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ET CRITIQUE

P. 27, l. 21. — de l’Architecture. Blanchemain a cru que cette satire de la Truelle crossée n’est autre que le sonnet Penses-tu mon Aubert..., qu’il a réédité au tome VIII de son édition de Ronsard, p. 139 (cf. pp. 30, 100 et 106). Je ne puis partager son opinion.

D’abord, quoiqu’il existe des sonnets satiriques, dont les Regrets de Du Bellay présentent des modèles, un sonnet n’est pas précisément une satire comme celles dont Binet parle ici. — Ensuite le sonnet dont parle Blanchemain a paru pour la première fois en 1556 dans la Nouvelle Contin. des Amours, tandis que la satire dont parle Binet aurait été écrite sous Charles IX et avec sa permission — En outre, ce sonnet avait pour titre, non pas la Truelle crossée, comme on pourrait le croire d’après l’éd. Bl., mais simplement Sonet, et cela non seulement dans l’éd. princeps, mais dans les deux réimpressions de Rouen et de Paris en 1557 (Ronsard l’a retranché de ses œuvres dès 1560). — Enfin, dans ce sonnet, Ronsard ne « blâme » pas « le roy de ce que les benefices se donnaient à des maçons et autres plus viles personnes » ; ce n’est pas l’idée générale, le sujet même de cette pièce ; et le premier tercet, qui seul fait allusion aux riches bénéfices des architectes royaux, ne vise aucun d’eux « particulièrement », mais pourrait s’appliquer aussi bien à Pierre Lescot qu’à Philibert Delorme.

Quand il a voulu « taxer particulierement » Delorme, il l’a fait d’une façon plus explicite, par ex. dans la Complainte contre Fortune, écrite aux environs du 1er janv. 1559 :

Maintenant je ne suis ny veneur ny maçon
Pour acquerir du bien en si basse façon,
Et si ay faict service autant à ma contrée
Qu’une vile truelle à trois crosses tymbrée.
(Bl., VI, 166.)


Philibert Delorme (ou de l’Orme) possédait en effet trois abbayes à la fois : celle de Geveton au diocèse de Nantes (depuis 1547), celle de St-Barthélemy au diocèse de Noyon (depuis 1548), celle de l’Ivry (ou d’Ivry) au diocèse d’Evreux (depuis 1548). Il avait encore obtenu, dès le début du règne de Henri II, la fonction de Conseiller et aumônier ordinaire du roi, et la charge de Surintendant des bâtiments royaux ; un peu plus tard, mais toujours sous Henri II, il fut nommé chanoine de Notre-Dame de Paris.

Après la mort de Henri II et le départ de Diane de Poitiers, dont il avait construit le château d’Anet, il tomba en disgrâce et perdit sa charge officielle de Surintendant, donnée à son ennemi le peintre Primatice. En 1560, ayant renoncé à l’abbaye de l’Ivry en faveur d’un frère de Diane, il reçut en compensation celle de St-Serge d’Angers, et jusqu’à sa mort, arrivée en 1570, il s’intitula abbé de St-Serge, comme auparavant il s’intitulait abbé de l’Ivry. Rentré en grâce auprès de Catherine de Médicis vers 1564, il fut chargé par elle de la construction du palais des Tuileries ; et c’est évidemment vers la fin de sa vie qu’il faut placer l’anecdote racontée par Binet.

L’ouvrage dont parle Binet a paru en 1567 sous ce titre : Le premier tome de l’Architecture de Philibert de l’Orme, Conseiller et Aumonier