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persuadé, si l’on observe dans une forge la première loupe que l’on tire de la gueuse : cette loupe est un morceau de fer fondu pour la seconde fois, et qui n’a pas encore été forgé, c’est-à-dire consolidé par le marteau ; lorsqu’on le tire de la chaufferie où il vient de subir le feu le plus violent, il est rougi à blanc, il jette non seulement des étincelles ardentes, mais il brûle réellement d’une flamme très vive qui consommerait une partie de sa substance, si on tardait trop de temps à porter cette loupe sous le marteau ; ce fer serait, pour ainsi dire, détruit avant que d’être formé, il subirait l’effet complet de la combustion si le coup du marteau, en rapprochant ses parties trop divisées par le feu, ne commençait à lui faire prendre le premier degré de sa ténacité. On le tire dans cet état et encore tout rouge de dessous le marteau, et on le reporte au foyer de l’affinerie où il se pénètre d’un nouveau feu ; lorsqu’il est blanc, on le transporte de même et le plus promptement possible au marteau, sous lequel il se consolide et s’étend beaucoup plus que la première fois ; enfin on remet encore cette pièce au feu et on la reporte au marteau, sous lequel on l’achève en entier. C’est ainsi qu’on travaille tous les fers communs ; on ne leur donne que deux ou tout au plus trois volées de marteau : aussi n’ont-ils pas à beaucoup près la ténacité qu’ils pourraient acquérir si on les travaillait moins précipitamment. La force du marteau non seulement comprime les parties du fer trop divisées par le feu, mais en les rapprochant elle chasse les matières étrangères et le purifie en le consolidant. Le déchet du fer en gueuse est ordinairement d’un tiers, dont la plus grande partie se brûle, et le reste coule en fusion et forme ce qu’on appelle les crasses du fer : ces crasses sont plus pesantes que le mâchefer du bois, et contiennent encore une assez grande quantité de fer, qui est, à la vérité, très impur et très aigre, mais dont on peut néanmoins tirer parti en mêlant ces crasses broyées et en petite quantité avec la mine que l’on jette au fourneau ; j’ai l’expérience qu’en mêlant un sixième de ces crasses avec cinq sixièmes de mine épurée par mes cribles, la fonte ne change pas sensiblement de qualité, mais si l’on en met davantage elle devient plus cassante, sans néanmoins changer de couleur ni de grain. Mais si les mines sont moins épurées, ces crasses gâtent absolument la fonte, parce qu’étant déjà très aigre et très cassante par elle-même, elle le devient encore plus par cette addition de mauvaise matière, en sorte que cette pratique qui peut devenir utile entre les mains d’un habile maître de l’art, produira dans d’autres mains de si mauvais effets qu’on ne pourra se servir ni des fers ni des fontes qui en proviendront.

Il y a néanmoins des moyens, je ne dis pas de changer, mais de corriger un peu la mauvaise qualité de la fonte et d’adoucir à la chaufferie l’aigreur du fer qui en provient. Le premier de ces moyens est de diminuer la force du vent, soit en changeant l’inclinaison de la tuyère, soit en ralentissant le mouvement des soufflets, car plus on presse le feu plus le fer devient aigre. Le second moyen, et qui est encore plus efficace, c’est de jeter sur la loupe de fer qui se sépare de la gueuse une certaine quantité de gravier calcaire ou même de chaux toute faite ; cette chaux sert de fondant aux parties vitrifiables que le fer aigre contient en trop grande quantité, et le purge de ses impuretés. Mais ce sont de petites ressources auxquelles il ne faut pas se mettre dans le cas d’avoir recours, ce qui n’arriverait jamais si l’on suivait les procédés que j’ai donnés pour faire de bonne fonte[1].

Lorsqu’on fait travailler les affineurs à leur compte et qu’on les paye au millier, ils font, comme les fondeurs, le plus de fer qu’ils peuvent dans leur semaine, ils construisent le foyer de leur chaufferie de la manière la plus avantageuse pour eux ; ils pressent le feu, trouvent que les soufflets ne donnent jamais assez de vent, ils travaillent moins la loupe et font ordinairement en deux chaudes ce qui en exigerait au moins trois ; on ne sera donc jamais sûr d’avoir du fer d’une bonne et même qualité qu’en payant les

  1. On trouvera ces procédés dans mes Mémoires sur la fusion des mines de fer.