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ALLATIUS.

sein de réunir les Grecs avec l’église romaine, par des voies d’adoucissement, a adouci beaucoup de choses dans les sentimens des Grecs. C’est dire assez clairement qu’il a été de mauvaise foi ; car, si Caucus a raison, on n’a pu le contredire par complaisance pour le pape, sans sacrifier la bonne foi à la maxime d’état.

(D) La raison qu’il donna, pourquoi il ne s’engagea, ni au mariage, ni aux Ordres ecclésiastiques, mérite d’être sue. ] Le pape Alexandre VII lui demanda un jour pourquoi il n’embrassait pas le sacerdoce. C’est afin, lui répondit-il, d’être toujours prêt à me marier. Mais pourquoi donc, reprit le pape, ne vous mariez-vous pas ? C’est afin, répondit Allatius, d’avoir toujours pleine liberté de me faire prêtre[1]. Il passa ainsi toute sa vie à délibérer entre une paroisse et une femme : il se repentit peut-être en mourant de n’avoir choisi ni l’une ni l’autre ; mais il se serait peut-être repenti trente ou quarante ans de suite d’avoir choisi ou l’une ou l’autre[* 1].

(E) C’est quelque chose de très-singulier, que ce qu’on dit d’une plume dont il se servait. ] Cette particularité vient du même lieu que la précédente, savoir de Jean Pastricius, bon ami d’Allatius, héritier de ses livres, et principal du collége de propagandâ fide. Il raconta à dom Mabillon[2] qu’Allatius, s’étant servi d’une même plume[3], pendant quarante ans, pour écrire en grec, et l’ayant enfin perdue, en pensa pleurer de douleur. Il écrivait avec une extrême vitesse ; car il copia dans une nuit le Diarium Romanorum Pontificum, qu’Hidarion Rancatus, moine de Citeaux, lui avait prêté[4]. On ne voulut point permettre à Allatius de le donner au public.

(F) Il sautait d’une matière à une autre... On ne l’a pas admiré en cela. ] Voici comme M. de Sallo en parle, après avoir observé que la principale pièce d’un ouvrage d’Allatius était une plainte de la Vierge. « Cette plainte, dit-il[5], a été composée par Métaphraste, d’où Léo Allatius a pris sujet de nous donner un éloge de Métaphraste, écrit par Psellus. Et, comme Métaphraste s’appelait Siméon, il a aussi pris de là sujet de faire une très-longue dissertation sur la vie et les ouvrages des grands hommes qui ont eu le nom de Siméon. Des Siméons, il a passé aux Simons : de ceux-ci, aux Simonides ; enfin, de ces derniers, il est venu aux Simonactides. Ce genre d’écrire est du goût de Léo Allatius ; car il a déjà fait d’autres dissertations sur la vie et les ouvrages de quelques auteurs qui ont porté des noms équivoques, comme celui de George, celui de Méthodius, celui de Nicetas, celui de Philon, et celui de Psellus, sur tous lesquels il a fait divers écrits. Ces sortes de desseins sont d’une invention nouvelle : au moins, ne nous reste-t-il rien de semblable dans les ouvrages des anciens. » Diogène Laërce n’oublie guère de marquer, à la fin de chaque Vie des Philosophes, ceux qui ont porté le même nom qu’eux, et il cite Démétrius Magnès, qui avait écrit un livre περὶ ὁμονύμων ποιητῶν τε καὶ συγγραϕέων, de Homonymis poëtis ac scriptoribus [6]. Voyez la remarque (H) de l’article Apollonius de Tyane. Allatius n’est pas même le restaurateur de ces desseins : Meursius, avant lui, avait publié divers traités de cette nature. Voyez M. Teissier, dans sa Bibliothéque des bibliothéques, où il donne la liste des auteurs qui ont exercé leur plume sur ce sujet[7]. Il les appelle Scriptores de Homonymis. Selon M. de Sallo, il faudrait traduire Homonymi par ceux qui portent des noms équivoques ; mais, ne lui en déplaise, ce serait mal traduire. On n’a jamais dit que les princes de même nom, les Charles, les Louis, les Henris, aient eu des noms équivoques. Les noms de cette nature sont ceux qui se peuvent prendre en différens sens ; c’est là leur espèce et leur usage, tant en logique que dans le langage ordinaire.

  1. * Joly dit qu’Allatius avait pris les ordres mineurs.
  1. Mabillon, Musæum Ital., tom. I, p. 61.
  2. Ibidem.
  3. Voyez ce qui sera dit dans l’article de Lancelot, moine Olivetan. [Cet article n’existe pas.]
  4. Mabillon, Musæum Ital., pag. 77.
  5. Journal des Savans, du 19 janvier 1665.
  6. Diog. Laërt. in Epimenide, lib. I, num. 112.
  7. Teisserii Catal. catalogor., pag. 355.