Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Amboise 1


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AMBOISE (François d’), Parisien, mérite une place parmi les personnes que la profession des lettres a élevées aux honneurs du monde. Il était fils d’un chirurgien de Charles IX, et il fut entretenu, par la libéralité de ce prince, au collége de Navarre, pendant ses études de rhétorique, et pendant celles de philosophie. Il enseigna ensuite dans ce collége ; car on trouve, qu’en 1572, il avait déjà régenté la seconde classe pendant quatre ans. On le fit alors procureur de la nation de France. Il s’attacha depuis au droit, et devint fort bon avocat au parlement de Paris ; après quoi, il eut une charge de conseiller au parlement de Bretagne ; et enfin, il fut maîtres des requêtes[a] et conseiller d’état[b]. Il voyagea en divers païs loingtains (A). Il publia, pendant sa jeunesse, quantité de vers français, et quelques pièces latines, qui sans doute ne lui semblaient pas des endroits fort honorables[* 1], quand il se vit élevé aux dignités ; car ces sortes d’ouvrages sentent un homme qui court après les matières du temps, et qui envoie ses muses à la quête de part et d’autre, tantôt par des complimens de condoléance, tantôt par des félicitations ; un homme, en un mot, qui aurait été pourvu en titre d’office de la charge de porteur des complimens du Parnasse chez les grands seigneurs. On verra ci-dessous les titres de quelques ouvrages de François d’Amboise (B). Ils doivent, ce me semble, moins contribuer à l’immortalité de son nom, que la peine qu’il a prise de recueillir les manuscrits de Pierre Abélard (C), et d’y joindre une Préface Apologétique, qui se voit à la tête de l’édition de l’an 1616 (D). Cette préface m’apprend une chose que je n’avais point trouvée dans l’histoire du collége de Navarre : savoir, qu’il a publié un petit Traité du Concile[* 2], et une Préface sur l’Histoire de Grégoire de Tours (E), dans laquelle il justifie cet historien contre les accusations de Flacius Illyricus, et l’abandonne sur le sujet des deux Denys, l’Aréopagite, et celui de Corinthe[* 3]. Il tient son rang, sous le faux nom de Thierry de Timophile, dans la liste des auteurs déguisés, que M. Baillet a publiée.

J’ai une addition à donner touchant l’édition des Œuvres de Pierre Abélard, ordinairement attribuée à notre François d’Amboise (F).

  1. * Leclerc dit, au contraire, que Fr. d’Amboise se fit toujours honneur de sa profession d’homme de lettres ; et c’est ce que confirme Joly.
  2. * Cet opuscule est, dit Leclerc, intitulé : l’Impossibilité du Concile, tel qu’il a été demandé par requête au roi, et des Inconvéniens qui en pourraient arriver. Paris (1608), in-8°. de 63 pages, réimprimé à Lyon, 1608, in-12.
  3. * Leclerc dit qu’au lieu de Corinthe il fallait mettre Paris ; et que d’Amboise soutient que le premier évêque de Paris est saint Denis l’aréopagite.
  1. Ex Michael. Thurioti Laudatione Hadriani Amboesii. Vide pag. 356, 799 et 800, Historiæ Gymnasii Navarræ Joan. Launoii.
  2. Dans l’édition des Œuvres d’Abélard, il a le titre d’Equitis, Regis in sanctiore Consistorio Consiliarii, Baronis Chartræ, etc.

(A) Il voyagea en divers païs loingtains [1]. ] Du Verdier Vau-Privas remarque que François d’Amboise feit a Warsosie une Description du royaume de Pologne, lorsque monseigneur Henry, duc d’Anjou, à présent roy de france, fut esleu roy de Pologne [2]. Voilà l’un de ses voyages. On ne saurait déterminer par les paroles que j’ai citées, s’il le fit à la suite du nouveau roi, où s’il se trouva en Pologne lorsqu’on y fit l’élection du duc d’Anjou. Ce dernier sens serait le seul qu’il faudrait donner à ces paroles, si du Verdier Vau-Privas eût eu la coutume d’écrire très-exactement.

Voyez le Traité des Devises de François d’Amboise, où l’on trouve[3] qu’au temps de cette élection il était en ce pays-là chez l’évêque de Valence.

Ce Traité des Devises est posthume. Il fut imprimé à Paris, l’an 1620[* 1], par Adrien d’Amboise, fils de l’auteur. Ce fils publia l’année suivante, à Paris, un petit Traité de sa façon, intitulé Devises morales.

