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pris sa consistance, et qu’ensuite la matière intérieure s’est consolidée dans les mêmes rapports de temps indiqués par nos expériences ; en sorte qu’en partant de la supposition d’un jour au moins pour le petit temps nécessaire à la prise de consistance à sa surface, et en admettant, comme nos expériences l’indiquent, un temps de 3 minutes pour en consolider la matière intérieure à 1 pouce de profondeur, il se trouvera 36 minutes pour 1 pied, 216 minutes pour 1 toise, 342 jours pour 1 lieue, et 490 086 jours, ou environ 1 342 ans, pour qu’un globe de fonte de fer qui aurait, comme celui de la terre, 1 432 lieues 1/2 de demi-diamètre, eût pris sa consistance jusqu’au centre.

La supposition que je fais ici d’un jour de rotation pour que le globe terrestre ait pu s’élever régulièrement sous l’équateur et s’abaisser sous les pôles, avant que sa surface ne fût consolidée, me paraît plutôt trop faible que trop forte ; car il a peut-être fallu un grand nombre de révolutions de vingt-quatre heures chacune sur son axe, pour que la matière fluide se soit solidement établie, et l’on voit bien que, dans ce cas, le temps nécessaire pour la prise de consistance de la matière au centre se trouvera plus grand[NdÉ 1]. Pour le réduire autant qu’il est possible, nous n’avons fait aucune attention à l’effet de la force centrifuge qui s’oppose à celui de la réunion des parties, c’est-à-dire à la prise de consistance de la matière en fusion. Nous avons supposé encore, dans la même vue de diminuer le temps, que l’atmosphère de la terre, alors toute en feu, n’était néanmoins pas plus chaude que celle de mon fourneau, à quelques pieds de distance où se sont faites les expériences, et c’est en conséquence de ces deux suppositions trop gratuites que nous ne trouvons que 1 342 ans pour le temps employé à la consolidation du globe jusqu’au centre. Mais il me paraît certain que cette estimation du temps est de beaucoup trop faible, par l’observation constante que j’ai faite sur la prise de consistance des gueuses à la tête et à la queue ; car il faut trois fois autant de temps et plus pour que la partie de la gueuse qui est à 18 pieds du fourneau prenne consistance, c’est-à-dire que, si la surface de la tête de la gueuse, qui est à 18 pieds du fourneau, prend consistance en 1 minute 1/2, celle de la queue, qui n’est qu’à 2 pieds du fourneau, ne prend consistance qu’en 4 minutes 1/2 ou 5 minutes ; en sorte que la chaleur plus grande de l’air contribue prodigieusement au maintien de la fluidité ; et l’on conviendra sans peine avec moi que, dans ce premier temps de liquéfaction du globe de la terre, la chaleur de l’atmosphère de vapeurs qui l’environnait était plus grande que celle de l’air à 2 pieds de distance du feu de mon fourneau, et que par conséquent il a fallu beaucoup plus de temps pour consolider le globe jusqu’au centre. Or, nous avons démontré, par les expériences du premier Mémoire[1], qu’un globe de fer gros comme la terre, pénétré de feu seulement jusqu’au rouge, serait plus de quatre-vingt-seize mille six cent soixante-dix ans à se refroidir, auxquels, ajoutant deux ou trois mille ans pour le temps de sa consolidation jusqu’au centre, il résulte qu’en tout il faudrait environ cent mille ans pour refroidir au point de la température actuelle un globe de fer gros comme la terre, sans compter la durée du premier état de liquéfaction, ce qui recule encore les limites du temps, qui semble fuir et s’étendre à mesure que nous cherchons à le saisir. Mais tout ceci sera plus amplement discuté et déterminé plus précisément dans les Mémoires suivants.


  1. Voyez ci-devant, p. 89.
  1. D’après Poisson, en admettant que le globe terrestre ait d’abord été fluide, comme on le pense généralement, c’est par son centre et non par sa surface que le refroidissement et la consolidation auraient commencé. [Note de Wikisource : Malheureusement les raisonnements de Buffon et de Poisson sont tous deux trop simplistes pour reconstituer l’histoire de la consolidation du globe. On pense aujourd’hui que le manteau terrestre s’est consolidé par sa surface, mais que la croûte terrestre a été, dans la prime jeunesse de notre planète, liquéfiée très fréquemment, mais ponctuellement, par le bombardement météoritique.]