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et nous ne devons pas oublier que ce fond actuel de notre terre était la surface du globe primitif avant le travail des eaux[1].

Or, les granits sont non seulement couchés sur cette antique surface, mais ils sont entassés encore plus en grand dans les groupes des montagnes primitives[2], et nous en avons d’avance indiqué la raison : ces sommets, où les degrés du refroidissement furent plus rapides, atteignirent plus tôt le point de la fusion et de la consolidation du feldspath et du schorl, en même temps qu’ils leur offraient à saisir de plus grandes épaisseurs de grains quartzeux décrépités.

Aussi les granits forment-ils la plupart de ces grands groupes et de ces hauts sommets élevés sur la base de la roche du globe comme les obélisques de la nature, qui nous attestent ses formations antiques, et sont les premiers et grands ouvrages dans lesquels elle préparait la matière de toutes ses plus riches productions, et où elle indiquait déjà de loin le dessin sur lequel elle devait tracer les merveilles de l’organisation et de la vie ; car on ne peut s’empêcher de reconnaître dans la figuration généralement assez régulière des petits solides du feldspath et du schorl cette tendance à la structure organique, prise dans un feu lent et tranquille, qui, en commençant l’union intime de la matière brute avec quelques molécules organiques, la dispose de loin à s’organiser, en y traçant des linéaments d’une figuration régulière : nos fusions artificielles, et plus encore les fusions produites par les volcans, nous offrent des exemples de cette figuration ou cristallisation par le feu dans un grand nombre de matières[3], et même dans tous les métaux et minéraux métalliques.

  1. « Il résulte des faits que j’ai rapportés, qu’à l’époque où la mer commençait à couvrir les Pyrénées de productions marines, il existait déjà de grandes montagnes, purement graniteuses, qu’elle n’a fait qu’accroître par d’immenses dépôts, provenant de la destruction des corps marins organisés ; mais l’enveloppe des masses de granit, continuellement exposée aux injures du temps et à l’action des eaux du ciel, ne cesse de diminuer depuis que la mer s’est retirée du sommet des Pyrénées : les torrents surtout, qui sillonnent de profondes cavités dans le sein de ces montagnes, entraînent les pierres calcaires et argileuses, et dégagent peu à peu le granit ; ainsi cette roche, après une longue suite de siècles, se trouvera entièrement à découvert, telle enfin qu’elle était disposée avant d’avoir servi de base à des matières de nouvelle formation. Les Pyrénées, parvenues à leur premier état, ressembleront aux montagnes graniteuses du Limousin, qui paraissent avoir subi toutes ces vicissitudes. Les environs de Châteauneuf, village situé à six lieues de Limoges, présentent des bancs inclinés de marbre gris, enfermés de granit ; cette île calcaire est, selon M. Cornuo, ingénieur-géographe du roi, d’une demi-lieue de diamètre, et distante de plus de dix lieues des contrées calcaires. Un pareil monument semble avoir été conservé pour indiquer que les montagnes actuelles du Limousin ne sont que le noyau d’une région autrefois beaucoup plus haute, formée par les dépôts de la mer, et détruite, après la retraite des eaux, par les mêmes causes qui rabaissent chaque jour la cime des Pyrénées.

    » La constitution intérieure de cette chaîne ne permet pas d’admettre, comme nous l’avons déjà dit, que les matières qui la composent aient été formées en même temps ; il est aisé, au contraire, de voir que la formation du granit a précédé celle des bancs calcaires et argileux, a auxquels il sert de base. » Essai sur la minéralogie des monts Pyrénées, par M. l’abbé Palassau, p. 154.

  2. « Les granits me semblent mériter, mieux que toutes les autres roches, le nom de roches primitives, parce qu’on les trouve plus près du centre, et dans le centre même des hautes chaînes. » Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 99. — « C’est une observation générale, que dans les grandes chaînes on trouve au dehors les montagnes calcaires, puis les ardoises. » — L’auteur se fût mieux exprimé en disant les schistes, puis les roches feuilletées primitives, et enfin les granits. Idem, ibidem, p. 402.
  3. Voyez l’article des volcans, sur les espèces de granits et de porphyres qui se forment quelquefois dans la lave.