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ABÉLARD.

avaient été extraites des livres de Pierre Abélard, et cette lecture fit tant de peur à l’accusé, qu’il interjeta appel au pape. Le concile ne laissa pas de condamner les propositions[a] ; mais il n’ordonna rien contre la personne accusée, et rendit compte de tout au pape Innocent II, en le priant de confirmer la condamnation. Le pape n’y manqua pas [b] : il ordonna que les livres d’Abélard fussent brûlés, et qu’on l’enfermât, et lui défendit de plus enseigner. Il s’apaisa quelque temps après, à la sollicitation de Pierre le Vénérable, qui avait reçu fort humainement cet hérétique dans son abbaye de Cluny, et qui l’avait même réconcilié avec saint Bernard[c], le promoteur de l’oppression (V) que l’innocence avait soufferte dans ce concile. La retraite de Cluny fut la dernière dont Abélard eut besoin. Il y trouva toute sorte de charité ; il y fit des leçons aux moines ; il y fut également humble et laborieux. Enfin, étant devenu infirme, persécuté de la gale[d] et de plusieurs autres incommodités, on l’envoya dans le prieuré de Saint-Marcel, lieu très-agréable, sur la Saône, auprès de Châlons. Il y mourut le 21 d’avril 1142 (X), à l’âge de 63 ans. Son corps fut envoyé à Héloïse (Y), qui le fit enterrer au Paraclet[e]. Nous parlons de ses écrits dans l’article de François d’Amboise ; et pour ce qui est de ses erreurs et de ses persécutions synodales, nous en toucherons quelque chose dans l’article de Bérenger de Poitiers. Il est remarquable qu’il ne se fit nul scrupule de son mariage, quoiqu’il fût dans la cléricature et possesseur d’un canonicat[f]. J’ai été surpris de voir qu’il ne fait aucune mention de son maître [g] Roscelin (Z), qui passait en ce temps-là pour un subtil logicien, et que l’on regarde comme le fondateur de la secte des nominaux. Il a eu de l’attachement lui aussi pour cette secte, qu’il trouva très-propre à la vivacité de son esprit pénétrant, aigu et inventif[h]. Il effrayait les gens par le moyen de cette science, et les foudroyait et terrassait par tant de sortes d’ergoteries et de syllogismes qu’il ne les rendait pas moins étonnés que confus. Je ne crois pas qu’il se soit jamais mêlé de l’explication du droit civil (AA), comme quelques-uns le prétendent. On verra dans la dernière remarque le catalogue des erreurs de M. Moréri (BB). Vous trouverez dans un ouvrage du père Jacob[i] une longue liste d’auteurs qui ont parlé d’Abélard[* 1].

  1. * Depuis la mort de Bayle, D. Gervaise a publié la Vie de Pierre Abélard et celle d’Héloïse, son épouse, 1720, 2 vol. in-12. Joly, sur la foi des journalistes de Trévoux, dit que ce n’est qu’un panégyrique perpétuel.
  1. Voyez la Vie de saint Bernard, par Geoffroi, moine de Clairvaux, livre III, chap. V, et la lettre CLXXXIX de saint Bernard. Elle est insérée dans les Œuvres d’Abélard, pag. 272.
  2. Voyez la lettre CXCIV de saint Bernard et les Œuvres d’Abélard, pag. 301.
  3. Voyez la lettre de cet abbé à Innocent II, dans les Œuvres d’Abélard, p. 335.
  4. Plus solitò scabie et quibusdam corporis incommoditatibus gravabatur. Abælardi Oper. pag. 341.
  5. Voyez la lettre de Pierre le Vénérable à Héloïse, dans les Œuvres d’Abélard, p. 337.
  6. Quid te clericum atque canonicum facere oportet. Abælardi Epist. I, pag. 16.
  7. Otho Frising. de Gest. Frid., libr. I, cap. XLVII. Aventini Annal. Bojor., lib. VI.
  8. Naudé, add. à l’Hist. de Louis XI, p. 160.
  9. C’est celui De claris Scriptoribus cabilonensibus, pag. 143.