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ÉCLAIRCISSEMENT

les femmes commencent de jouer un rôle important dans la société (elles héritent même des fiefs) ; et l’idée platonicienne que l’amour est la source de toute vertu se répand en France. Elle arrive de Provence, mais déjà sèche et fanée, car les troubadours en ont abusé de toutes manières. Pour ceux-ci, l’amour n’est plus qu’une passion de la raison et, si l’on peut dire, une passion de convenances. C’est par devoir qu’un honnête homme (comme on parlera plus tard) est amoureux ; c’est pour se perfectionner. Il choisit avec soin l’objet de sa sage flamme, sa « dame », à laquelle il s’engage parfois avec un certain cérémonial et qu’il ne doit pas épouser, puisque toute faveur qu’obtient un mari, étant chose due, ne saurait être le principe ni la récompense d’une belle action. Dans cette froide poésie provençale, la maîtresse est à cent pieds au-dessus de l’amant, qui doit vivre aux yeux de celle qu’il aime « dans un perpétuel tremblement, comme un être inférieur et soumis, humblement soupirant, habile, comme un maître des cérémonies, à exercer à propos les vertus de salon », savant dans cette « étiquette cérémonieuse du cœur », cette « stratégie galante dont les manœuvres sont réglées comme les pas d’armes des tournois », et que les troubadours expliquent et discutent à l’infini en vers prosaïques et plats[1].

  1. Voir la belle étude de M. Joseph Bédier sur les « Lais de Marie de France », dars la Revue des Deux Mondes du 15 octobre 1891.