(B) On verra ci-dessous les titres de quelques-uns de ses ouvrages. ] Les voici : Élégie sur le trespas d’Anne de Montmorency, pair et connétable de France, avec un panégyrique latin et ode françoise sur le désastre de la France en 1568[4]. Panégyrique sur le mariage de monsieur le duc de Guise, Henry de Lorraine, et de madame Catherine de Clèves, comtesse d’Eu, en 1570[5]. Le Tombeau de Messire Gilles Bourdin, procureur général du roi en sa cour de parlement à Paris, tant en trois sonnets, une élégie traduite du latin d’Antoine Valet, qu’en hendécasyllabes latins, en 1570[6]. Les Amours de Clion, où se voit un poëme intitulé, les Désespérades, où Eglogues amoureuses, en 1572[7]. Amours Comiques, contenant plusieurs histoires facétieuses, et entre autres celle qu’il nomme les Néapolitaines en 1584. Ces Néapolitaines étaient la traduction d’une comédie italienne. Il se nomme à la tête de cette version, Thierry de Timophile, G Picard ; et prit aussi le même masque à la tête des Regrets funèbres de quelques animaux, qu’il traduisit de l’italien en 1576, et à la tête du Dialogue et Devis des Damoiselles, qu’il publia l’an 1583. La Croix du Maine, qui m’apprend cela, dit que cet auteur avoit connoissance de beaucoup de langues, et qu’il avoit publié plusieurs ouvrages en langue latine. Son recueil de Devises fut publié à Paris après sa mort, l’an 1620.

(C) Il a recueilli les manuscrits de Pierre Abélard. ] Il fit ses diligences là-dessus d’une manière à mériter la gratitude du public : c’est à ses soins que nous devons une fort bonne édition des écrits de ce fameux dialecticien. Elle comprend, 1°. les lettres qu’Abélard et Héloïse s’écrivirent, qui sont précédées de la relation qu’il fit lui-même de ses infortunes ; 2°. les lettres qu’il écrivit à quelques autres personnes, et celles que saint Bernard, l’abbé de Clugni, etc., écrivirent au sujet de ses erreurs, ou de sa condamnation, ou de sa mort, avec quelques traités qu’un de ses disciples publia pour lui ; 3°. quelques traités dogmatiques d’Abélard, comme l’Exposition de la Prière Dominicale, celle du Symbole des apôtres, celle du Symbole de saint Athanase, la Réponse à quelques questions d’Héloise, un Commentaire sur l’Épître de saint Paul aux Romains ; 4°. plusieurs Sermons sur les principales fêtes ; 5°. une Introduction à la Théologie, où se trouve son livre sur la Trinité ; 6°. de savantes notes d’André du Chesne sur l’histoire des calamités d’Abélard. Il y a encore quelques ouvrages de cet auteur, qui ne sont pas imprimés. On en peut voir les titres dans le Supplément du père Oudin[8], avec les bibliothéques où ils se trouvent : François d’Amboise a fait traduire en notre langue les règles qu’Abélard avait marquées aux religieuses du Paraclet. Sa préface apologétique a déplu à bien des gens, et quelques-uns ont débité qu’elle fut cause de ce que l’on fit à Rome contre l’ouvrage qu’il publia. Et ce que depuis naguères les Œuvres de cet Abajelard, ayants été imprimez, ils auroient passé par l’indice expurgatoire de Rome, je crois que la faulte n’en doibt tant estre imputée à l’auteur qu’à celui qui auroit fait la préface ; en laquelle, au lieu d’avertir le lecteur d’estre sobre en la lecture de tels et tels passages d’Abajelard, il se seroit ingéré de le vouloir deffendre : et de là le désordre. C’est ainsi que parle l’auteur des Antiquités de Melun, avocat au parlement de Paris[9]. On ne peut pas dire dans la bonne exactitude qu’il ait fait la Vie de Pierre Abélard[10] : il n’a donné qu’un court récit des principales aventures de ce personnage. Ce récit contient un assez bon nombre d’erreurs : ce n’est pas ici le lieu de les critiquer ; mais, sans sortir du véritable sujet de cette remarque, je puis fort bien dire que François d’Amboise n’a pas procuré à Pierre Abélard toute la gloire qu’il croyait lui procurer par l’édition de ses Œuvres. Le public n’a point trouvé dans les écrits de cet auteur cette grande subtilité, cette grande force qui le rendirent si célèbre durant sa vie. Écoutons encore une fois Sébastien Roulliard : Quant aux escripts de cet Abajelard, dit-il[11], certainement ils ne m’ont semblé remplir la capacité ni correspondre à la grandeur des titres et éloges à lui donnez par tant d’insignes autheurs. Et partant me suis-je persuadé que l’excellence de cet homme gisoit en un esprit præsent, en un discours facond et fæcond, et en la force d’un génie philosophique qui le rendoit redoutable et invincible en toutes sortes de disputes. Comme on ha veu de nos jours deux ou trois personnages avoir aquis grande estime par aucunes de ces perfections ; et néanmoins ce qu’ils ont fait imprimer de leurs escripts s’est trouvé beaucoup inférieur à ce que chascun en auroit attendu.

