et il ajoute que les glandes en sont à peine visibles[26] ; mais il faut avouer qu’elles ont été absolument invisibles pour la plupart des autres observateurs.

Le foie est divisé en deux grands lobes, comme dans l’homme, mais il est situé plus au milieu de la région des hypocondres, et n’a point de vésicule du fiel : la rate est contiguë au premier estomac, et pèse au moins deux onces.

Les reins sont fort grands, rarement découpés en plusieurs lobes, comme dans les oiseaux, mais le plus souvent en forme de guitare, avec un bassin assez ample.

Les uretères ne sont point non plus comme dans la plupart des autres oiseaux, couchés sur les reins, mais renfermés dans leur substance[27].

L’épiploon et très petit, et ne recouvre qu’en partie le ventricule ; mais à la place de l’épiploon, on trouve quelquefois sur les intestins et sur tout le ventre, une couche de graisse ou de suif, renfermée entre les aponévroses des muscles du bas-ventre, épaisse depuis deux doigts jusqu’à six pouces[28] ; et c’est de cette graisse mêlée avec le sang que se forme la mantèque, comme nous le verrons plus bas : cette graisse était fort estimée et fort chère chez les Romains, qui, selon le témoignage de Pline, la croyaient plus efficace que celle de l’oie, contre les douleurs de rhumatisme, les tumeurs froides, la paralysie ; et encore aujourd’hui les Arabes l’emploient aux mêmes usages[29]. Vallisnieri est peut-être le seul qui, ayant apparemment disséqué des autruches fort maigres, doute de l’existence de cette graisse, d’autant plus qu’en Italie la maigreur de l’autruche a passé en proverbe, magro come uno struzzo ; il ajoute que les deux qu’il a observées paraissaient, étant disséquées, des squelettes décharnés, ce qui doit être vrai de toutes les autruches qui n’ont point de graisse, ou même à qui on l’a enlevée, attendu qu’elles n’ont point de chair sur la poitrine ni sur le ventre, les muscles du bas-ventre ne commençant à devenir charnus que sur les flancs[30].

Si des organes de la digestion je passe à ceux de la génération, je trouve de nouveaux rapports avec l’organisation des quadrupèdes ; le plus grand nombre des oiseaux n’a point de verge apparente, l’autruche en a une assez considérable, composée de deux ligaments blancs, solides et nerveux, ayant quatre lignes de diamètre, revêtus d’une membrane épaisse, et qui ne s’unissent qu’à deux doigts près de l’extrémité ; dans quelques sujets, on a aperçu de plus, dans cette partie, une substance rouge, spongieuse, garnie d’une multitude de vaisseaux, en un mot, fort approchante des corps caverneux qu’on observe dans la verge des animaux terrestres ; le tout est renfermé dans une membrane commune, de même substance que les ligaments, quoique cependant moins épaisse et moins dure ; cette verge n’a ni gland, ni prépuce, ni même de cavité qui pût donner issue à la matière séminale, selon MM. les anatomistes de l’Académie[31], mais G. Warren prétend avoir disséqué une autruche dont la verge, longue de cinq pouces et demi, était creusée longitudinalement dans sa partie supérieure, d’une espèce de sillon ou gouttière, qui lui parut être le conduit de la semence[32]. Soit que cette gouttière fût formée par la jonction des deux ligaments, soit que G. Warren se soit mépris, en prenant pour la verge ce noyau cartilagineux de la seconde poche du rectum, qui est en effet fendu, comme je l’ai remarqué plus haut, soit que la structure et la forme de cette partie soit sujette à varier en différents sujets, il paraît que cette verge est adhérente par sa base à ce noyau cartilagineux, d’où se repliant en dessous elle passe par la petite poche et sort par son orifice externe, qui est l’anus et qui étant bordé d’un repli membraneux forme à cette partie un faux prépuce que le docteur Browne a pris sans doute pour un prépuce véritable, car il est le seul qui en donne un à l’autruche[33].

Il y a quatre muscles qui appartiennent à l’anus et à la verge, et de là résulte entre ces parties une correspondance de mouvement, en vertu de laquelle, lorsque l’animal fiente, la verge sort de plusieurs pouces[34].

Les testicules sont de différentes grosseurs en différents sujets, et varient à cet égard dans la proportion de quarante-huit à un, sans doute selon l’âge, la saison, le genre de maladie qui a précédé la mort, etc. Ils varient aussi pour la configuration extérieure, mais la structure interne est toujours la même ; leur place est sur les reins, un peu plus à gauche qu’à droite : G. Warren croit avoir aperçu des vésicules séminales.

Les femelles ont aussi des testicules[NdÉ 6] ; car je pense qu’on doit nommer ainsi ces corps glanduleux de quatre lignes de diamètre sur dix-huit de longueur que l’on trouve dans les femelles au-dessus de l’ovaire, adhérents à l’aorte et à la veine-cave, et qu’on ne peut avoir pris pour des glandes surrénales que par la prévention résultant de quelque système adopté précédemment. Les canes-petières femelles ont aussi des testicules semblables à ceux des mâles[35], et il y a lieu de croire que les outardes femelles en ont pareillement, et que si MM. les anatomistes de l’Académie, dans leurs nombreuses dissections, ont cru n’avoir jamais rencontré que des mâles[36], c’est qu’ils ne voulaient point reconnaître comme femelle un animal à qui ils voyaient des testicules. Or, tout le monde sait que l’outarde est parmi les oiseaux d’Europe celui qui a le plus de rapport avec l’autruche, et que la cane-petière n’est qu’une petite outarde ; en sorte que tout ce que j’ai dit dans le traité de la génération sur les testicules des femelles des quadrupèdes[NdÉ 7] s’applique ici de soi-même à toute cette classe d’oiseaux, et trouvera peut-être dans la suite des applications encore plus étendues.

Au-dessous de ces deux corps glanduleux est placé l’ovaire, adhérant aussi aux gros vaisseaux sanguins ; on le trouve ordinairement garni d’œufs de différentes grosseurs, renfermés dans leur calice comme un petit gland l’est dans le sien et attachés à l’ovaire par leurs pédicules ; M. Perrault en a vu qui étaient gros comme des pois, d’autres comme des noix, un seul comme les deux poings[37].

Cet ovaire est unique comme dans presque tous les oiseaux, et c’est, pour le dire en passant, un préjugé de plus contre l’idée de ceux qui veulent que les deux corps glanduleux qui se trouvent dans toutes les femelles des quadrupèdes représentent cet ovaire, qui est une partie simple[38], au lieu d’avouer qu’ils représentent en effet les testicules[NdÉ 8], qui sont au nombre des parties doubles, dans les mâles des oiseaux comme dans les quadrupèdes.

L’entonnoir de l’oviductus s’ouvre au-dessous de l’ovaire, et jette à droite et à gauche deux appendices membraneux en forme d’aileron, lesquels ont du rapport à ceux qui se trouvent à l’extrémité de la trompe dans les animaux terrestres[39]. Les œufs qui se détachent de l’ovaire sont reçus dans cet entonnoir et conduits le long de l’oviductus dans la dernière poche intestinale, où ce canal débouche par un orifice de quatre lignes de diamètre, mais qui paraît capable d’une dilatation proportionnée au volume des œufs, étant plissé ou ridé dans toute sa circonférence ; l’intérieur de l’oviductus était aussi ridé, ou plutôt feuilleté comme le troisième et le quatrième ventricule des ruminants[40].

Enfin la seconde et dernière poche intestinale, dont je viens de parler, a aussi dans la femelle son noyau cartilagineux, comme dans le mâle ; et ce noyau, qui sort quelquefois de plus d’un demi-pouce hors de l’anus, a un petit appendice de la longueur de trois lignes, mince et recourbé, que MM. les anatomistes de l’Académie regardent comme un clitoris[41], avec d’autant plus de fondement que les deux mêmes muscles qui s’insèrent à la base de la verge dans les mâles s’insèrent à la base de cet appendice dans les femelles.

Je ne m’arrêterai point à décrire en détail les organes de la respiration, vu qu’ils ressemblent presque entièrement à ce qu’on voit dans tous les oiseaux, étant composés de deux poumons de substance spongieuse et de dix cellules à air, cinq de chaque côté, dont la quatrième est plus petite ici comme dans tous les autres oiseaux pesants : ces cellules reçoivent l’air des poumons avec lesquels elles ont des communications fort sensibles ; mais il faut qu’elles en aient aussi de moins apparentes avec d’autres parties, puisque Vallisnieri, en soufflant dans la trachée-artère, a vu un gonflement le long des cuisses et sous les ailes[42], ce qui suppose une conformation semblable à celle du pélican, dans lequel M. Méry a aperçu, sous l’aisselle, et entre la cuisse et le ventre, des poches membraneuses qui se remplissaient d’air au temps de l’expiration, ou lorsqu’on soufflait avec force dans la trachée-artère, et qui en fournissaient apparemment au tissu cellulaire[43].

Le docteur Browne dit positivement que l’autruche n’a point d’épiglotte[44] ; M. Perrault le suppose, puisqu’il attribue à un certain muscle la fonction de fermer la glotte en rapprochant les cartilages du larynx[45] : G. Warren prétend avoir vu une épiglotte dans le sujet qu’il a disséqué[46] ; et Vallisnieri concilie toutes ces contrariétés en disant qu’en effet il n’y a pas précisément une épiglotte[NdÉ 9], mais que la partie postérieure de la langue en tient lieu, en s’appliquant sur la glotte dans la déglutition[47].

Il y a aussi diversité d’avis sur le nombre et la forme des anneaux cartilagineux du larynx : Vallisnieri n’en compte que deux cent dix-huit, et soutient avec M. Perrault qu’ils sont tous entiers : Warren en a trouvé deux cent vingt-six entiers, sans compter les premiers qui ne le sont point, non plus que ceux qui sont immédiatement au-dessous de la bifurcation de la trachée. Tout cela peut être vrai, attendu les grandes variétés auxquelles est sujette la structure des parties internes ; mais tout cela prouve en même temps combien il est téméraire de vouloir décrire une espèce entière d’après un petit nombre d’individus, et combien il est dangereux, par cette méthode, de prendre ou de donner des variétés individuelles pour des caractères constants. M. Perrault a observé que chacune des deux branches de la trachée-artère se divise, en entrant dans le poumon, en plusieurs rameaux membraneux, comme dans l’éléphant[48].

