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ABDÉRAME.

bras séculier à l’établissement de l’orthodoxie. C’étaient les principes d’Abdas ; car que n’eût-il point fait à main armée contre les idolâtres, sous un empereur chrétien, puisque, sous un prince païen qui tolérait l’Évangile, il démolit un temple que les païens vénéraient très-particulièrement ? Conférez avec ceci ce que vous trouverez dans la remarque (B) de l’article Braun (Georges).

ABDÉRAME, gouverneur d’Espagne pour Iscam, calife des Sarrasins au 8e. siècle, tâcha d’étendre sur la France leur domination, peu après qu’ils eurent conquis toute l’Espagne. Ils avaient lieu d’être contens (A) de ce qu’ils avaient déjà subjugué ; et néanmoins il était fort naturel de n’en demeurer pas en si beau chemin. Si nous avions une histoire particulière d’Abdérame, composée par un homme de son parti, on y verrait sans doute qu’il était fort propre à satisfaire l’ambition excessive de son maître, et que c’était un des plus grands capitaines de l’univers. Ce ne seraient que grandes actions, et que triomphes. Je sais que des auteurs chrétiens en parlent avantageusement ; et dans le fond ce n’est pas un petit éloge que d’avoir pénétré comme il fit jusqu’au cœur de la France : mais enfin il n’est rien tel qu’une plume de son parti. Abdérame leva promptement l’obstacle qu’Eudes, duc d’Aquitaine, lui avait suscité, puisqu’en peu de temps il réduisit à la nécessité de se tuer le gouverneur de Cerdaigne[a], qui s’était soulevé à la sollicitation de ce duc. Il en usa fort honnêtement envers sa veuve (B), qui était fille du duc Eudes, et parfaitement belle femme. Dès qu’il eut calmé cette sédition, il s’appliqua avec tant de soin à l’armement formidable qui lui était nécessaire pour s’emparer de la France, qu’il mena, l’année d’après[b], une des plus grandes armées qu’on eût vues depuis long-temps. Elle se répandit au long et au large, et porta partout la désolation et l’effroi. La mémoire n’en est pas encore périe, non pas même parmi le petit peuple, dans les pays qui souffrirent ces cruels ravages. On ne sait point si les Gascons, dont le duc était ami de celui des Aquitaines, résistèrent (C), ou s’ils se soumirent aux Sarrasins : on sait seulement qu’Abdérame, s’étant avancé jusqu’à Bordeaux, prit la ville, et en fit brûler toutes les églises ; après quoi il gagna une sanglante bataille sur Eudes (D), un peu au delà[c] de la Dordogne (E). Il traversa le Poitou, il pilla l’église de Saint-Hilaire de Poitiers, et prit le chemin de Tours pour en faire autant au trésor de l’église de Saint-Martin. Ce fut alors que Charles Martel, secondé du duc d’Aquitaine, arrêta ce fier torrent. La grande armée d’Abdérame, le nombre des villes qu’il pilla, et celui des églises qu’il brûla en passant dans le Périgord et dans la Saintonge, rendirent sa marche si lente, qu’Eudes eut le temps de refaire une armée considérable avant que de se joindre à Charles Martel. Après la jonction, ils allèrent jusqu’au delà[d] de Tours à la rencontre d’Abdérame. Les deux armées en présence passèrent près de sept jours à s’escarmoucher ;

  1. Il s’appelait Munuza. Voyez son article.
  2. En 732.
  3. C’est par rapport aux Pyrénées.
  4. C’est par rapport à Paris.