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égales en hauteur ; elles se terminent la plupart en pointes et en pics irréguliers, et j’ai vu, en traversant plusieurs fois les Alpes et l’Apennin, que les angles sont en effet correspondants, mais qu’il est presque impossible de juger à l’œil de l’égalité ou de l’inégalité de hauteur des montagnes opposées, parce que leur sommet se perd dans les brouillards et dans les nues. »

Enfin, il met en relief ce fait que les couches de la surface de la terre ne sont pas disposées les unes au-dessus des autres dans l’ordre de leur pesanteur spécifique, comme cela aurait dû se produire si elles s’étaient toutes déposées en même temps ; mais que des couches plus légères se trouvent souvent situées au-dessous de couches beaucoup plus pesantes. Il dit à ce sujet[1] : « Les différentes couches dont la terre est composée ne sont pas disposées suivant l’ordre de leur pesanteur spécifique ; souvent on trouve des couches de matières pesantes posées sur des couches de matières plus légères ; pour s’en assurer, il ne faut qu’examiner la nature des terres sur lesquelles portent les rochers, et on verra que c’est ordinairement sur des glaises ou sur des sables qui sont spécifiquement moins pesants que la matière du rocher ; dans les collines et dans les autres petites élévations on reconnaît facilement la base sur laquelle portent les rochers ; mais il n’en est pas de même des grandes montagnes : non seulement le sommet est de rocher, mais ces rochers portent sur d’autres rochers, il y a montagnes sur montagnes et rochers sur rochers, à des hauteurs si considérables et dans une si grande étendue de terrain, qu’on ne peut guère s’assurer s’il y a de la terre dessous, et de quelle nature est cette terre : on voit des rochers coupés à pic qui ont plusieurs centaines de pieds de hauteur ; ces rochers portent sur d’autres, qui peut-être n’en ont pas moins ; cependant, ne peut-on pas conclure du petit au grand ? et puisque les rochers des petites montagnes dont on voit la base portent sur des terres moins pesantes et moins solides que la pierre, ne peut-on pas croire que la base des hautes montagnes est aussi de terre ? »

Je rappelle, en terminant, que Buffon avait connaissance de l’irrégularité de position affectée presque constamment par certaines roches. Nous avons vu plus haut qu’il cite parmi elles les grès ; il parle ailleurs des granits comme étant dans le même cas. Nous verrons plus bas ce qu’il faut penser de ces exceptions.

J’ai insisté sur l’opinion émise par Buffon relativement à ces différentes questions, parce que de cette opinion découle toute sa théorie de la formation des couches superficielles de notre globe, et parce que, malgré les erreurs qu’elle contient, cette théorie se rapproche assez exactement de la vérité pour faire le plus grand honneur à l’illustre naturaliste, enfin parce que

  1. Histoire et théorie de la terre, t. Ier, p. 115.