Le cerveau, avec le cervelet, forme une masse d’environ deux pouces et demi de long sur vingt lignes de large : Vallisnieri assure que celui qu’il a examiné ne pesait qu’une once, ce qui ne ferait pas la douze centième partie du poids de l’animal ; il ajoute que la structure en était semblable à celle du cerveau des oiseaux, et telle précisément qu’elle est décrite par Willis ; je remarquerai néanmoins, avec MM. les anatomistes de l’Académie, que les dix paires de nerfs prennent leur origine et sortent hors du crâne de la même manière que dans les animaux terrestres[NdÉ 10] ; que la partie corticale et la partie moelleuse du cervelet sont disposées comme dans ces mêmes animaux ; qu’on y trouve quelquefois les deux apophyses vermiformes qui se voient dans l’homme, et un ventricule, de la forme d’une plume à écrire, comme dans la plupart des quadrupèdes[49].

Je ne dirai qu’un mot sur les organes de la circulation, c’est que le cœur est presque rond, au lieu que les oiseaux l’ont ordinairement plus allongé.

À l’égard des sens externes, j’ai déjà parlé de la langue, de l’oreille et de la forme extérieure de l’œil ; j’ajouterai seulement ici que sa structure interne est celle qu’on observe ordinairement dans les oiseaux. M. Ramby prétend que le globe tiré de son orbite prend de lui-même une forme presque triangulaire[50] ; il a aussi trouvé l’humeur aqueuse en plus grande quantité, et l’humeur vitrée en moindre quantité qu’à l’ordinaire[51].

Les narines sont dans le bec supérieur, non loin de sa base ; il s’élève du milieu de chacune des deux ouvertures une protubérance cartilagineuse revêtue d’une membrane très fine, et ces ouvertures communiquent avec le palais par deux conduits qui y aboutissent dans une fente assez considérable ; on se tromperait si l’on voulait conclure de la structure un peu compliquée de cet organe que l’autruche excelle par le sens de l’odorat ; les faits les mieux constatés nous apprendront bientôt tout le contraire, et il paraît en général que les sensations principales et dominantes de cet animal sont celles de la vue et du sixième sens.

Cet exposé succinct de l’organisation intérieure de l’autruche est plus que suffisant pour confirmer l’idée que j’ai donnée d’abord de cet animal singulier qui doit être regardé comme un être de nature équivoque, et faisant la nuance entre le quadrupède et l’oiseau[52] ; sa place, dans une méthode où l’on se proposerait de représenter le vrai système de la nature, ne serait ni dans la classe des oiseaux, ni dans celle des quadrupèdes, mais sur le passage de l’une à l’autre[NdÉ 11] ; en effet, quel autre rang assigner à un animal dont le corps, mi-parti d’oiseau et de quadrupède, est porté sur des pieds de quadrupède et surmonté par une tête d’oiseau, dont le mâle a une verge, et la femelle un clitoris, comme les quadrupèdes, et qui néanmoins est ovipare, qui a un gésier comme les oiseaux, et en même temps plusieurs estomacs et des intestins qui, par leur capacité et leur structure, répondent en partie à ceux des ruminants, en partie à ceux d’autres quadrupèdes ?

Dans l’ordre de la fécondité, l’autruche semble encore appartenir de plus près à la classe des quadrupèdes qu’à celle des oiseaux, car elle est très féconde et produit beaucoup. Aristote dit qu’après l’autruche, l’oiseau qu’il nomme atricapilla[NdÉ 12] est celui qui pond le plus ; et il ajoute que cet oiseau, atricapilla, pond vingt œufs et davantage : d’où il suivrait que l’autruche en pond au moins vingt-cinq ; d’ailleurs, selon les historiens modernes et les voyageurs les plus instruits, elle fait plusieurs couvées de douze ou quinze œufs chacune. Or, si on la rapportait à la classe des oiseaux, elle serait la plus grande, et par conséquent devrait produire le moins, suivant l’ordre qui suit constamment la nature dans la multiplication des animaux, dont elle paraît avoir fixé la proportion en raison inverse de la grandeur des individus ; au lieu qu’étant rapportée à la classe des animaux terrestres, elle se trouve très petite, relativement aux plus grands, et plus petite que ceux de grandeur médiocre, tels que le cochon, et sa grande fécondité rentre dans l’ordre naturel et général[NdÉ 13].

Oppien, qui croyait mal à propos que les chameaux de la Bactriane s’accouplaient à rebours et en se tournant le derrière, a cru par une seconde erreur qu’un oiseau-chameau (car c’est le nom qu’on donnait dès lors à l’autruche ) ne pourrait manquer de s’accoupler de la même façon ; et il l’a avancé comme un fait certain ; mais cela n’est pas plus vrai de l’oiseau-chameau que du chameau lui-même, comme je l’ai dit ailleurs : et quoique, selon toute apparence, peu d’observateurs aient été témoins de cet accouplement, et qu’aucun n’en ait rendu compte, on est en droit de supposer qu’il se fait à la manière accoutumée, jusqu’à ce qu’il y ait preuve du contraire[NdÉ 14]</ref>.

Les autruches passent pour être fort lascives et s’accoupler souvent ; et si l’on se rappelle ce que j’ai dit ci-dessus des dimensions de la verge du mâle, on concevra que ces accouplements ne se passent point en simples compressions, comme dans presque tous les oiseaux, mais qu’il y a une intromission réelle des parties sexuelles du mâle dans celles de la femelle. Thévenot est le seul qui dise qu’elles s’assortissent par paires, et que chaque mâle n’a qu’une femelle, contre l’usage des oiseaux pesants[53].

Le temps de la ponte dépend du climat qu’elles habitent, et c’est toujours aux environs du solstice d’été, c’est-à-dire au commencement de juillet, dans l’Afrique septentrionale[54], et sur la fin de décembre dans l’Afrique méridionale[55]. La température du climat influe aussi beaucoup sur leur manière de couver ; dans la zone torride, elles se contentent de déposer leurs œufs sur un amas de sable qu’elles ont formé grossièrement avec leurs pieds, et où la seule chaleur du soleil les fait éclore ; à peine les couvent-elles pendant la nuit, et cela même n’est pas toujours nécessaire, puisqu’on en a vu éclore qui n’avaient point été couvés par la mère, ni même exposés aux rayons du soleil[56] ; mais quoique les autruches ne couvent point ou que très peu leurs œufs, il s’en faut beaucoup qu’elles les abandonnent : au contraire, elles veillent assidûment à leur conservation, et ne les perdent guère de vue ; c’est de là qu’on a pris occasion de dire qu’elles les couvaient des yeux, à la lettre, et Diodore rapporte une façon de prendre ces animaux, fondée sur leur grand attachement pour leur couvée : c’est de planter en terre, aux environs du nid et à une juste hauteur, des pieux armés de pointes bien acérées, dans lesquelles la mère s’enferre d’elle-même lorsqu’elle revient avec empressement se poser sur ses œufs[57].

Quoique le climat de la France soit beaucoup moins chaud que celui de la Barbarie, on a vu des autruches pondre à la ménagerie de Versailles ; mais MM. de l’Académie ont tenté inutilement de faire éclore ces œufs par une incubation artificielle, soit en employant la chaleur du soleil ou celle d’un feu gradué et ménagé avec art ; ils n’ont jamais pu parvenir à découvrir dans les uns ni dans les autres aucune organisation commencée, ni même aucune disposition apparente à la génération d’un nouvel être ; le jaune et le blanc de celui qui avait été exposé au feu s’étaient un peu épaissis ; celui qui avait été mis au soleil avait contracté une très mauvaise odeur, et aucun ne présentait la moindre apparence d’un fœtus ébauché[58], en sorte que cette incubation philosophique[NdÉ 15] n’eut aucun succès. M. de Réaumur n’existait pas encore.

Ces œufs sont très durs, très pesants et très gros ; mais on se les représente quelquefois encore plus gros qu’ils ne sont en effet[NdÉ 16], en prenant des œufs de crocodile pour des œufs d’autruche[59] : on a dit qu’ils étaient comme la tête d’un enfant[60], qu’ils pouvaient contenir jusqu’à une pinte de liqueur[61], qu’ils pesaient quinze livres[62], et qu’une autruche en pondait cinquante dans une année[63] : Élien a dit jusqu’à quatre-vingts ; mais la plupart de ces faits me paraissent évidemment exagérés ; car, 1o comment se peut-il faire qu’un œuf dont la coque ne pèse pas plus d’une livre, et qui contient au plus une pinte de liqueur, soit du poids total de quinze livres ? il faudrait pour cela que le blanc et le jaune de cet œuf fussent sept fois plus denses que l’eau, trois fois plus que le marbre, et à peu près autant que l’étain, ce qui est dur à supposer.

2o En admettant, avec Willughby, que l’autruche pond dans une année cinquante œufs pesant quinze livres chacun, il s’ensuivrait que le poids total de la ponte serait de sept cent cinquante livres, ce qui est beaucoup pour un animal qui n’en pèse que quatre-vingts.

Il me paraît donc qu’il y a une réduction considérable à faire, tant sur le poids des œufs que sur leur nombre, et il est fâcheux qu’on n’ait pas de mémoires assez sûrs pour déterminer avec justesse la quantité de cette réduction ; on pourrait, en attendant, fixer le nombre des œufs, d’après Aristote, à vingt-cinq ou trente ; et, d’après les modernes qui ont parlé le plus sagement, à trente-six ; en admettant deux ou trois couvées, et douze œufs par chaque couvée, on pourrait encore déterminer le poids de chaque œuf à trois ou quatre livres, en passant une livre plus ou moins pour la coque, et deux ou trois livres pour la pinte de blanc et de jaune qu’elle contient ; mais il y a bien loin de cette fixation conjecturale à une observation précise. Beaucoup de gens écrivent, mais il en est peu qui mesurent, qui pèsent, qui comparent ; de quinze ou seize autruches dont on a fait la dissection en différents pays, il n’y en a qu’une seule qui ait été pesée, et c’est celle dont nous devons la description à Vallisnieri[NdÉ 17]. On ne sait pas mieux le temps qui est nécessaire pour l’incubation des œufs[NdÉ 18] : tout ce qu’on sait, ou plutôt tout ce qu’on assure, c’est qu’aussitôt que les jeunes autruches sont écloses elles sont en état de marcher, et même de courir et de chercher leur nourriture[64], en sorte que dans la zone torride, où elles trouvent le degré de chaleur qui leur convient et la nourriture qui leur est propre, elles sont émancipées en naissant, et sont abandonnées de leur mère, dont les soins leur sont inutiles ; mais dans les pays moins chauds, par exemple au cap de Bonne-Espérance, la mère veille à ses petits tant que ses secours leurs sont nécessaires[65], et partout les soins sont proportionnés aux besoins.

