Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on n’a jamais vues dans nos mers. Il y a même des naturalistes qui prétendent que la quantité de ces coquilles étrangères pétrifiées est beaucoup plus grande que celle des coquilles de notre climat, mais je crois cette opinion mal fondée ; car indépendamment des coquillages qui habitent le fond de la mer et de ceux qui sont difficiles à pêcher, et que par conséquent on peut regarder comme inconnus ou même étrangers, quoiqu’ils puissent être nés dans nos mers, je vois en gros qu’en comparant les pétrifications avec les analogues vivants, il y en a plus de nos côtes que d’autres : par exemple, tous les peignes, la plupart des pétoncles, les moules, les huîtres, les glands de mer, la plupart des buccins, les oreilles de mer, les patelles, le cœur-de-bœuf, les nautiles, les oursins à gros tubercules et à grosses pointes, les oursins châtaignes de mer, les étoiles, les dentales, les tubulites, les astroïtes, les cerveaux, les coraux, les madrépores, etc., qu’on trouve pétrifiés en tant d’endroits, sont certainement des productions de nos mers ; et quoiqu’on trouve en grande quantité les cornes d’Ammon, les pierres lenticulaires, les pierres judaïques, les columnites, les vertèbres de grandes étoiles et plusieurs autres pétrifications, comme les grosses vis, le buccin appelé abajour, les sabots, etc., dont l’analogue vivant est étranger ou inconnu, je suis convaincu, par mes observations, que le nombre de ces espèces est petit en comparaison de celui des coquilles pétrifiées de nos côtes : d’ailleurs ce qui fait le fond de nos marbres et de presque toutes nos pierres à chaux et à bâtir, sont des madrépores, des astroïtes, et toutes ces autres productions formées par les insectes de la mer et qu’on appelait autrefois plantes marines ; les coquilles, quelque abondantes qu’elles soient, ne font qu’un petit volume en comparaison de ces productions, qui toutes sont originaires de nos mers, et surtout de la Méditerranée. »

Un peu plus loin, il ajoute[1] : « Il y a des coquillages qui habitent le fond des hautes mers et qui ne sont jamais jetés sur les rivages ; les auteurs les appellent Pelagiæ, pour les distinguer des autres qu’ils appellent Littorales. Il est à croire que les cornes d’Ammon et quelques autres espèces qu’on trouve pétrifiées, et dont on n’a pas encore trouvé les analogues vivants, demeurent toujours dans le fond des hautes mers, et qu’elles ont été remplies du sédiment pierreux dans le lieu même où elles étaient ; il peut se faire aussi qu’il y ait eu de certains animaux dont l’espèce a péri ; ces coquillages pourraient être du nombre : les os fossiles extraordinaires, qu’on trouve en Sibérie, au Canada, en Irlande et dans plusieurs autres endroits, semblent confirmer cette conjecture, car jusqu’ici on ne connaît pas d’animal à qui on puisse attribuer ces os qui, pour la plupart, sont d’une grandeur et d’une grosseur démesurées. »

Dans un autre passage du même ouvrage il formule encore plus nettement

  1. Histoire et théorie de la terre, t. Ier, p. 128.