mène[1]. Le même historien observe que Jupiter, en cette rencontre, ne fut point agité de cette passion lascive, qu’il avait tant de fois sentie pour d’autres femmes, et qu’il n’eut pour but que de procréer un illustre enfant. C’est pourquoi il ne le fit point à la hâte, il y mit beaucoup de temps, trois nuits de suite. Nos médecins se moqueraient de cette raison. Je ne sais pourquoi Plaute fit parler ainsi Jupiter à Amphitryon :
Tu cum Alcumenâ uxore antiquam in gratiam
Redi : haud promeruit quamobrem vilio verteres,
Med vi subacta est facere[2] ;
car, puisque Jupiter avait pris la figure
du mari, il n’était pas nécessaire
d’user de force : et nous venons
d’entendre qu’il ne prit cette figure
que parce qu’il ne voulait point employer
la force. Un auteur moderne
s’est servi de cet exemple d’Alcmène,
pour prouver que l’ignorance de bonne
foi disculpe ; et il a cité de très-beaux
vers de Molière[3]. Il y a mille
choses à dire sur cela : c’est un grand
sujet de réflexions. Notez qu’il y a des
gens qui veulent que la pensée de
Plaute soit celle-ci : Alcmène a été
contrainte de me laisser jouir d’elle,
parce que j’ai eu la force de prendre
votre figure. Si cela est, il faut dire que
l’intention de ce poëte a été beaucoup
meilleure que son expression.
(C) Cette nuit-là dura trois fois plus qu’à l’ordinaire. ] On lira peut-être sans dégoût ce vieux gaulois : Jupiter trouva une telle saveur en la dame, qu’il prolongea cette nuit du jour et de l’autre nuit en suivant, ce qui auroit mu Lycophron d’appeler Hercule τρισέσπερος λέων, le lion de trois nuits, comme fait aussi Lucien [4]. On a eu peut-être en vue ces paroles d’Hygin : Qui tam libens cum eâ concubuit, ut unum diem usurparet, duas noctes congeminaret[5]. Le Dialogue de Lucien, où il est parlé de la longue nuit que Jupiter eut d’Alcmène, nous apprend que Mercure alla porter au soleil l’ordre de se tenir en repos pendant trois jours, afin que Jupiter eût le temps qui lui était nécessaire pour produire Hercule, une nuit ne suffisant pas à la production d’un si grand guerrier. Τοῦτον οὖν ἐν μιᾷ νυκτὶ ἀποτελεσθῆναι ἀδύνατον. Igitur unâ nocte absolvi non potest [6]. Il parut que Jupiter n’y épargna pas l’étoffe ; car la pesanteur de l’enfant pensa faire crever la mère :
Tendebat gravitas uterum mihi, quodque ferebam
Tantum erat, ut posses auctorem dicere tecti
Ponderis esse Jovem[7].
Il y a bien des auteurs qui assurent que
cette nuit ne fut pas triplée, mais
doublée seulement[8]. D’autres disent
qu’elle dura neuf fois plus que de
coutume. Saint Jérôme, qui avait pu
lire cela dans les écrits de deux pères
de l’Église[9], ne s’en servit point
pourtant : il s’en tint à la tradition
de la double nuit : In Alcmenæ adulterio
duas noctes Jupiter copulavit.
Jupiter prit alors congé des femmes :
Alcmène fut la dernière des mortelles
avec laquelle il coucha. Niobé avait
été la première ; il y avait en seize
genérations de l’une à l’autre[10] :
telle fut la durée des amours de Jupiter
pour les femmes. Or, comme le
divertissement avec Alcmène était en
ce genre-là le dernier qu’il devait
prendre dans ce monde, n’était-il pas
raisonnable qu’il le fît durer longtemps ?
Alcmène admira la longueur
de cette nuit[11] : elle lui parut donc
longue ; cela lui fait honneur. Aussi
était-elle une très-honnête femme
[12], et qui n’aurait pas mérité, si
elle eût perdu la vue, qu’on eût fait
contre elle un distique tel que celui-ci :
Cum longas noctes Moreta[13] ab amore rogaret,
Favit amor votis, perpetuasque dedit.
- ↑ Diod. Sicul., lib. V, cap. II.
- ↑ Plaut. in Amphitr., act. V, sc. II.
- ↑ Voyez les N. Lettres contre le Calvin. de Maimb., pag. 280, etc.
- ↑ Vigénère, sur Philostr, tom. II, folio 17, édit. in-4.
- ↑ Hygin, cap. XXIX.
- ↑ Lucianus, Dialog. Merc. et Solis. Voyez aussi Diodore de Sicile, liv. V, chap. II.
- ↑ Ovid. Metam., lib. IX, vs. 287.
- ↑ Idem, Amor. lib. I, Eleg. XIII ; Propert. lib. II, Eleg. XXII ; Capella, lib. II, cap. XXXIX.
- ↑ Clem. Alexandr. in Protrept., pag. 20 ; Arnobius, lib. IV, pag. 145, cujus hæc sunt verba : Quis illum in Alcmenâ novem noctibus fecit pervigilâsse continuis ?
- ↑ Diogor. Sicul., lib. V, cap. II.
- ↑ Hygin., cap. XXIX.
- ↑ Voyez la remarque (B).
- ↑ La comtesse de Moret, maîtresse de Henri-le-Grand.