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ont recouvert de matières brûlées toutes les terres adjacentes ; ce qui a non seulement enfoui, mais détruit toutes les coquilles qui pouvaient s’y trouver. Il ne serait donc pas étonnant qu’on ne rencontrât point de productions marines autour de ces montagnes, qui sont aujourd’hui ou qui ont été autrefois embrasées, car le terrain qui les enveloppe ne doit être qu’un composé de cendres, de scories, de verre, de lave et d’autres matières brûlées ou vitrifiées : ainsi, il n’y a d’autre fondement à l’opinion de ceux qui prétendent que la mer n’a pas couvert les montagnes, si ce n’est qu’il y a plusieurs de leurs sommets où l’on ne voit aucune coquille ni autres productions marines. Mais, comme on trouve en une infinité d’endroits, et jusqu’à 1 500 et 2 000 toises de hauteur, des coquilles et d’autres productions de la mer, il est évident qu’il y a eu peu de pointes ou crêtes de montagnes qui n’aient été surmontées par les eaux, et que les endroits où on ne trouve point de coquilles indiquent seulement que les animaux qui les ont produites ne s’y sont pas habitués, et que les mouvements de la mer n’y ont point amené les débris de ses productions, comme elle en a amené sur tout le reste de la surface du globe. »

Ainsi que nous l’avons dit plus haut, Buffon n’ignorait pas que plusieurs interprétations de la dispersion des coquilles marines sur les continents avaient déjà été émises. À ceux qui attribuaient ce fait à un simple hasard, il dit[1] : « Il ne faut pas croire, comme se l’imaginent tous les gens qui veulent raisonner sur cela sans avoir rien vu, qu’on ne trouve ces coquilles que par hasard, qu’elles sont dispersées çà et là, ou tout au plus par petits tas, comme des coquilles d’huîtres jetées à la porte ; c’est par montagnes qu’on les trouve, c’est par bancs de 100 et de 200 lieues de longueur ; c’est par collines et par provinces qu’il faut les toiser, souvent dans une épaisseur de 50 ou 60 pieds, et c’est d’après cela qu’il faut raisonner. » Il cite toutes les roches, tous les terrains, toutes les localités dans lesquels on a découvert, en immenses quantités, les dépouilles des habitants des anciennes mers. Il raille doucement Voltaire, qui, dans un opuscule anonyme paru à la suite de la publication de l’Histoire de la terre, avait attribué la présence de coquilles marines sur le sommet des montagnes au passage de pèlerins revenant de Syrie[2].

Théorie diluvienne. Quant à ceux qui mettaient sur le compte du déluge biblique la dispersion

  1. T. Ier, p. 119.
  2. Je ne puis me soustraire au désir de rappeler ici le passage relatif à Voltaire. Après avoir cité un grand nombre de localités, dans lesquelles se trouvent des coquilles fossiles en grand nombre, il ajoute : « En voilà assez pour prouver qu’en effet on trouve des coquilles de mer, des poissons pétrifiés et d’autres productions marines presque dans tous les lieux où on a voulu les chercher, et qu’elles y sont en prodigieuse quantité. « Il est vrai, dit-un auteur anglais (Tancred Robinson), qu’il y a eu quelques coquilles de mer dispersées çà et là sur la terre par les armées, par les habitants des villes et villages, et que La Loubère rapporte, dans son voyage de Siam, que les singes au cap de Bonne-Espérance s’amusent continuellement à transporter des coquilles du rivage de la mer au-dessus des montagnes, mais cela ne peut pas résoudre la question pourquoi ces coquilles sont dispersées dans