Les jeunes autruches sont d’un gris cendré la première année, et ont des plumes partout, mais ce sont de fausses plumes qui tombent bientôt d’elles-mêmes pour ne plus revenir sur les parties qui doivent être nues, comme la tête, le haut du cou, les cuisses, les flancs et le dessous des ailes[NdÉ 19] ; elles sont remplacées sur le reste du corps par des plumes alternativement blanches et noires, et quelquefois grises par le mélange de ces deux couleurs fondues ensemble ; les plus courtes sont sur la partie inférieure du cou, la seule qui en soit revêtue ; elles deviennent plus longues sur le ventre et sur le dos ; les plus longues de toutes sont à l’extrémité de la queue et des ailes, et ce sont les plus recherchées. M. Klein dit, d’après Albert, que les plumes du dos sont très noires dans les mâles, et brunes dans les femelles[66] : cependant MM. de l’Académie, qui ont disséqué huit autruches, dont cinq mâles et trois femelles, ont trouvé le plumage à peu près semblable dans les unes et les autres[67] ; mais on n’en a jamais vu qui eussent des plumes rouges, vertes, bleues et jaunes, comme Cardan semble l’avoir cru, par une méprise bien déplacée dans un ouvrage sur la subtilité.

Redi a reconnu, par de nombreuses observations, que presque tous les oiseaux étaient sujets à avoir de la vermine dans leurs plumes, et même de plusieurs espèces, et que la plupart avaient leurs insectes particuliers qui ne se rencontraient point ailleurs ; mais il n’en a jamais trouvé en aucune saison dans les autruches, quoiqu’il ait fait ses observations sur douze de ces animaux, dont quelques-uns étaient récemment arrivés de Barbarie[68].

D’un autre côté Vallisnieri, qui en a disséqué deux, n’a trouvé dans leur intérieur ni lombrics, ni vers, ni insectes quelconques[69] ; il semble qu’aucun de ces animaux n’ait d’appétit pour la chair de l’autruche, qu’ils l’évitent même et la craignent, et que cette chair ait quelque qualité contraire à leur multiplication, à moins qu’on ne veuille attribuer cet effet, du moins pour l’intérieur, à la force de l’estomac et de tous les organes digestifs, car l’autruche a une grande réputation à cet égard ; il y a bien des gens encore qui croient qu’elle digère le fer, comme la volaille commune digère les grains d’orge ; quelques auteurs ont même avancé qu’elle digérait le fer rouge[70], mais on me dispensera sans doute de réfuter sérieusement cette dernière assertion ; ce sera bien assez de déterminer d’après les faits dans quel sens on peut dire que l’autruche digère le fer à froid[NdÉ 20].

Il est certain que les animaux vivent principalement de matières végétales[NdÉ 21], qu’ils ont le gésier muni de muscles très forts, comme tous les granivores[71], et qu’ils avalent fort souvent du fer[72], du cuivre, des pierres, du verre, du bois et tout ce qui se présente ; je ne nierais pas même qu’ils n’avalassent quelquefois du fer rouge[NdÉ 22], pourvu que ce fût en petite quantité, et je ne pense pas avec cela que ce fût impunément ; il paraît qu’ils avalent tout ce qu’ils trouvent, jusqu’à ce que leurs grands estomacs soient entièrement pleins, et que le besoin de les lester par un volume suffisant de matière est l’une des principales causes de leur voracité. Dans les sujets disséqués par Warren[73] et par Ramby[74], les ventricules étaient tellement remplis et distendus que la première idée qui vint à ces deux anatomistes fut de douter que ces animaux eussent jamais pu digérer une telle surcharge de nourriture. Ramby ajoute que les matières contenues dans ces ventricules paraissent n’avoir subi qu’une légère altération. Vallisnieri trouva aussi le premier ventricule entièrement plein d’herbes, de fruits, de légumes, de noix, de cordes, de pierres, de verre, de cuivre jaune et rouge, de fer, d’étain, de plomb et de bois ; il y en avait entre autres un morceau, c’était le dernier avalé, puisqu’il était tout au-dessus, lequel ne pesait pas loin d’une livre[75]. MM. de l’Académie assurent que les ventricules des huit autruches qu’ils ont observées se sont toujours trouvés remplis de foin, d’herbes, d’orge, de fèves, d’os, de monnaies de cuivre et de cailloux, dont quelques-uns avaient la grosseur d’un œuf[76] ; l’autruche entasse donc les matières dans ses estomacs à raison de leur capacité et par la nécessite de les remplir ; et comme elle digère avec facilité et promptitude il est aisé de comprendre pourquoi elle est insatiable.

Mais quelque insatiable qu’elle soit, on me demandera toujours, non pas pourquoi elle consomme tant de nourriture[NdÉ 23], mais pourquoi elle avale des matières qui ne peuvent point la nourrir, et qui peuvent même lui faire beaucoup de mal ; je répondrai que c’est parce qu’elle est privée du sens du goût, et cela est d’autant plus vraisemblable que sa langue étant bien examinée par d’habiles anatomistes, leur a paru dépourvue de toutes ces papilles sensibles et nerveuses, dans lesquelles on croit, avec assez de fondement, que réside la sensation du goût[77] ; je croirais même qu’elle aurait le sens de l’odorat fort obtus, car ce sens est celui qui sert le plus aux animaux pour le discernement de leur nourriture, et l’autruche a si peu de ce discernement qu’elle avale non seulement le fer, les cailloux, le verre, mais même le cuivre qui a une si mauvaise odeur, et que Vallisnieri en a vu une qui était morte pour avoir dévoré une grande quantité de chaux vive[78] : les gallinacés et autres granivores, qui n’ont pas les organes du goût fort sensibles, avalent bien de petites pierres, qu’ils prennent apparemment pour de petites graines[NdÉ 24], lorsqu’elles sont mêlées ensemble ; mais si on leur présente pour toute nourriture un nombre connu de ces petites pierres ils mourront de faim sans en avaler une seule[79] ; à plus forte raison ne toucheraient-ils point à la chaux vive : et l’on peut conclure de là, ce me semble, que l’autruche est un des oiseaux dont les sens du goût et de l’odorat, et même celui du toucher dans les parties internes de la bouche, sont les plus émoussés et les plus obtus ; en quoi il faut convenir qu’elle s’éloigne beaucoup de la nature des quadrupèdes.

Mais enfin que deviennent les substances dures, réfractaires et nuisibles que l’autruche avale sans choix et dans la seule intention de se remplir ? que deviennent surtout le cuivre, le verre, le fer ? sur cela les avis sont partagés, et chacun cite des faits à l’appui de son opinion. M. Perrault ayant trouvé soixante et dix doubles dans l’estomac d’un de ces animaux, remarqua qu’ils étaient la plupart usés et consumés presque aux trois quarts ; mais il jugea que c’était plutôt par leur frottement mutuel et celui des cailloux que par l’action d’aucun acide, vu que quelques-uns de ces doubles, qui étaient bossus, se trouvèrent fort usés du côté convexe, qui était aussi le plus exposé aux frottements, et nullement endommagés du côté concave ; d’où il conclut que dans les oiseaux la dissolution de la nourriture ne se fait pas seulement par des esprits subtils et pénétrants, mais encore par l’action organique du ventricule qui comprime et bat incessamment les aliments avec les corps durs que ces mêmes animaux ont l’instinct d’avaler ; et comme toutes les matières contenues dans cet estomac étaient teintes en vert, il conclut encore que la dissolution du cuivre s’y était faite non par un dissolvant particulier, ni par voie de digestion, mais de la même manière quelle se ferait si l’on broyait ce métal avec des herbes ou avec quelque liqueur acide ou salée : il ajoute que le cuivre, bien loin de se tourner en nourriture dans l’estomac de l’autruche, y agissait au contraire comme poison, et que toutes celles qui en avalaient beaucoup mouraient bientôt après[80].

Vallisnieri pense au contraire que l’autruche digère ou dissout les corps durs, principalement par l’action du dissolvant de l’estomac, sans exclure celle des chocs et frottements qui peuvent aider à cette action principale ; voici ses preuves :

1o Les morceaux de bois, de fer ou de verre qui ont séjourné quelque temps dans les ventricules de l’autruche ne sont point lisses et luisants comme ils devraient l’être s’ils eussent été usés par le frottement, mais ils sont raboteux, sillonnés, criblés comme ils doivent l’être, en supposant qu’ils aient été rongés par un dissolvant actif ;

2o Ce dissolvant réduit les corps les plus durs, de même que les herbes, les grains et les os en molécules impalpables qu’on peut apercevoir au microscope et même à l’œil nu ;

3o Il a trouvé dans un estomac d’autruche un clou implanté dans l’une de ses parois, et qui traversait cet estomac de façon que les parois opposées ne pouvaient s’approcher ni par conséquent comprimer les matières contenues autant qu’elles le font d’ordinaire ; cependant les aliments étaient aussi bien dissous dans ce ventricule que dans un autre qui n’était traversé d’aucun clou, ce qui prouve au moins que la digestion ne se fait pas dans l’autruche uniquement par trituration ;

4o Il a vu un dé à coudre, de cuivre, trouvé dans l’estomac d’un chapon, lequel n’était rongé que dans le seul endroit par où il touchait au gésier, et qui par conséquent était le moins exposé aux chocs des autres corps durs : preuve que la dissolution des métaux, dans l’estomac des chapons, se fait plutôt par l’action d’un dissolvant, quel qu’il soit, que par celle des chocs et des frottements ; et cette conséquence s’étend assez naturellement aux autruches ;

