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Avant lui, Bourguet en avait réuni un certain nombre d’exemples. « Personne, dit Buffon[1], n’avait découvert, avant M. Bourguet, la surprenante régularité de la structure de ces grandes masses : il a trouvé, après avoir passé trente fois les Alpes en quatorze endroits différents, deux fois l’Apennin, et fait plusieurs tours dans les environs de ces montagnes et dans le mont Jura, que toutes les montagnes sont formées dans leurs contours à peu près comme les ouvrages de fortification. Lorsque le corps d’une montagne va d’occident en orient, elle forme des avances qui regardent, autant qu’il est possible, le nord et le midi : cette régularité admirable est si sensible dans les vallons, qu’il semble qu’on y marche dans un chemin couvert fort régulier ; car si, par exemple, on voyage dans un vallon du nord au sud, on remarque que la montagne qui est à droite forme des avances, ou des angles qui regardent l’orient, et ceux de la montagne du côté gauche regardent l’occident, de sorte que néanmoins les angles saillants de chaque côté répondent réciproquement aux angles rentrants qui leur sont toujours alternativement opposés. Les angles que les montagnes forment dans les grandes vallées sont moins aigus, parce que la pente est moins raide et qu’ils sont plus éloignés les uns des autres ; et, dans les plaines, ils ne sont sensibles que dans le cours des rivières, qui en occupent ordinairement le milieu ; leurs coudes naturels répondent aux avances les plus marquées, ou aux angles les plus avancés des montagnes auxquelles le terrain, où les rivières coulent, va aboutir. Il est étonnant qu’on n’ait pas aperçu une chose si visible ; et lorsque, dans une vallée, la pente de l’une des montagnes qui la bordent est moins rapide que celle de l’autre, la rivière prend son cours beaucoup plus près de la montagne la plus rapide, et elle ne coule que dans le milieu. »

Un peu plus loin, il ajoute : « M. Bourguet, à qui on doit cette belle observation de la correspondance des angles des montagnes, l’appelle, avec raison, la clef de la théorie de la terre ; cependant il me paraît que, s’il en eût senti toute l’importance, il l’aurait employée plus heureusement en la liant avec des faits convenables, et qu’il aurait donné une théorie de la terre plus vraisemblable, au lieu que, dans son mémoire, il ne présente que le projet d’un système hypothétique dont la plupart des conséquences sont fausses ou précaires. »

Résumé de l’histoire de la terre d’après Buffon. En rapprochant tous ces faits, Buffon établit une histoire de la terre que je puis résumer de la façon suivante, à partir de la seconde phase, la première, déjà étudiée, répondant au refroidissement de la planète : Pendant que la surface de la terre se solidifie, l’eau et l’air s’en séparent ; l’eau est d’abord à l’état de vapeur suspendue en immense quantité dans l’atmosphère ; puis elle se précipite sur la terre et la recouvre d’un océan universel, dans lequel

  1. Sur les inégalités de la surface de la terre, t. Ier, p. 139-140.