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LES PRÉTENDUES TENDANCES DES MOTS.

Une autre tendance qu’il n’est pas moins chimérique d’attribuer au langage, au lieu d’en chercher la cause dans les faits de l’histoire, c’est la tendance au nivellement. Herr, en allemand, était un titre réservé aux gentilshommes : c’est le comparatif d’un ancien adjectif signifiant « élevé »[1]. La Chambre des seigneurs à Berlin s’appelle encore das Herren Haus. Mais ce titre n’est pas plus magnifique aujourd’hui qu’en français celui de Monsieur.

Il y a des déchéances qui peuvent atteindre jusqu’aux pronoms. Er et sie, après avoir été des formules de politesse, comme ella en italien, sont descendus de leur rang, parce qu’un raffinement d’obséquiosité, pour monter d’un degré, leur a substitué le pronom pluriel[2].

La propension à généraliser ce qui était d’abord à l’usage du petit nombre rend compte de quelques faits à première vue déconcertants. Client, en latin, voulait dire « celui qui obéit, le serviteur »[3]. Un patricien à Rome avait des clients. Le mot a désigné ensuite celui qui, appelé devant le tribunal, invoquait la protection d’un patron pour le défendre. Mais cette expression, chez les modernes, ayant passé chez le médecin, puis chez le négociant, le

  1. Pour les vilains, on se servait du mot Meister. Ex. Herr Hartmann von Aue, Meister Gottfried von Strassburg.
  2. Voir le Dictionnaire de Grimm, au mot er.
  3. Voir ci-dessus, p. 106.