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ABIMELECH.

ce juste-ci emploie tous ses efforts pour que l’acte d’adultère s’accomplisse [1]. On devait attendre, après cela, que le prédicateur censurât le patriarche ; mais, au contraire, on voit qu’il donne de très-grands éloges à son courage et à sa prudence : à son courage, qui lui avait fait surmonter les mouvemens de la jalousie, jusqu’à lui permettre de conseiller de telles choses ; et à sa prudence, qui lui avait montré cet expédient si sûr de se tirer des embarras et des périls qui l’environnaient. Saint Chrysostôme n’oublia pas de représenter vivement la terrible force de la jalousie, afin de faire comprendre le grand courage qui avait surmonté cette passion ; mais, d’autre côté, il releva la prudence d’Abraham, en disant que, comme il vit que Sara était trop belle pour pouvoir échapper à l’incontinence des Égyptiens, soit qu’elle se dit femme, soit qu’elle se dit sœur, il voulut qu’elle se dît sœur, parce qu’il espérait de sauver sa vie par ce moyen. Voyez, s’écrie saint Chrysostôme, avec quelle prudence ce juste imagine un bon moyen de rendre vaines toutes les embûches des Égyptiens. Puis il l’excuse d’avoir consenti à l’adultère de sa femme, sur ce que la mort, qui n’avait pas été encore dépouillée de sa tyrannie, inspirait alors beaucoup de frayeur. Ὁτι οὐτω ἦν καταλυθεῖσα τοῦ ϑανάτου ἡ τυραννὶς, διὰ τοῦτο καὶ τῇ μοιχειᾳ τὴς γυναικός ἁρειται κοινωνῆσαι ὁ δίκαιος και μονονουχι ὑτκρετήσασθαι τῷ μοιχῷ εἰς την τῆς γυναικὸς ύϐριν ἰνα τὸν ϑάνατον διαϕύγῃ[2] : Quia nondùm mortis erat soluta tyrannis, proptereà in adulterium uxoris consentit justus, et quast servit adulterio in mulieris contumeliam ut mortem effugiat. Après cet éloge du mari, il passe aux louanges de la femme, et dit qu’elle accepta de bon cœur la proposition, et qu’elle fit tout ce qu’il fallait pour bien jouer cette comédie [3]. Là-dessus il exhorte les femmes à imiter celle-là, et il s’écrie : Qui n’admirerait cette grande facilité à obéir ? Qui pourrait jamais assez louer Sara de ce qu’après une telle continence, et à son âge, elle a voulu s’exposer à l’adultère, et livrer son corps à des barbares, afin de sauver la vie de son époux[4] ? Je ne pense pas qu’aujourd’hui un prédicateur ôsât manier de la sorte une matière aussi délicate que celle-là : il donnerait trop de prise à la raillerie des profanes ; et je doute fort que les habitans d’Antioche, naturellement médisans, eussent pu ouïr un tel sermon sans s’émanciper à des réflexions malignes. Saint Ambroise n’a pas donné de moindres éloges à la charité de Sara [5], et nous verrons, dans l’article Acindynus (Septimius), que saint Augustin a été presque dans une semblable illusion. C’est une chose étrange que ces grandes lumières de l’Église, avec toute leur vertu et tout leur zèle, aient ignoré qu’il n’est pas permis de sauver sa vie ni celle d’un autre par un crime.

(B) D’une maladie qui le rendit impuissant. ] Pour éteindre l’ardeur de sa convoitise, Dieu lui envoya une grande maladie qui mit à bout toute la science des médecins. Dieu l’avertit en songe de ne rien faire à la femme de cet étranger. Abimelech, se trouvant un peu mieux, quelque temps après déclara à ses amis d’où venait sa maladie, et rendit Sara à Abraham. Voilà comment Josephe conte la chose [6], peu soigneux, à son ordinaire, de se conformer aux narrations de Moïse, ou plutôt assez hardi pour le démentir. Car Moïse ne dit-il pas qu’Abimelech, après le songe, se leva de grand matin, et appela tous ses serviteurs, afin de leur communiquer ce qu’il avait appris en dormant[7] ? Aurait-il pu faire cela, s’il avait été abandonné des médecins ? Josephe sentait bien la difficulté ; mais, pour l’ôter, il suppose hardiment, contre l’autorité de l’Écriture, que ce prince ne communiqua son songe à ses amis

  1. Ὁμέν τοι δίκαιος καὶ σπουδάζει καὶ πάντα ποιεὶ, ὥςε εἰς ἔργον τὴν μοιχείαν ἐκϐῆναι. Chrysost. Homil. XXXII in Genes.
  2. Chrysost. Homil. XXXII in Genes.
  3. Πάντα ποιεῖ ὥςε τὸ δρᾶμα λαθεῖν. Omnia facit ita ut fabula et fictio illa lateant. Id. ib.
  4. Τὶς χατ᾽ ἀξίαν ταύτην ἐπαινέσειεν, ἥτις μετἀ τοσαύτην, καὶ ἐν ἡλικία τοιαύτῃ ὑπὲρ τοῦ τὸν δἰκαιον διασῶσαι, ὁσον ἑἰς τὴν οἰκείαν γνώμην καὶ εἰς μοιχείαν ἐαυτὴν ἐξέδωκεν, καὶ συνουσίας ἠνέσχετο βαρϐαρικῆς. Id. ib.
  5. Ambr. de Abrah., lib. I, cap. II.
  6. Joseph. Antiq., lib. I, cap. XI.
  7. Genèse, chap. XX, v. 8.