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COMMENTAIRE HISTORIQUE

Ange Vergèce pour le grec), puis avait fait pendant quatre ans encore du latin et du grec à l’ombre de l’école du « bon Tusan » (v. l’Epître dédic. Au Roy, déjà citée), enfin avait reçu de Dorat au domicile de son père des leçons particulières et quotidiennes de latin et de grec avant de se renfermer au collège de Coqueret — était très supérieur à Ronsard dans les langues anciennes, bien qu’il eût sept ans et demi de moins que lui. Baïf fut « escolier » dans toute la force du terme jusqu’à dix-huit ans ; aussi resta-t-il un poète philologue, grammairien et métricien. — Ronsard au contraire n’avait pas fait d’études secondaires ni d’études régulières avant de devenir pensionnaire de Dorat, au collège de Coqueret, c’est-à-dire avant l’âge de vingt ans et demi ; et il lui est arrivé au moins deux fois de parler avec dédain des exercices scolaires et des connaissances purement grammaticales (voir l’Excellence de l’esprit de l’homme, Bl. VI, 238, et la préf. posthume de la Franciade, III, 35-36. En revanche il avait vécu jusqu’à neuf ans en pleine campagne, puis voyagé en France et à l’étranger ; il avait grandi au grand soleil des cours, des ambassades et des camps ; ainsi que Cl. Marot, il avait eu pour « maistresse d’escole » la Cour, « où les jugements s’amendent et les langages se polissent » ; il avait étudié le grand livre du monde, avant d’acquérir une science livresque, dont l’excès lui a nui. L’existence libre et mondaine qu’il mena jusqu’en 1545 fut autrement utile que la vie à l’école pour le développement de sa personnalité ; et c’est sans doute à cette situation particulière, qui fit de Ronsard un homme d’expérience avant qu’il devint un érudit, que nous devons l’originalité d’une bonne partie de son œuvre. — Baïf a étudié avant de vivre ; Ronsard a vécu avant d’étudier.

La variante de C « en peu de temps il recompensa le temps perdu » me semble venir de Du Perron : « Considerant donc qu’il s’estoit bien desja acquis une grande facilité de faire des vers, mais que le sçavoir et la doctrine luy manquoient, et qu’il ne luy estoit pas possible de voler sur ses propres ailes si hautement comme il l’eust desiré : alors il commença à se repentir extremement de ce qu’il avoit mesprisé l’estude en son enfance. Mais si ne perdit-il pas cœur nonobstant : et encore qu’il se vist desja en un aage où il sembloit qu’il n’estoit plus seant de retourner à l’eschole des lettres, pour apprendre les premiers elements de la langue Grecque et de la langue Latine, si est-ce qu’il passa par dessus toutes ces considerations et estant revenu en ceste Université, s’alla mettre en pension chez Monsieur Daurat : là où il demeura cinq ans entiers estudiant d’une si grande ardeur, et d’une si grande contention d’esprit, qu’il recompensa avecques beaucoup d’interest toute la perte qu’il avoit faicte auparavant. » (Or. fun., éd. de 1586, pp. 32 et 33.)

P. 12, l. 6. — par la Grecque. « On voudroit des détails plus précis, mais Binet sur certains points est d’un laconisme désolant », dit H. Chamard, se demandant ce qu’il faut entendre par cet artifice nouveau. Pour lui, Dorat, « faisant du Grec le principe et la base de son enseignement », ne perdait aucune occasion de rapprocher les mots et les tournures du texte latin qu’il expliquait, des mots et tournures qui leur correspondaient en Grec. « Il trouva dans l’enseignement de la langue grecque un