5o Il a vu une pièce de monnaie rongée si profondément que son poids était réduit à trois grains ;

6o Les glandes du premier estomac donnent, étant pressées, une liqueur visqueuse, jaunâtre, insipide, et qui néanmoins imprime très promptement sur le fer une tache obscure ;

7o Enfin l’activité de ces sucs, la force des muscles du gésier, et la couleur noire qui teint les excréments des autruches qui ont avalé du fer, comme elle teint ceux des personnes qui font usage des martiaux et les digèrent bien, venant à l’appui des faits précédents, autorisent Vallisnieri à conjecturer, non pas tout à fait que les autruches digèrent le fer et s’en nourrissent, comme divers insectes ou reptiles se nourrissent de terre et de pierres, mais que les pierres, les métaux et surtout le fer, dissous par le suc des glandes, servent à tempérer, comme absorbants, les ferments trop actifs de l’estomac ; qu’ils peuvent se mêler à la nourriture comme éléments utiles, l’assaisonner, augmenter la force des solides, et d’autant plus que le fer entre, comme on sait, dans la composition des êtres vivants ; et que, lorsqu’il est suffisamment atténué par des acides convenables, il se volatilise et acquiert une tendance à végéter, pour ainsi dire, et à prendre des formes analogues à celles des plantes, comme on le voit dans l’arbre de mars[81] ; et c’est en effet le seul sens raisonnable dans lequel on puisse dire que l’autruche digère le fer, et quand elle aurait l’estomac assez fort pour le digérer véritablement, ce n’est que par une erreur bien ridicule qu’on aurait pu attribuer à ce gésier, comme on a fait, la qualité d’un remède et la vertu d’aider la digestion, puisqu’on ne peut nier qu’il ne soit par lui-même un morceau tout à fait indigeste ; mais telle est la nature de l’esprit humain, lorsqu’il est une fois frappé de quelque objet rare et singulier, il se plaît à le rendre plus singulier encore, en lui attribuant des propriétés chimériques et souvent absurdes : c’est ainsi qu’on a prétendu que les pierres les plus transparentes qu’on trouve dans les ventricules de l’autruche avaient aussi la vertu, étant portées au cou, de faire de bonnes digestions ; que la tunique intérieure de son gésier avait celle de ranimer un tempérament affaibli et d’inspirer de l’amour ; son foie celle de guérir le mal caduc ; son sang celle de rétablir la vue ; la coque de ses œufs réduite en poudre celle de soulager les douleurs de la goutte et de la gravelle, etc. Vallisnieri a eu occasion de constater par ses expériences la fausseté de la plupart de ces prétendues vertus, et ses expériences sont d’autant plus décisives qu’il les a faites sur les personnes les plus crédules et les plus prévenues[82].

L’autruche est un oiseau propre et particulier à l’Afrique, aux îles voisines de ce continent[83], et à la partie de l’Asie qui confine à l’Afrique ; ces régions, qui sont le pays natal du chameau, du rhinocéros, de l’éléphant et de plusieurs autres grands animaux, devaient aussi être la patrie de l’autruche, qui est l’éléphant des oiseaux ; elles sont très fréquentes dans les montagnes situées au sud-ouest d’Alexandrie, suivant le docteur Pococke. Un missionnaire dit qu’on en trouve à Goa, mais beaucoup moins qu’en Arabie[84] ; Philostrate prétend même qu’Apollonius en trouva jusqu’au delà du Gange[85], mais c’était sans doute dans un temps où ce pays était moins peuplé qu’aujourd’hui : les voyageurs modernes n’en ont point aperçu dans ce même pays, sinon celles qu’on y avait menées d’ailleurs[86], et tous conviennent qu’elles ne s’écartent guère au delà du trente-cinquième degré de latitude, de part et d’autre de la ligne ; et comme l’autruche ne vole point, elle est dans le cas de tous les quadrupèdes des parties méridionales de l’ancien continent, c’est-à-dire qu’elle n’a pu passer dans le nouveau : aussi n’en a-t-on point trouvé en Amérique, quoiqu’on ait donné son nom au touyou, qui lui ressemble en effet en ce qu’il ne vole point, et par quelques autres rapports, mais qui est d’une espèce différente, comme nous le verrons bientôt dans son histoire : par la même raison on ne l’a jamais rencontrée en Europe, où elle aurait cependant pu trouver un climat convenable à sa nature dans la Morée et au midi de l’Espagne et de l’Italie ; mais pour se rendre dans ces contrées il eût fallu ou franchir les mers qui l’en séparaient, ce qui lui était impossible, ou faire le tour de ces mers et remonter jusqu’au cinquantième degré de latitude pour revenir par le nord en traversant des régions très peuplées, nouvel obstacle doublement insurmontable à la migration d’un animal qui ne se plaît que dans les pays chauds et les déserts ; les autruches habitent en effet, par préférence, les lieux les plus solitaires et les plus arides, où il ne pleut presque jamais[87], et cela confirme ce que disent les Arabes, qu’elles ne boivent point[NdÉ 25] ; elles se réunissent dans ces déserts en troupes nombreuses, qui de loin ressemblent à des escadrons de cavalerie, et ont jeté l’alarme dans plus d’une caravane : leur vie doit être un peu dure dans ces solitudes vastes et stériles, mais elles y trouvent la liberté et l’amour ; et quel désert, à ce prix, ne serait un lieu de délices ? C’est pour jouir, au sein de la nature, de ces biens inestimables qu’elles fuient l’homme ; mais l’homme, qui sait le profit qu’il en peut tirer, les va chercher dans leurs retraites les plus sauvages ; il se nourrit de leurs œufs, de leur sang, de leur graisse, de leur chair, il se pare de leurs plumes ; il conserve peut-être l’espérance de les subjuguer tout à fait et de les mettre au nombre de ses esclaves. L’autruche promet trop d’avantages à l’homme pour qu’elle puisse être en sûreté dans ses déserts.

Des peuples entiers ont mérité le nom de struthophages par l’usage où ils étaient de manger de l’autruche[88], et ces peuples étaient voisins des éléphantophages, qui ne faisaient pas meilleure chère. Apicius prescrit, et avec grande raison, une sauce un peu vive pour cette viande[89], ce qui prouve au moins qu’elle était en usage chez les Romains ; mais nous en avons d’autres preuves. L’empereur Héliogabale fit un jour servir la cervelle de six cents autruches dans un seul repas[90] ; cet empereur avait, comme on sait, la fantaisie de ne manger chaque jour que d’une seule viande, comme faisans, cochons, poulets, et l’autruche était du nombre[91], mais apprêtée sans doute à la manière d’Apicius ; encore aujourd’hui les habitants de la Libye, de la Numidie, etc., en nourrissent de privées, dont ils mangent la chair et vendent les plumes[92] ; cependant les chiens ni les chats ne voulurent pas même sentir la chair d’une autruche que Vallisnieri avait disséquée, quoique cette chair fût encore fraîche et vermeille : à la vérité, l’autruche était d’une très grande maigreur[93] ; de plus, elle pouvait être vieille ; et Léon l’Africain, qui en avait goûté sur les lieux, nous apprend qu’on ne mangeait guère que les jeunes, et même après les avoir engraissées[94] ; le rabbin David Kimbi ajoute qu’on préférait les femelles[95], et peut-être en eût-on fait un mets passable en les soumettant à la castration.

Cadamosto et quelques autres voyageurs disent avoir goûté des œufs d’autruche et ne les avoir point trouvés mauvais ; de Brue et Le Maire assurent que dans un seul de ces œufs il y a de quoi nourrir huit hommes[96] ; d’autres qui pèsent autant que trente œufs de poule[97] ; mais il y a bien loin de là à quinze livres.

On fait avec la coque de ces œufs des espèces de coupes qui durcissent avec le temps, et ressemblent en quelque sorte à de l’ivoire.

Lorsque les Arabes ont tué une autruche, ils lui ouvrent la gorge, font une ligature au-dessous du trou, et, la prenant ensuite à trois ou quatre, ils la secouent et la ressassent comme on ressasserait une outre pour la rincer ; après quoi, la ligature étant défaite, il sort par le trou fait à la gorge une quantité considérable de mantèque en consistance d’huile figée ; on en tire quelquefois jusqu’à vingt livres d’une seule autruche ; cette mantèque n’est autre chose que le sang de l’animal mêlé, non avec sa chair, comme on l’a dit, puisqu’on ne lui en trouvait point sur le ventre et la poitrine, où en effet il n’y en a jamais ; mais avec cette graisse, qui, dans les autruches grasses, forme, comme nous avons dit, une couche de plusieurs pouces sur les intestins ; les habitants du pays prétendent que la mantèque est un très bon manger, mais qu’elle donne le cours de ventre[98].

Les Éthiopiens écorchent les autruches et vendent leurs peaux aux marchands d’Alexandrie ; le cuir en est très épais[99], et les Arabes s’en faisaient autrefois des espèces de soubrevestes qui leur tenaient lieu de cuirasse et de bouclier[100]. Belon a vu une grande quantité de ces peaux toutes emplumées dans les boutiques d’Alexandrie[101] ; les longues plumes blanches de la queue et des ailes ont été recherchées dans tous les temps ; les anciens les employaient comme ornement et comme distinction militaire, et elles avaient succédé aux plumes de cygne ; car les oiseaux ont toujours été en possession de fournir aux peuples policés comme aux peuples sauvages une partie de leur parure. Aldrovande nous apprend qu’on voit encore à Rome deux statues anciennes, l’une de Minerve et l’autre de Pyrrhus, dont le casque est orné de plumes d’autruche[102] ; c’est apparemment de ces mêmes plumes qu’était composé le panache des soldats romains dont parle Polybe[103], et qui consistait en trois plumes noires ou rouges d’environ une coudée de haut ; c’est précisément la longueur des grandes plumes d’autruche. En Turquie, aujourd’hui, un janissaire[104], qui s’est signalé par quelques faits d’armes[105], a le droit d’en décorer son turban, et la sultane, dans le sérail, projetant de plus douces victoires, les admet dans sa parure avec complaisance. Au royaume de Congo, on mêle ces plumes avec celles du paon pour en faire des enseignes de guerre[106], et les dames d’Angleterre et d’Italie s’en font des espèces d’éventails[107] ; on sait assez quelle prodigieuse consommation il s’en fait en Europe pour les chapeaux, les casques, les habillements de théâtre, les ameublements, les dais, les cérémonies funèbres, et même pour la parure des femmes ; et il faut avouer quelles font un bon effet, soit par leurs couleurs naturelles ou artificielles, soit par leur mouvement doux et ondoyant ; mais il est bon de savoir que les plumes dont on fait le plus de cas sont celles qui s’arrachent à l’animal vivant, et on les reconnaît en ce que leur tuyau étant pressé dans les doigts donne un suc sanguinolent ; celles au contraire qui ont été arrachées après la mort sont sèches, légères et fort sujettes aux vers[108].

