Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des coquilles marines sur nos continents, il leur répond[1] : « Cependant cette supposition que c’est le déluge universel qui a transporté les coquilles de la mer dans tous les climats de la terre est devenue l’opinion, ou plutôt la superstition de la plupart des naturalistes, Woodward, Scheuchzer et quelques autres, appellent ces coquilles pétrifiées les restes du déluge : ils les regardent comme les médailles et les monuments que Dieu nous a laissés de ce terrible événement, afin qu’il ne s’effaçât jamais de la mémoire du genre humain ; enfin ils ont adopté cette hypothèse avec tant de respect, pour ne pas dire d’aveuglement, qu’ils ne paraissent s’être occupés qu’à chercher les moyens de concilier l’Écriture sainte avec leur opinion, et qu’au lieu de se servir de leurs observations et d’en tirer des lumières, ils se sont enveloppés dans les nuages d’une théologie physique, dont l’obscurité et la petitesse dérogent à la clarté et à la dignité de la religion, et ne laissent apercevoir aux incrédules qu’un mélange ridicule d’idées humaines et de faits divins. Prétendre, en effet, expliquer le déluge universel et ses causes physiques, vouloir nous apprendre le détail de ce qui s’est passé dans le temps de cette grande révolution, deviner quels en ont été les effets, ajouter des faits à ceux du livre sacré, tirer des conséquences de ces faits, n’est-ce pas vouloir mesurer la puissance du Très-Haut ? Les merveilles, que sa main bienfaisante opère dans la nature d’une manière uniforme et régulière, sont incompréhensibles, à plus forte raison les coups d’éclat, les miracles doivent nous tenir dans le saisissement et dans le silence.

    tous les climats de la terre, et jusque dans l’intérieur des hautes montagnes, où elles sont posées par lits, comme elles le sont dans le fond de la mer. »

    « En lisant une lettre italienne sur les changements arrivés au globe terrestre, imprimée à Paris cette année (1746), je m’attendais à y trouver ce fait rapporté par La Loubère ; il s’accorde parfaitement avec les idées de l’auteur : les poissons pétrifiés ne sont, à son avis, que des poissons rares rejetés de la table des Romains, parce qu’ils n’étaient pas frais ; et à l’égard des coquilles ce sont, dit-il, les pèlerins de Syrie qui ont rapporté, dans le temps des croisades, celles des mers du Levant qu’on trouve actuellement pétrifiées en France, en Italie et dans les autres États de la chrétienneté ; pourquoi n’a-t-il pas ajouté que ce sont les singes qui ont transporté les coquilles au sommet des hautes montagnes et dans tous les lieux où les hommes ne peuvent habiter ? Cela n’eût rien gâté et eût rendu son explication encore plus vraisemblable ? Comment se peut-il que des personnes éclairées, et qui se piquent même de philosophie, aient encore des idées aussi fausses sur ce sujet ? Nous ne nous contenterons donc pas d’avoir dit qu’on trouve des coquilles pétrifiées dans presque tous les endroits de la terre où l’on a fouillé, et d’avoir rapporté les témoignages des auteurs d’histoire naturelle : comme on pourrait les soupçonner d’apercevoir, en vue de quelques systèmes, des coquilles où il n’y en a point, nous croyons devoir encore citer les voyageurs qui en ont remarqué par hasard, et dont les yeux moins exercés n’ont pu reconnaître que les coquilles entières et bien conservées : leur témoignage sera peut-être d’une plus grande autorité auprès des gens qui ne sont pas à portée de s’assurer par eux-mêmes de la vérité des faits, et de ceux qui ne connaissent ni les coquilles, ni les pétrifications, et qui, n’étant pas en état d’en faire la comparaison, pourraient douter que les pétrifications fussent en effet de vraies coquilles, et que ces coquilles se trouvassent entassées par millions dans tous les climats de la terre. »

  1. T. Ier, p. 132.