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leur n’eût pénétré toute son épaisseur ; je vois que pendant tout ce temps il s’en perdrait une assez grande partie, qui sortirait de ce bloc de matière après y être entrée ; je crains donc beaucoup que, la pierre n’étant pas saisie par la chaleur de tous les côtés à la fois, la calcination ne fût très lente et le produit en chaux très petit. L’expérience seule peut ici décider ; mais il faudrait au moins la tenter sur les matières gypseuses, dont la calcination doit être une fois plus prompte que celle des pierres calcaires[1].

En concentrant cette chaleur du soleil dans un four qui n’aurait d’autre ouverture que celle qui laisserait entrer la lumière, on empêcherait en grande partie la chaleur de s’évaporer ; et en mêlant avec les pierres calcaires une petite quantité de brasque ou poudre de charbon qui, de toutes les matières combustibles est la moins chère, cette légère quantité d’aliments suffirait pour nourrir et augmenter de beaucoup la quantité de chaleur, ce qui produirait une plus ample et plus prompte calcination, et à très peu de frais, comme on l’a vu par la seconde expérience du quatrième Mémoire.

3o Ces miroirs d’Archimède peuvent servir en effet à mettre le feu dans des voiles de vaisseaux et même dans le bois goudronné, à plus de 150 pieds de distance ; on pourrait s’en servir aussi contre ses ennemis en brûlant les blés et les autres productions de la terre ; cet effet, qui serait assez prompt, serait très dommageable ; mais ne nous occupons pas des moyens de faire du mal, et ne pensons qu’à ceux qui peuvent procurer quelque bien à l’humanité.

4o Ces miroirs fournissent le seul et unique moyen qu’il y ait de mesurer exactement la chaleur : il est évident que deux miroirs dont les images lumineuses se réunissent produisent une chaleur double dans tous les points de la surface qu’elles occupent ; que trois, quatre, cinq, etc., miroirs donneront de même une chaleur triple, quadruple, quintuple, etc., et que par conséquent on peut par ce moyen faire un thermomètre dont les divisions ne seront point arbitraires et les échelles différentes, comme le sont celles de tous les thermomètres dont on s’est servi jusqu’à ce jour. La seule chose arbitraire qui entrerait dans la construction de ce thermomètre serait la supposition du nombre total des parties du mercure en partant du degré du froid absolu ; mais en le prenant à 10 000 au-dessous de la congélation de l’eau, au lieu de 1 000, comme dans nos thermomètres ordinaires, on approcherait beaucoup de la réalité, surtout en choisissant les jours de l’hiver les plus froids pour graduer le thermomètre ; chaque image du soleil lui donnerait un degré de chaleur au-dessus de la température que nous supposerons à celui de la glace. Le point auquel s’élèverait le mercure par la chaleur de la première image du soleil serait marqué 1. Le point où il s’élèverait par la chaleur de deux images égales et réunies sera marqué 2. Celui où trois images le feront monter sera marqué 3, et ainsi de suite jusqu’à la plus grande hauteur, qu’on pourrait étendre jusqu’au degré 36. On aurait à ce degré une augmentation de chaleur trente-six fois plus grande que celle du premier degré ; dix-huit fois plus grande que celle du second ; douze fois plus grande que celle du troisième ; neuf fois plus grande que celle du quatrième, etc. Cette augmentation 36 de chaleur au-dessus de celle de la glace serait assez grande pour fondre le plomb, et il y a toute apparence que le mercure, qui se volatilise à une bien moindre chaleur ferait par sa vapeur casser le thermomètre. On ne pourra donc étendre la division que jusqu’à 12, et peut-être même à 9 degrés si l’on se sert du mercure pour ces thermomètres ; et l’on n’aura par ce moyen que les degrés d’une augmentation de chaleur jusqu’à 9. C’est une des raisons qui avaient

  1. Il vient de paraître un petit ouvrage rempli de grandes vues, de M. l’abbé Scipion Bexon qui a pour titre : Système de la fertilisation. Il propose mes miroirs comme un moyen facile pour réduire en chaux toutes les matières calcaires ; mais il leur attribue plus de puissance qu’ils n’en ont réellement, et ce n’est qu’en les multipliant qu’on pourrait obtenir les grands effets qu’il s’en promet.