Les autruches, quoique habitantes du désert, ne sont pas aussi sauvages qu’on l’imaginerait : tous les voyageurs s’accordent à dire qu’elles s’apprivoisent facilement, surtout lorsqu’elles sont jeunes. Les habitants de Dara, ceux de Libye, etc., en nourrissent des troupeaux[109], dont ils tirent sans doute ces plumes de première qualité, qui ne se prennent que sur les autruches vivantes ; elles s’apprivoisent même sans qu’on y mette de soin, et par la seule habitude de voir des hommes et d’en recevoir la nourriture et de bons traitements. Brue, en ayant acheté deux à Serinpate sur la côte d’Afrique, les trouva tout apprivoisées lorsqu’il arriva au fort Saint-Louis[110].

On fait plus que de les apprivoiser ; on en a dompté quelques-unes au point de les monter comme on monte un cheval ; et ce n’est pas une invention moderne, car le tyran Firmius, qui régnait en Égypte sur la fin du iiie siècle, se faisait porter, dit-on, par de grandes autruches[111]. Moore, Anglais, dit avoir vu à Joar, en Afrique, un homme voyageant sur une autruche[112]. Vallisnieri parle d’un jeune homme qui s’était fait voir à Venise monté sur une autruche, et lui faisant faire des espèces de voltes devant le menu peuple[113] ; enfin, M. Adanson a vu au comptoir de Podor deux autruches, encore jeunes, dont la plus forte courait plus vite que le meilleur coureur anglais[NdÉ 26], quoiqu’elle eût deux nègres sur son dos[114] ; tout cela prouve que ces animaux, sans être absolument farouches, sont néanmoins d’une nature rétive, et que si on peut les apprivoiser jusqu’à se laisser mener en troupeaux, revenir au bercail et même à souffrir qu’on les monte, il est difficile et peut-être impossible de les réduire à obéir à la main du cavalier, à sentir ses demandes, comprendre ses volontés et s’y soumettre : nous voyons, par la relation même de M. Adanson, que l’autruche de Podor ne s’éloigna pas beaucoup, mais qu’elle fit plusieurs fois le tour de la bourgade, et qu’on ne put l’arrêter en lui barrant le passage ; docile à un certain point par stupidité, elle paraît intraitable par son naturel ; et il faut bien que cela soit puisque l’Arabe, qui a dompté le cheval et subjugué le chameau, n’a pu encore maîtriser entièrement l’autruche : cependant jusque-là on ne pourra tirer parti de sa vitesse et de sa force, car la force d’un domestique indocile se tourne presque toujours contre son maître[NdÉ 27].

Au reste, quoique les autruches courent plus vite que le cheval, c’est cependant avec le cheval qu’on les court et qu’on les prend, mais on voit bien qu’il y faut un peu d’industrie ; celle des Arabes consiste à les suivre à vue, sans les trop presser, et surtout à les inquiéter assez pour les empêcher de prendre de la nourriture, mais point assez pour les déterminer à s’échapper par une fuite prompte ; cela est d’autant plus facile qu’elles ne vont guère sur une ligne droite, et qu’elles décrivent presque toujours dans leur course un cercle plus ou moins étendu ; les Arabes peuvent donc diriger leur marche sur un cercle concentrique intérieur, par conséquent plus étroit, et les suivre toujours à une juste distance en faisant beaucoup moins de chemin qu’elles ; lorsqu’ils les ont ainsi fatiguées et affamées pendant un ou deux jours, ils prennent leur moment, fondent sur elles au grand galop en les menant contre le vent autant qu’il est possible[115], et les tuent à coups de bâton pour que leur sang ne gâte point le beau blanc de leurs plumes. On dit que, lorsqu’elles se sentent forcées et hors d’état d’échapper aux chasseurs, elles cachent leur tête et croient qu’on ne les voit plus[116] ; mais il pourrait se faire que l’absurdité de cette intention retombât sur ceux qui ont voulu s’en rendre les interprètes, et qu’elles n’eussent d’autre but en cachant leur tête que de mettre du moins en sûreté la partie qui est en même temps la plus importante et la plus faible.

Les struthophages avaient une autre façon de prendre ces animaux ; ils se couvraient d’une peau d’autruche ; passant leur bras dans le cou, ils lui faisaient faire tous les mouvements que fait ordinairement l’autruche elle-même ; et par ce moyen ils pouvaient aisément les approcher et les surprendre[117] : c’est ainsi que les sauvages d’Amérique se déguisent en chevreuils pour prendre les chevreuils.

On s’est encore servi de chiens et de filets pour cette chasse, mais il paraît qu’on la fait plus communément à cheval ; et cela seul suffit pour expliquer l’antipathie qu’on a cru remarquer entre le cheval et l’autruche[NdÉ 28].

Lorsque celle-ci court, elle déploie ses ailes et les grandes plumes de sa queue[118], non pas qu’elle en tire aucun secours pour aller plus vite, comme je l’ai déjà dit, mais par un effet très ordinaire de la correspondance des muscles, et de la manière qu’un homme qui court agite ses bras, ou qu’un éléphant qui revient sur le chasseur dresse et déploie ses grandes oreilles[119] ; la preuve, sans réplique, que ce n’est point pour accélérer son mouvement que l’autruche relève ainsi ses ailes, c’est qu’elle les relève lors même qu’elle va contre le vent, quoique dans ce cas elles ne puissent être qu’un obstacle : la vitesse d’un animal n’est que l’effet de sa force, employée contre sa pesanteur ; et comme l’autruche est en même temps très pesante et très vite à la course, il s’ensuit qu’elle doit avoir beaucoup de force ; cependant, malgré sa force, elle conserve les mœurs des granivores ; elle n’attaque point les animaux plus faibles, rarement même se met-elle en défense contre ceux qui l’attaquent ; bordée sur tout le corps d’un cuir épais et dur, pourvue d’un large sternum qui lui tient lieu de cuirasse, munie d’une seconde cuirasse d’insensibilité, elle s’aperçoit à peine des petites atteintes du dehors, et elle sait se soustraire aux grands dangers par la rapidité de sa fuite ; si quelquefois elle se défend, c’est avec le bec, avec les piquants de ses ailes[120], et surtout avec les pieds. Thévenot en a vu une qui, d’un coup de pied, renversa un chien[121]. Belon dit, dans son vieux langage, qu’elle pourrait ainsi ruer par terre un homme qui fuirait devant elle[122], mais qu’elle jette, en fuyant, des pierres à ceux qui la poursuivent[123] ; j’en doute beaucoup, et d’autant plus que la vitesse de sa course en avant serait autant de retranché sur celle des pierres qu’elle lancerait en arrière, et que ces deux vitesses opposées étant à peu près égales, puisqu’elles ont toutes deux pour principe le mouvement des pieds, elles se détruiraient nécessairement : d’ailleurs, ce fait, avancé par Pline et répété par beaucoup d’autres, ne me paraît point avoir été confirmé par aucun moderne digne de foi, et l’on sait que Pline avait beaucoup plus de génie que de critique.

Léon l’Africain a dit que l’autruche était privée du sens de l’ouïe[124] ; cependant nous avons vu plus haut qu’elle paraissait avoir tous les organes d’où dépendent les sensations de ce genre, l’ouverture des oreilles est même fort grande, et n’est point ombragée par les plumes ; ainsi il est probable ou qu’elle n’est sourde qu’en certaines circonstances, comme le tetras, c’est-à-dire dans la saison de l’amour, ou qu’on a imputé quelquefois à surdité ce qui n’était que l’effet de la stupidité[NdÉ 29].

C’est aussi dans la même saison, selon toute apparence, qu’elle fait entendre sa voix ; elle la fait rarement entendre, car très peu de personnes en ont parlé ; les écrivains sacrés comparent son cri à un gémissement[125], et on prétend même que son nom hébreu jacnah est formé d’ianah, qui signifie hurler. Le docteur Browne dit que ce cri ressemble à la voix d’un enfant enroué, et qu’il est plus triste encore[126] : comment donc, avec cela, ne paraîtrait-il pas lugubre et même terrible, selon l’expression de M. Sandys, à des voyageurs qui ne s’enfoncent qu’avec inquiétude dans l’immensité de ces déserts, et pour qui tout être animé, sans en excepter l’homme, est un objet à craindre, et une rencontre dangereuse ?


