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en pût conclure la pesanteur du feu ou de la chaleur, qui m’en paraît être la substance la plus matérielle. La lumière et la chaleur sont les deux éléments matériels du feu : ces deux éléments réunis ne sont que le feu même, et ces deux matières nous affectent chacune sous leur forme propre, c’est-à-dire d’une manière différente. Or, comme il n’existe aucune forme sans matière, il est clair que, quelque subtile qu’on suppose la substance de la lumière, de la chaleur ou du feu, elle est sujette comme toute autre matière à la loi générale de l’attraction universelle ; car, comme nous l’avons dit, quoique la lumière soit douée d’un ressort presque parfait, et que par conséquent ses parties tendent, avec une force presque infinie, à s’éloigner des corps qui la produisent, nous avons démontré que cette force expansive ne détruit pas celle de la pesanteur : on le voit par l’exemple de l’air, qui est très élastique, et dont les parties tendent avec force à s’éloigner les unes des autres, qui ne laisse pas d’être pesant. Ainsi la force par laquelle les parties de l’air ou du feu tendent à s’éloigner, et s’éloignent en effet les unes des autres, ne fait que diminuer la masse, c’est-à-dire la densité de ces matières, et leur pesanteur sera toujours proportionnelle à cette densité. Si donc l’on vient à bout de reconnaître la pesanteur du feu par l’expérience de la balance, on pourra peut-être quelque jour en déduire la densité de cet élément, et raisonner ensuite sur la pesanteur et l’élasticité du feu avec autant de fondement que sur la pesanteur et l’élasticité de l’air.

J’avoue que cette expérience, qui ne peut être faite qu’en grand, paraît d’abord assez difficile, parce qu’une forte balance, et telle qu’il la faudrait pour supporter plusieurs milliers, ne pourrait être assez sensible pour indiquer une petite différence qui ne serait que de quelques gros. Il y a ici, comme en tout, un maximum de précision, qui probablement ne se trouve ni dans la plus petite, ni dans la plus grande balance possible. Par exemple, je crois que si, dans une balance avec laquelle on peut peser 1 livre, l’on arrive à un point de précision d’un douzième de grain, il n’est pas sûr qu’on pût faire une balance pour peser dix milliers, qui pencherait aussi sensiblement pour 1 once 3 gros 41 grains, ce qui est la différence proportionnelle de 1 à 10 000 ; ou qu’au contraire, si cette grosse balance indiquait clairement cette différence, la petite balance n’indiquerait pas également bien celle d’un douzième de grain, et que, par conséquent, nous ignorons quelle doit être, pour un poids donné, la balance la plus exacte.

Les personnes qui s’occupent de physique expérimentale devraient faire la recherche de ce problème, dont la solution, qu’on ne peut obtenir que par l’expérience, donnerait le maximum de précision de toutes les balances. L’un des plus grands moyens d’avancer les sciences, c’est d’en perfectionner les instruments. Nos balances le sont assez pour peser l’air : avec un degré de perfection de plus, on viendrait à bout de peser le feu et même la chaleur.

Les boulets rouges de 4 pouces 1/2 et de 5 pouces de diamètre, que j’avais laissés refroidir dans ma balance[1], avaient perdu 7, 8 et 10 grains chacun en se refroidissant ; mais plusieurs raisons m’ont empêché de regarder cette petite diminution comme la quantité réelle du poids de la chaleur : car 1o le fer, comme on l’a vu par le résultat de mes expériences, est une matière que le feu dévore, puisqu’il la rend spécifiquement plus légère : ainsi l’on peut attribuer cette diminution de poids à l’évaporation des parties du fer enlevées par le feu. 2o Le fer jette des étincelles en grande quantité lorsqu’il est rougi à blanc ; il en jette encore quelques-unes lorsqu’il n’est que rouge, et ces étincelles sont des parties de matières dont il faut défalquer le poids de celui de la diminution totale ; et comme il n’est pas possible de recueillir toutes ces étincelles, ni d’en connaître le poids, il n’est pas possible non plus de savoir combien cette perte diminue la pesanteur des boulets. 3o Je me suis aperçu que le fer demeure rouge et jette de petites étincelles bien

  1. Voyez les expériences du premier Mémoire.