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AFER.

ne se trouvant pas dans une grande élévation, et se sentant beaucoup d’envie de se pousser de quelque manière que ce fût, il se porta pour accusateur contre Claudia Pulchra, cousine d’Agrippine [a]. Il gagna cette cause, et se vit par ce succès au nombre des premiers orateurs, et dans les bonnes grâces de Tibère, qui haïssait mortellement Agrippine (A). Les éloges que son éloquence reçut de cet empereur lui firent prendre goût au métier ; de sorte qu’il n’était guère sans avoir en main quelque accusation ou quelque cause de personne accusée ; ce qui donna plus de réputation à sa langue qu’à sa probité, jusqu’à ce que, même du côté de l’éloquence, il perdit beaucoup de sa gloire, lorsque la vieillesse, lui ayant usé l’esprit [b], ne put néanmoins l’obliger à ne plaider plus (B). L’accusation de Claudia Pulchra tombe sur l’an de Rome 779. L’année d’après, son fils Quintilius Varus fut accusé par le même orateur et par Publius Dolabella[c]. Personne ne s’étonnait qu’Afer, qui avait été long-temps pauvre, et qui n’avait pas bien ménagé le gain de l’accusation précédente, revînt à la charge ; mais on s’étonnait qu’un parent de Varus, d’aussi grande maison que l’était Publius Dolabella, se fût associé à ce délateur. Afer mourut sous l’empire de Néron, l’an de Rome 812[d]. L’on dit que ce fut à table pour avoir trop mangé[e]. Quintilien qui, dans sa jeunesse, s’était fort attaché à lui (C), en parle souvent[f]. Il dit qu’on voyait dans ses plaidoyers plusieurs narrations agréables, et qu’il y avait des recueils publics de ses bons mots dont il rapporte quelques-uns. Il parle aussi des deux livres que cet orateur avait publiés sur les témoins. Bien lui en prit une fois d’avoir l’esprit aussi présent que flatteur, car il eût été perdu sans cela ; ce fut lorsque Caligula devint sa partie [g], et plaida en personne contre lui[h]. Domitius, au lieu de se défendre, se mit à répéter avec des témoignages d’admiration le plaidoyer de ce prince (D), et puis se mit à genoux, et cria merci, en déclarant qu’il redoutait plus l’éloquence de Caligula que sa qualité d’empereur. Non-seulement on lui pardonna, mais aussi on l’éleva au consulat par la destitution de ceux qui étaient alors en charge. Sa faute était bien légère : il avait érigé une statue à Caligula, et marqué dans l’inscription que ce prince était consul pour la seconde fois à l’âge de vingt-sept ans. Il croyait faire sa cour par-là ; mais l’empereur le mit en justice, prétendant qu’il lui reprochait sa jeunesse et l’inobservation des lois[i].

Afer eut des enfans adoptifs. Pline le jeune vous l’apprendra

  1. Taciti Annal., lib. IV, cap. LII.
  2. Nisi quòd ætas extrema multùm etiam eloquentiæ dempsit, dùm fessâ mente retinet silentii impatientiam. Taciti Annal., lib. IV, cap. LII. Voyez dans la remarque (C) le passage du chap. XI du XIIe. livre de Quintilien.
  3. Tacit. Annal., lib. IV, cap. LXVI.
  4. Tacit. Annal., lib. XIV, cap. XIX
  5. Euseb. Chronic., num. 2060.
  6. Quintil., lib. V, cap. VII, et lib. VI, cap. III. Vide etiam Plin. Epist. XIV, lib. II, et ibi Catanæum, pag. 121.
  7. Dio Cassius, lib. LIX, ad annum 792.
  8. Il lut son plaidoyer.
  9. Dio, lib. LIX.