Notes de Buffon
  1. « Habitabunt ibi struthiones. » Isaïe, ch. xiii, v. 21. — « Filia populi mei crudelis quasi struthio in deserto. » Jérém., Thren., cap. iv, v. 3. — « Luctum quasi struthionum. » Mich., cap. i, v. 8.
  2. Levitic., cap. xi, v. 16. — Deuteron., cap. xiv, v. 15
  3. Hérodote, si l’on en croit M. de Salerne (Ornithol., p. 79), parle de trois sortes d’autruches : le strouthos aquatique ou marin, qui est le poisson plat nommé plie ; l’aérien, qui est notre moineau, et le terrestre (katagaios), qui est notre autruche. De ces trois espèces, la dernière est la seule dont j’aie trouvé l’indication dans Hérodote (in Melpomene, versus finem) ; encore ne puis-je être de l’avis de M. Salerne sur la manière d’entendre le strouthos katagaios, qui, selon moi, doit être ici traduit par autruche se creusant des trous dans la terre, non que j’admette de telles autruches, mais parce qu’Hérodote parle en cet endroit des productions singulières et propres à une certaine région de l’Afrique, et non de celles qui lui étaient communes avec d’autres contrées (Hæ sunt illic feræ, et item quæ alibi). Or, l’autruche ordinaire étant très répandue et par conséquent très connue dans toute l’Afrique, ou bien il n’en aurait pas fait mention en ce lieu, puisqu’elle n’était pas une production propre au pays dont il parlait, ou du moins, s’il en eût fait mention, il aurait omis l’épithète de terrestre, qui n’ajoutait rien à l’idée que tout le monde en avait ; et en cela cet historien n’eût fait que suivre ses propres principes, puisqu’il dit ailleurs (in Thalia), en parlant du chameau : « Græcis utpotè scientibus non puto describendum. » Il faut donc, pour donner au passage ci-dessus un sens conforme à l’esprit de l’auteur, rendre le katagaios comme je l’ai rendu, d’autant plus qu’il existe réellement des oiseaux qui ont l’instinct de se cacher dans le sable, et qu’il est question dans le même passage de choses encore plus étranges, comme de serpents et d’ânes cornus, d’acéphales, etc., et l’on sait que ce père de l’histoire n’était pas toujours ennemi des fables ni du merveilleux.

    À l’égard des deux autres espèces de strouthos, l’aérien et l’aquatique, je ne puis non plus accorder à M. Salerne que ce soit notre moineau et le poisson nommé plie, ni imputer avec lui à la langue grecque, si riche, si belle, si sage, l’énorme disparate de comprendre sous un même nom des êtres aussi dissemblables que l’autruche, le moineau et une espèce de poisson. S’il fallait prendre un parti sur les deux dernières sortes de strouthos, l’aérien et l’aquatique, je dirais que le premier est cette outarde à long cou, qui porte encore aujourd’hui dans plus d’un endroit de l’Afrique le nom d’autruche volante, et que le second est quelque gros oiseau aquatique à qui sa pesanteur ou la faiblesse de ses ailes ne permet pas de voler.

