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triompher sous le nom de « théorie des causes actuelles ». Buffon n’en traça que les traits principaux, mais il le fit en homme de génie, par la seule puissance d’un esprit synthétique, auquel un petit nombre de faits révèlent l’enchaînement et la cause de toute une série de phénomènes, dont un grand nombre ne trouveront que plus tard leur explication particulière.

Déluge et cataclysmes niés par Buffon. Tous les prédécesseurs de Buffon avaient cherché dans des révolutions subites, dans des cataclysmes généraux et formidables, la raison des modifications dont la terre porte des traces trop nombreuses pour qu’il soit possible de les nier. Ceux qu’enchaînaient les croyances religieuses mettaient tout sur le compte du déluge. D’autres invoquaient l’action malfaisante des astres, et particulièrement des comètes[1]. Buffon nie toutes ces révolutions, tous ces cataclysmes ; il tente d’expliquer par des actions lentes toutes les transformations subies par notre globe. Buffon et les causes lentes, actuelles. C’est d’abord le refroidissement graduel pendant lequel la terre se contracte, puis la séparation des parties solides de l’eau et de l’air, puis la condensation de la vapeur d’eau répandue dans l’atmosphère, son dépôt à la surface de la terre sous la forme d’un océan universel et la dissolution des matières solides qui se précipitent de nouveau. Comme cet océan est soumis au flux et au reflux que détermine l’influence de la lune, comme il est parcouru par des courants qui résultent des différences de température des divers points de sa masse, l’eau entraîne les matériaux qu’elle a dissous tantôt dans un point, tantôt dans un autre ; elle édifie les montagnes et creuse les vallées ; elle baisse ensuite graduellement de niveau, laissant à découvert les sommets des montagnes, puis leurs bases et les continents ; elle s’évapore dans l’atmosphère devenue moins riche en vapeur, puis retombe en pluie sur tous les continents, décapite lentement les montagnes, s’épanche en torrents, en ruisseaux, en fleuves, use lentement les roches et les terres en y creusant les lits dans lesquels elle roule, déborde souvent et envahit les plaines plus basses que ses rives, déracine les arbres et les rochers, entraîne tous les matériaux qu’elle a détachés, vers la mer où elle les dépose, forme ainsi de nouvelles terres à l’embouchure des fleuves, tandis que, de son côté, la mer use les rivages qui limitent la marche envahissante de ses flots pour combler ses vallées, élargir quelques points de ses rives et refaire en un lieu les terres qu’elle a détruites en un autre. En tout cela, rien de brusque, ni de violent, aucun phénomène insolite et, pour ainsi dire, miraculeux, mais des faits en apparence insignifiants et semblables à ceux qui se produisent tous les jours sous nos yeux.

« Je ne parle point, dit-il[2], de ces causes éloignées qu’on prévoit moins qu’on ne les devine, de ces secousses de la nature dont le moindre effet serait la catastrophe du monde : le choc ou l’approche d’une comète, l’absence

  1. Voyez l’analyse de ces systèmes faite par Buffon, t. Ier, p. 82 et suiv.
  2. Histoire et théorie de la terre, t. Ier, p. 52.