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soit à très peu près proportionnelle à l’épaisseur de la masse, et que par conséquent ce grand degré de feu ne suive la même loi que celle de la chaleur médiocre ; en sorte que, dans des globes de même matière, la chaleur ou le feu du plus haut degré, pendant tout le temps de l’incandescence, s’y conservent et y durent précisément en raison de leur diamètre. Cette vérité, que je voulais acquérir et démontrer par le fait, semble nous indiquer que les causes cachées (causæ latentes) de Newton, desquelles j’ai parlé dans le premier de ces Mémoires, ne s’opposent que très peu à la sortie du feu, puisqu’elle se fait de la même manière que si les corps étaient entièrement et parfaitement perméables, et que rien ne s’opposât à son issue. Cependant on serait porté à croire que plus la même matière est comprimée, plus elle doit retenir de temps le feu ; en sorte que la durée de l’incandescence devrait être alors en plus grande raison que celle des épaisseurs ou des diamètres. J’ai donc essayé de reconnaître cette différence par l’expérience suivante.

5. J’ai fait forger une masse cubique de fer de 5 pouces 9 lignes de toutes faces ; elle a subi trois chaudes successives, et l’ayant laissée refroidir, son poids s’est trouvé de 48 livres 9 onces. Après l’avoir pesée, on l’a mise de nouveau au feu de l’affinerie, où elle n’a été chauffée que jusqu’au rouge couleur de feu, parce qu’alors elle commençait à donner un peu de flamme, et qu’en la laissant au feu plus longtemps le fer aurait brûlé. De là on l’a transportée tout de suite dans le même lieu obscur, où j’ai vu qu’elle ne donnait aucune flamme ; néanmoins elle n’a cessé de paraître rouge qu’au bout de 52 minutes, et la poudre n’a cessé de s’enflammer à sa surface avec explosion que 43 minutes après : ainsi l’incandescence totale a duré 95 minutes. On a pesé cette masse une seconde fois après son entier refroidissement ; elle s’est trouvée peser 48 livres 1 once : ainsi elle avait perdu au feu 8 onces de son poids, et elle en aurait perdu davantage, si on l’eût chauffée jusqu’au blanc.

En comparant cette expérience avec les autres, on voit que l’épaisseur de la masse étant de 5 pouces 3/4, l’incandescence totale a duré 95 minutes dans cette pièce de fer, comprimée autant qu’il est possible, et que dans les premières masses qui n’avaient point été comprimées par le marteau, l’épaisseur étant de 6 pouces, l’incandescence a duré 105 minutes, et l’épaisseur étant de 8 pouces, elle a duré 140 minutes. Or, 140 : 8 ou 105 : 6 : : 95 : 5 9/21 au lieu que l’expérience nous donne 5 3/4. Les causes cachées, dont la principale est la compression de la matière, et les obstacles qui en résultent pour l’issue de la chaleur, semblent donc produire cette différence de 5 3/4 à 5 9/21, ce qui fait 27/84 ou un peu plus d’un tiers sur 15/3 c’est-à-dire environ 1/16 sur le tout. En sorte que le fer bien battu, bien sué, bien comprimé, ne perd son incandescence qu’en 17 de temps, tandis que le même fer qui n’a point été comprimé la perd en 16 du même temps. Et ceci paraît se confirmer par les expériences 3 et 4, où les masses de fer, ayant été comprimées par une seule volée de coups de marteau, n’ont perdu leur incandescence qu’au bout de 72 et 73 minutes, au lieu de 70 qu’a duré celle des loupes non comprimées, ce qui fait 2 1/2 sur 70 ou 5/140 ou 1/28 de différence produite par cette première compression. Ainsi l’on ne doit pas être étonné que la seconde et la troisième compression qu’a subies la masse de fer de la cinquième expérience, qui été battue par trois volées de coups de marteau, aient produit 1/16 au lieu de 1/28 de différence dans la durée de l’incandescence. On peut donc assurer en général que la plus forte compression qu’on puisse donner à la matière, pénétrée de feu autant qu’elle peut l’être, ne diminue que d’une seizième partie la durée de son incandescence, et que dans la matière qui ne reçoit point de compression extérieure, cette durée est précisément en même raison que son épaisseur.

Maintenant, pour appliquer au globe de la terre le résultat de ces expériences, nous considérerons qu’il n’a pu prendre sa forme élevée sous l’équateur, et abaissée sous les pôles, qu’en vertu de la force centrifuge, combinée avec celle de la pesanteur ; que, par conséquent, il a dû tourner sur son axe pendant un petit temps avant que sa surface ait