  4. Ses deux ventricules, bien nettoyés, pesaient seuls six livres ; le foie, une livre huit onces ; le cœur, avec ses oreillettes et les troncs des gros vaisseaux, une livre sept onces ; les deux pancréas, une livre ; et il faut remarquer que les intestins, qui sont très longs et très gros, doivent être d’un poids considérable. Voyez Notomia dello Struzzo, t. Ier des œuvres de Vallisnieri, p. 239 et suiv.
  5. J’appelle et dans la suite j’appellerai toujours ainsi les grandes plumes de l’aile et de la queue qui servent, soit à l’action du vol, soit à sa direction, me conformant en cela à l’analogie de la langue latine et à l’usage des écrivains des bons siècles, lesquels n’ont jamais employé le mot penna dans un autre sens. Rapidis secat pennis. Virgil.
  6. Voyez Mémoires de l’Académie, année 1735, p. 146.
  7. Il faut que les rapports de ressemblance qu’a l’autruche avec le chameau soient en effet bien frappants, puisque les Grecs modernes, les Turcs, les Persans, etc., l’ont nommée, chacun dans leur langue, oiseau chameau : son ancien nom grec, strouthos, est la racine de tous les noms, sans exception, qu’elle a dans les différentes langues de l’Europe.
  8. Voyage de Thévenot, t. Ier, p. 313.
  9. Scaliger a remarqué que plusieurs autres oiseaux pesants, tels que le coq, le paon, le dindon, etc., avaient aussi la tête petite ; au lieu que la plupart des oiseaux qui volent bien, petits et grands, ont la tête plus grosse à proportion. Exercit. in Cardanum, fol. 308, verso.
  10. MM. de l’Académie ont trouvé une fracture au crâne de l’un des sujets qu’ils ont disséqués. Mémoires pour servir à l’histoire naturelle des animaux, partie iii, p. 151.
  11. Le doigt interne est formé de quatre phalanges, l’externe de cinq (Flourens).
  12. Voyez Ambr. Paré, lib. xxiv, cap. xxii ; et Vallisnieri, t. Ier, p. 246 et seqq.
  13. M. Brisson dit que le bec est unguiculé ; Vallisnieri, que la pointe en est obtuse et sans crochet : la langue n’est point non plus d’une forme ni d’une grandeur constante dans tous les individus. Voyez Animaux de Perrault, partie ii, p. 125 ; et Vallisnieri, ubi supra.
  14. Vallisnieri, ubi supra. — Ramby, nos 386 et 413 des Trans. philosophiques de Londres.
  15. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, p. 129.
  16. Hist. de l’Académie des Sciences, année 1694, p. 213.
  17. Vallisnieri, ubi supra.
  18. Transactions philosophiques, no 386.
  19. Vallisnieri, t. Ier, p. 241.
  20. Vallisnieri, t. Ier, p. 245.
  21. Voyez Collections philosophiques, no 5, art. viii.
  22. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 132.
  23. Transactions philosophiques, no 386.
  24. L’urine d’autruche enlève les taches d’encre, selon Hermolaüs ; ce fait peut n’être point vrai, mais Gessner a eu tort de le nier sur le fondement unique qu’aucun oiseau n’avait d’urine ; car tous les oiseaux ont des reins, des uretères, et par conséquent de l’urine, et ils ne diffèrent des quadrupèdes, sur ce point, qu’en ce que chez eux le rectum s’ouvre dans la vessie.
  25. Vallisnieri, ubi supra.
  26. Transactions philosophiques, no 386.
  27. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 142.
  28. Ramby, Transactions philosophiques, no 386. — G. Warren, ibid., no 394. — Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 129.
  29. The World displayed, t. XIII, p. 15.
  30. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 127. — Vallisnieri, t. Ier, p. 251 et 252.
  31. Partie ii, p. 135.
  32. Transactions philosophiques, no 394, art. v.
  33. Collections philosophiques, no 5, art. viii.
  34. Warren a appris ce fait de ceux qui étaient chargés du soin de plusieurs autruches en Angleterre. Voyez Trans. philos., no 394.
  35. Hist. de l’Académie des Sciences, année 1756, p. 44.
  36. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 108.
  37. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, p. 138.
  38. Le bécharu est le seul oiseau dans lequel MM. les anatomistes de l’Académie aient cru trouver deux ovaires. Mais ces prétendus ovaires étaient, selon eux, deux corps glanduleux d’une substance dure et solide, dont l’un (c’est le gauche) se divisait en plusieurs grains de grosseurs inégales ; mais sans m’arrêter à la différente structure de ces deux corps, et en tirer des conséquences contre l’identité de leurs fonctions, je remarquerai seulement que c’est une observation unique et dont on ne doit rien conclure jusqu’à ce qu’elle ait été confirmée ; d’ailleurs, j’aperçois dans cette observation même une tendance à l’unité, puisque l’oviductus, qui est certainement une dépendance de l’ovaire, était unique.
  39. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 136.
  40. Ibidem, page 137.
  41. Mémoires pour servir à l’Histoire des animaux, partie ii, p. 135.
  42. Vallisnieri, t. Ier, page 249.
  43. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1693, t. X, p. 436.
  44. Collections philosophiques, no 5, art. viii.
  45. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 142.
  46. Transactions philosophiques, no 394.
  47. Vallisnieri, t. Ier, p. 249.
  48. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 144.
  49. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 153.
  50. Transactions philosophiques, no 413.
  51. Ibidem, no 386.
  52. « Partim avis, partim quadrupes », dit très bien Aristote, lib. iv, de partibus animalium, cap. ultimo.
  53. Voyages de Thévenot, t. Ier, p. 313.
  54. Albert, De animal., lib. xxiii.
  55. Voyage de Dampierre autour du monde, t. II, p. 251.
  56. Jannequin, étant au Sénégal, mit dans sa cassette deux œufs d’autruche bien enveloppés d’étoupes ; quelque temps après il trouva que l’un de ces œufs était près d’éclore. Voyez Histoire générale des voyages, t. II, p. 458.
  57. De fabulosis antiquorum gestis.
  58. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 138.
  59. Belon, Hist. nat. des oiseaux, p. 239.
  60. Willughby, Ornithologia, p. 105.
  61. Belon, Hist. nat. des oiseaux, p. 233.
  62. Léon l’Africain, Description de l’Afrique, lib. ix. — Willughby, ubi supra.
  63. Willughby, ibidem.
  64. Léon l’Africain, Description de l’Afrique, lib. ix.
  65. Kolbe, Description du Cap.
  66. Klein, Hist. Avium, p. 16. — Albert, apud Gesnerum de Avibus, p. 742.
  67. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 113.
  68. Collection Acad., t. Ier de l’Histoire naturelle, p. 464.
  69. Œuvres de Vallisnieri, t. Ier, p. 246.
  70. Marmol, Description de l’Afrique, t. Ier, p. 64.
  71. Quoique l’autruche soit omnivore, dans le fait, il semble néanmoins qu’on doit la ranger parmi les granivores, puisque dans ses déserts elle vit de dattes et autres fruits ou matières végétales, et que dans les ménageries on la nourrit de ces matières : d’ailleurs, Strabon nous dit, liv. vi, que lorsque les chasseurs veulent l’attirer dans le piège qu’ils lui ont préparé ils lui présentent du grain pour appât.
  72. Je dis fort souvent, car Albert assure très positivement qu’il n’a jamais pu faire avaler du fer à plusieurs autruches, quoiqu’elles dévorassent avidement des os fort durs et même des pierres. Voyez Gessner, de Avibus, p. 742, C.
  73. Transactions philosophiques, no 394.
  74. Ibidem, no 386.
  75. Opere di Vallisnieri, t. Ier, p. 240.
  76. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 129.
  77. Vallisnieri, t. Ier, p. 249.
  78. Vallisnieri, t. Ier, p. 239.
  79. Collection Académique, t. Ier de l’Histoire naturelle, p. 498.
  80. Mémoires pour servir à l’histoire des animaux, partie ii, p. 129.
  81. Mémoires de l’Académie des Sciences, années 1705, 1706 et suivantes. — Vallisnieri, t. Ier, p. 242 ; et il confirme encore son sentiment par les observations de Santorini sur des pièces de monnaie et des clous trouvés dans l’estomac d’une autruche qu’il avait disséquée à Venise, et par les expériences de l’Académie del Cimenta sur la digestion des oiseaux.
  82. Vallisnieri, t. Ier, p. 253.
  83. Le vorou-patra de Madagascar est une espèce d’autruche qui se retire dans les lieux déserts et pond des œufs d’une singulière grosseur. Hist. générale des voyages, t. VIII, p. 606, citant Flacourt.
  84. Voyage du Fr. Philippe, carme déchaussé, p. 378.
  85. Vita Apollonii, lib. iii.
  86. On en nourrit dans les ménageries du roi de Perse, selon Thévenot (t. II, p. 200), ce qui suppose qu’elles ne sont pas communes dans ce pays. — Sur la route d’Ispahan à Schiras on amena dans le caravansérail quatre autruches, dit Gemelli Carreri, t. II, p. 238.
  87. « Struthum generari in parte Africæ quâ non pluit », inquit Theophrastus, de Hist. plant. 44, apud Gesnerum, p. 74. Tous les voyageurs et les naturalistes sont d’accord sur ce point ; G. Warren est le seul qui ait fait un oiseau aquatique de l’autruche, l’animal le plus antiaquatique qu’il y ait : il convient qu’elle ne sait point nager ; mais elle a les jambes hautes et le cou long, ce qui lui donne le moyen de marcher dans l’eau et d’y saisir sa proie ; d’ailleurs, on a remarqué que sa tête avait quelque ressemblance avec celle de l’oie ; en faut-il davantage pour prouver que l’autruche est un oiseau de rivière ? Voyez Transact. philos., no 394. Un autre ayant ouï dire qu’on voyait en Abyssinie des autruches de la grosseur d’un âne, et ayant appris, d’ailleurs, qu’elles avaient le cou et les pieds d’un quadrupède, en a conclu et écrit qu’elles avaient le cou et les pieds d’un âne (Suidas). Il n’y a guère de sujet d’histoire naturelle qui ait fait dire autant d’absurdités que l’autruche.
  88. Strabon, lib. xvi. — Diod. Sic., de Fabul. Antiq. gestis, lib. iv.
  89. Apicius, lib. vi, cap. i.
  90. Lamp. in vita Heliogabali.
  91. Idem, ibidem.
  92. Belon, Hist. natur. des oiseaux, p. 231. — Marmol, Description de l’Afrique, t. III, page 25.
  93. Opere di Vallisnieri, t. Ier, p. 253.
  94. Description de l’Afr., lib. ix.
  95. Gesner, de Avibus, p. 741.
  96. Voyage au Sénégal, etc., p. 104.
  97. Kolbe, Description du cap de Bonne-Espérance.
  98. Voyage de Thévenot, t. Ier, p. 313.
  99. Schwenckfeld prétend que ce cuir épais est fait pour garantir l’autruche contre la rigueur du froid ; il n’a pas pris garde qu’elle n’habitait que les pays chauds. Voyez Aviarum Silesiæ, p. 350.
  100. Pollux, apud Gesnerum de Avibus, p. 744.
  101. Belon, Observat., fol. 96.
  102. Aldrov., de Avibus, t. Ier, p. 596.
  103. Polybe, Hist., lib. vi.
  104. Belon, Observat., fol. 96.
  105. Aldrov., de Avibus, t. Ier, p. 596.
  106. Histoire générale des Voyages, t. V, p. 76.
  107. Aldrov. ubi supra. — Willughby, p. 105.
  108. Histoire générale des voyages, t. II, p. 632.
  109. Marmol, Description de l’Afrique, t. III, p. 11.
  110. Histoire générale des Voyages, t. II, p. 608.
  111. « Firmius imperator vectus est ingentibus struthionibus. » Textor, Off., apud Gesnerum, p. 573.
  112. Histoire générale des Voyages, t. III, p. 84.
  113. Vallisnieri, t. Ier, p. 251.
  114. « Deux autruches qu’on élevait depuis près de deux ans au comptoir de Podor, sur le Niger, quoique jeunes encore, égalaient, à très peu près, la grosseur des plus grosses de celles que je n’avais aperçues qu’en passant dans les campagnes brûlées et sablonneuses de la gauche du Niger : celles-ci étaient si privées, que deux petits noirs montèrent ensemble la plus grande des deux ; celle-ci n’eut pas plutôt senti ce poids, qu’elle se mit à courir de toutes ses forces et leur fit faire plusieurs fois le tour du village, sans qu’il fût possible de l’arrêter autrement qu’en lui barrant le passage… Pour essayer la force de ces animaux, je fis monter un nègre de taille sur la plus petite, et deux autres sur la plus grosse : cette charge ne parut pas disproportionnée à leur vigueur ; d’abord elles trottèrent un petit galop des plus serrés ; ensuite, lorsqu’on les eut un peu excitées, elles étendirent leurs ailes comme pour prendre le vent, et s’abandonnèrent à une telle vitesse, qu’elles semblaient perdre terre… Je suis persuadé qu’elles auraient laissé bien loin derrière elles les plus fiers chevaux anglais… Il est vrai qu’elles ne fourniraient pas une course aussi longue qu’eux ; mais à coup sûr elles pourraient l’exécuter plus promptement. J’ai été plusieurs fois témoin de ce spectacle, qui doit donner une idée de la force prodigieuse de l’autruche, et faire connaître de quel lisage elle pourrait être si on trouvait moyen de la maîtriser et de l’instruire comme on dresse un cheval. » Voyage au Sénégal, p. 48.
  115. Klein, Hist. Avium, p. 16. — Histoire générale des Voyages, t. II, p. 632.
  116. Pline, lib. x, cap. i. — Kolbe, Description du cap de Bonne-Espérance, etc.
  117. Diod. Sicul. de Fabul. Antiq. gestis, lib. iv.
  118. Léon Afric., Description, lib. ix.
  119. Élien, Hist. animal.
  120. Albert, de animal., apud Gesn., p. 742.
  121. Voyages de Thévenot, t. Ier, p. 313.
  122. Belon, Hist. nat. des oiseaux, p. 233.
  123. « Ungulæ iis… bisulcæ, comprehendendis lapidibus utileos, quos in fugà contra sequentes ingerunt. » Lib. x, cap. i.
  124. Descriptio Africæ, lib. ix.
  125. Michée, cap. i : « Luctum quasi struthionum. »
  126. Collections philosophiques, no 5, art. viii.
Notes de l’éditeur
  1. Struthio Camelus L. [Note de Wikisource : actuellement Struthio camelus Linnæus]. — Les Autruches sont des oiseaux de l’ordre des Coureurs, de la famille des Struthionidés. Ce sont des animaux de très grande taille, à tête et à cou nus ; à bec droit ; à ceinture pelvienne complète ; à pattes pourvues de deux doigts dont l’interne, plus gros que l’autre, est seul armé d’un ongle large et émoussé ; les ailes et la queue sont dépourvues de rémiges ; celles-ci sont remplacées par des plumes molles et décomposées, tombantes. Cette petite famille ne se compose que seul du genre Struthio qui est caractérisé par un bec droit, obtus, flexible, arrondi et aplati à l’extrémité ; fendu jusqu’en arrière de l’œil ; des narines oblongues prolongées jusqu’au milieu du bec ; des yeux grands, très beaux, munis de cils au niveau du bord de la paupière supérieure ; des oreilles nues et larges ; un cou long, grêle, presque nu ; un espace calleux, nu, au milieu de la poitrine ; des jambes longues, fortes ; des ailes pourvues d’un double ergot ; des tarses couverts de larges écailles.
  2. L’Autruche habite toutes les parties des déserts de l’Afrique dans lesquelles se trouvent des oasis. Son extension géographique était probablement plus considérable autrefois qu’elle ne l’est actuellement. C’est, sans nul doute, l’homme qui l’a détruite dans certaines parties de l’Afrique où l’on sait qu’elle existait dans des temps plus ou moins reculés et d’où elle a complètement disparu. Les régions dans lesquelles on la trouve encore à l’état sauvage sont : le Sahara, depuis le versant méridional de l’Atlas jusqu’au Nil ; le désert de Lybie, les steppes de l’Afrique centrale et celles du sud de ce continent. Elle vit toujours en troupeaux considérables.
  3. C’est probablement parce que l’Autruche s’est toujours maintenue « dans la même terre », c’est-à-dire dans le même milieu qu’elle a, depuis les temps historiques, conservé les mêmes caractères.
  4. Il est facile de voir que Buffon n’emploie ici le mot nature que dans un sens figuré. La « sagesse » de la nature c’est, en réalité, l’avantage qui découle pour un animal de la possession de tel ou tel caractère.
  5. Il existe, chez la plupart des oiseaux, une clavicule véritable, connue sous le nom de fourchette et des os coracoïdiens constituant une fausse clavicule. C’est cette dernière que Buffon désigne sous le nom de « troisième paire de fausses côtes ». Chez l’Autruche, la clavicule véritable manque, d’après Cuvier ; la fausse clavicule, formée par les os coracoïdiens, existe seule.
  6. Les organes que Buffon désigne ici sous le nom de testicules sont, en réalité, les glandes surrénales.
  7. Les femelles des mammifères, comme celles des oiseaux, n’ont jamais de testicules.
  8. Buffon insiste sur l’erreur commise plus haut. Les mammifères femelles ont réellement toujours deux ovaires, tandis que chez les oiseaux l’un de ces organes, ordinairement le droit, est presque toujours avorté.
  9. Chez les oiseaux il n’y a pas de véritable épiglotte.
  10. On admet aujourd’hui, chez les oiseaux comme chez les mammifères, douze paires de nerfs crâniens.
  11. L’autruche n’est pas le moins du monde un animal de passage entre les oiseaux et les mammifères. Sa grande taille, ses ailes rudimentaires, peuvent seules servir de prétexte aux vues très superficielles émises ici par Buffon ; il se laisse souvent entraîner à établir des analogies entre des animaux qui n’ont aucune ressemblance.
  12. D’après Cuvier, l’Atricapilla d’Aristote serait le Gobe-mouche à collier.
  13. À l’époque des amours les autruches vivent en petites sociétés formées d’un seul mâle et de trois on quatre femelles. Le mâle se montre très jaloux, et l’on prétend que ses femelles lui restent très fidèles ; mais ce dernier point paraît fort contestable. Toutes les femelles d’un groupe pondent dans un même nid formé par une simple cavité circulaire, autour de laquelle l’oiseau élève une sorte de remblai. Les œufs reposent sur la pointe ; ils sont soutenus par le remblai. Dès que le nid contient dix ou douze œufs, le mâle commence à couver. C’est lui seul qui se charge de ce soin. D’après Lichtenstein, les œufs pondus après le commencement de la ponte seraient destinés à l’alimentation des jeunes, mais ce fait n’est pas démontré. Le mâle ne couve que pendant la nuit ; le jour il abandonne les œufs à eux-mêmes, après les avoir recouverts de sable, et laisse au soleil le soin de continuer l’incubation.
  14. On sait aujourd’hui que l’autruche coïte comme les autres oiseaux. Hardy a observé, en Algérie, chez des autruches élevées en captivité, les phénomènes qui se produisent, au moment du rut, chez le mâle. « La peau de son cou et de ses cuisses prend une couleur rouge vif. Il chante alors, ou plutôt il fait sortir du fond de sa poitrine et du gosier des sons rauques, concentrés, étranges. Pour les produire, il ramasse son cou sur lui-même, ferme le bec, et, par des mouvements spasmodiques qu’il produit à volonté par tout son corps, pousse en avant l’air contenu dans sa poitrine, donne à son gosier une dilatation extraordinaire et fait entendre trois sortes de dilatations gutturales, dont la deuxième est de quelques tons plus élevée que la première, et la troisième, d’un ton beaucoup plus grave, se prolonge en s’éteignant. Il fait ainsi des salves composées de trois fortes détonations et qu’il répète à plusieurs reprises. Ce chant sauvage, qui a de l’analogie avec le rugissement du lion, se fait entendre le jour et la nuit, mais principalement le matin.

    » Le rut se manifeste encore par des gestes chez l’autruche mâle ; il exécute une sorte de danse. Il s’accroupit devant sa femelle, sur les jarrets, puis balance, pendant huit ou dix minutes, d’une manière cadencée, la tête et le cou, se frappe alternativement avec le derrière de sa tête le corps de chaque côté en avant des ailes ; ses ailes s’agitent en mesure par des mouvements fébriles ; tout son corps frémit ; il fait entendre une sorte de roucoulement sourd et saccadé ; tout son être paraît en proie à un délire hystérique. Ces symptômes précèdent plutôt qu’ils ne suivent l’accouplement. Il couvre sa femelle plusieurs fois par jour, mais principalement le matin. Pendant l’acte, il fait entendre un grondement sourd et concentré qui indique la violence de sa passion. »

  15. Buffon raille, sous le nom « d’incubation philosophique », un procédé d’incubation des œufs qui a, depuis son époque, rendu les plus grands services à la science et à l’industrie sous le nom « d’incubation artificielle ».
  16. Buffon commet une erreur en disant que l’on a pris des œufs de crocodile pour des œufs d’autruche. Les œufs du crocodile sont beaucoup moins volumineux que ceux de l’autruche. Ces derniers pèsent, en réalité, jusqu’à 1 442 grammes, c’est-à-dire environ 24 fois plus que ceux de la poule. Ils sont ovoïdes, arrondis aux deux bouts, pourvus d’une coquille brillante, très dure et très épaisse, colorée en blanc jaunâtre et marbrée de jaunâtre clair.
  17. L’autruche adulte pèse environ 75 à 80 kilogrammes. Le mâle atteint 2,60 m de haut et mesure environ 2 mètres depuis la pointe du bec jusqu’au bout de la queue.
  18. La durée de l’incubation est de six à sept semaines.
  19. Brehm décrit de la façon suivante des petites autruches d’un jour, recueillies dans le Soudan et qui lui furent apportées par des Arabes : « Ce sont de petites créatures très intéressantes, qui ressemblent plus à un hérisson qu’à un oiseau. Elles ont le corps couvert d’appendices cornés, comme les piquants des hérissons. Leurs allures sont celles des poussins ou des jeunes outardes. Elles courent avec agilité et cherchent elles-mêmes leur nourriture. À quinze jours, elles se montrèrent tellement indépendantes qu’elles paraissaient ne plus avoir besoin de leurs parents. Nous savons cependant que ceux-ci, du moins le père, leur donnent des soins très assidus. Déjà, pendant l’incubation, l’autruche veille sur ses œufs avec la plus grande sollicitude ; elle marche hardiment contre de faibles ennemis et a recours à mille ruses pour chercher à se débarrasser d’un adversaire trop fort. »
  20. Il est inutile de dire que l’autruche ne digère pas le moins du monde le fer ; celui-ci se borne à s’oxyder sous l’influence des liquides de l’estomac.
  21. Les autruches se nourrissent surtout, comme le dit Buffon, de matières végétales : jeunes herbes, graines, etc. ; mais elles mangent aussi des mollusques, et peut-être des serpents, des lézards, des grenouilles, des coléoptères, et même de petits vertébrés. En captivité, on en a vu manger de jeunes canards ou des poussins. Elle est très sobre mais boit de grandes quantités d’eau.
  22. On ne voit pas trop pourquoi Buffon suppose que l’autruche peut avaler du fer rouge ; si obtus que soit, chez cet oiseau, le sens du toucher, il n’est guère permis d’admettre qu’il soit assez nul pour que l’animal n’ait pas la notion des températures très élevées. Mais la tendance de l’autruche à avaler tous les objets qu’elle trouve est poussée tellement loin qu’il doit lui arriver souvent d’ingérer des corps capables de la tuer mécaniquement. Cuvier dit avoir vu des autruches dont l’estomac était percé par des clous et déchiré par du verre, et Brehm « admet parfaitement que des autruches se soient tuées en avalant un morceau de chaux vive ».
  23. L’autruche n’absorbe, en réalité, pas plus de nourriture, proportionnellement à sa taille, que tout autre animal herbivore.
  24. Il est possible que les gallinacés aient le goût assez obtus pour ne pas distinguer nettement un petit caillou d’une graine. Les cailloux leur sont, dans tous les cas, utiles, parce qu’ils facilitent la trituration des graines dans le gésier.
  25. Les autruches boivent, au contraire, beaucoup. Brehm et Anderson disent que quand elles boivent on peut les approcher de très près sans les mettre en fuite. D’après Anderson, « quand les autruches sont en train de boire à une source, elles semblent ne rien voir, ne rien entendre. Nous pûmes ainsi tuer, en peu de temps, huit de ces superbes oiseaux ; ils arrivaient à la source vers midi ; je ne pouvais les approcher sans en être vu, et cependant elles me laissaient avancer à portée de fusil, et s’en allaient à petits pas. »
  26. D’après Cuvier « la rapidité de sa course surpasse celle de tous les animaux connus ; elle est telle que ceux qui la montent, sans en avoir pris petit à petit l’habitude, sont bientôt suffoqués, faute de pouvoir reprendre leur haleine. Les ailes lui servent à accélérer cette course en frappant l’air ; mais elles ne sont pas à beaucoup près assez grandes pour élever la masse de son corps au-dessus du sol. »

    D’après Gosse, une autruche peut faire « en une heure, 28 kilomètres 394 mètres, et comme, suivant certains auteurs, ce n’est qu’au bout de huit à dix heures d’une course pareille qu’elle succombe par la fatigue, elle franchirait, dans ce court espace de temps, de 227 à 481 kilomètres. »

  27. Depuis quelques années on élève, au Cap et en Algérie, des autruches, dans le but de recueillir leurs plumes.
  28. Les autruches déploient, pour éviter le chasseur, des ruses de toutes sortes. Le fait suivant, raconté par Anderson, est fort remarquable à cet égard. Une famille d’autruches ayant aperçu Anderson et ses hommes, « les vieux de la troupe commencèrent à fuir, les femelles en tête, puis les jeunes et, à quelque distance en arrière, le mâle. Il y avait quelque chose de touchant dans la sollicitude des parents pour leurs petits. Quand ils virent que nous les approchions, le mâle changea tout à coup de direction ; mais nous ne nous laissâmes pas détourner ; il activa sa course, laissa pendre ses ailes qui touchaient presque le sol, tourna autour de nous en cercles qui allaient se rétrécissant toujours, et finit par arriver à portée de pistolet. Alors il se jeta à terre, imita les allures d’un oiseau grièvement blessé, et fit semblant d’avoir besoin de toutes ses forces pour se relever. J’avais tiré sur lui ; je le crus blessé et je m’avançai ; mais sa manœuvre n’était qu’une ruse ; à mesure que je m’approchais, il se relevait lentement ; à la fin, il prit la fuite et alla rejoindre les femelles, qui, avec les jeunes, avaient déjà gagné une belle avance. »
  29. D’après Brehm, l’ouïe de l’autruche est très fine. Quant à sa vue, on prétend qu’elle s’étend à plus de deux milles. L’odorat, le goût et le toucher sont très obtus. Brehm écrit, à propos de son intelligence : « À mon avis, l’autruche est un des oiseaux les plus stupides qui existent. Elle est très défiante ; ce point ne fait aucun doute. À chaque apparition inaccoutumée, elle fuit à toutes jambes, mais elle ne sait pas juger le danger, et un animal inoffensif peut la jeter dans le plus grand trouble. Elle vit au milieu des zèbres, si prudents et si rusés, et tire bénéfice de leur prudence ; mais ce n’est pas elle qui se réunit aux zèbres, ce sont plutôt les zèbres qui se joignent à elle pour profiter du signal de fuite que leur donne un oiseau aussi craintif, et que sa haute taille prédispose déjà au rôle de sentinelle. La conduite des autruches captives indique aussi combien peu elles sont intelligentes. Elles s’habituent, il est vrai, à leur maître, et plus encore à une certaine localité ; mais elles n’apprennent rien et suivent aveuglément toutes les idées qui ont pu éclore dans leur faible cerveau. Des corrections les effrayent pour le moment mais ne servent pas pour l’avenir ; au bout de quelques minutes, elles recommencent ce qui les a fait châtier ; elles craignent le fouet tant qu’elles le sentent. »