(D) Il a mis unc préface apologétique aux Œuvres d’Abélard de l’édition de l’an 1616. ] La commodité des chiffres a ses incommodités. Les imprimeurs y font mille fautes que les correcteurs n’aperçoivent pas, et cela multiplie furieusement les êtres sans nécessité. Nous en avons ici un exemple. Quelques-uns mettent cette édition d’Abélard en l’année 1606[12], et quelques autres en l’an 1626[13]. Ne doutez point que cela ne fasse dire à plusieurs auteurs, que les Œuvres d’Abélard ont été imprimées trois fois dans l’espace de vingt ans ; et comme quelques-uns disent qu’on les imprima in-folio l’an 1616[14], c’est un nouveau moyen de multiplier les éditions sans nécessité.

(E) Il a publié une préface sur l’Histoire de Grégoire de Tours. ] Je ne doute point que ce ne soit celle dont M. l’abbé de Marolles a parlé ainsi [15] : Son Histoire des François (il s’agit de Grégoire de Tours), qui est le plus beau de ses ouvrages, fut autrefois traduite par Claude Bonnet, gentilhomme du Dauphiné[16], qui se qualifioit docteur en droit civil et canon, sur laquelle M. Hemery d’Amboise, maistre des requestes, a fait une assez longue Préface adressée à madame Henriette de Balzac, marquise de Verneuil, et fut imprimée à Paris, in-8°., chez Claude de la Tour, en 1610[* 2].

(F) J’ai une addition à donner touchant l’édition des Œuvres de Pierre Abélard, ordinairement attribuée à notre F. d’Amboise. ] Cette remarque n’est point de mon crû, et je la donne dans les propres termes de celui qui me l’a fournie[17]. « Il y a des exemplaires des Œuvres d’Abélard qui portent à la tête le nom de M. d’Amboise ; mais on en trouve d’autres où l’on voit celui d’André du Chesne, avec ce titre : Petri Abælardi, Sancti Gildasii in Brittanniâ Abbatis, et Heloïssæ conjugis ejus, quæ postmodum prima Cœnobii Paraclitensis Abbatissa fuit, opera, nunc primùm eruta ex MMss. Codd. et un lucem edita studio ac diligentiâ Andreæ Quercetani, Turonensis. Parisiis, Nic. Buon, 1616, in-4°. Il y a beaucoup d’apparence que c’est véritablement à ce célèbre Tourangeau que nous devons cette édition. Dans l’abrégé du privilége qui est au commencement de l’exemplaire qui porte le nom de du Chesne, on n’a pas manqué d’y dire que ces Œuvres étaient imprimées par les soins d’André du Chesne, edita studio Andreæ Quercetani ; au lieu que dans l’exemplaire qui a le nom d’Amboise, le privilége ne dit pas un mot de celui qui a pris soin de recueillir ces Œuvres. Ainsi, s’il était permis de conjecturer, on pourrait croire que par quelque motif secret et qu’on n’a pas jugé à propos de transmettre à la postérité, du Chesne aurait cédé la gloire de son ouvrage à M. d’Amboise, qui était alors en état de reconnaître un sacrifice de cette nature. Quoi qu’il en soit, les deux exemplaires de du Chesne et d’Amboise que j’ai vus ne sont pas semblables en tout : par exemple, celui de du Chesnc commence par une épître dédicatoire adressée à M. Benjamin de Brichanteau, évêque de Laon, et abbé de Sainte-Geneviève. Cette épître manque dans la prétendue édition de M. d’Amboise, aussi-bien que la Préface que du Chesne ajouta, où, après avoir dit en général qui étaient Abélard et Héloïse, il rend compte de ce qu’il a fait pour rendre l’édition de ce célèbre dialecticien la meilleure qu’il a pu : il parle honorablement de tous ceux qui l’ont aidé de leurs manuscrits, et avoue devoir à M. d’Amboise les lettres et quelques autres petites pièces. Après cette préface, suivent les Testimonia Veterum de Abælardo et Heloissâ, qui manquent aussi dans l’exemplaire de M. d’Amboise. De son côté, l’édition de ce conseiller d’état a une préface apologétique pour Abélard, qui manque dans l’édition de du Chesne. Pour le reste, tout est semblable, et ces deux exemplaires se répondent page pour page. Il ne sera peut-être pas inutile d’avertir le public de ce double titre, de peur qu’un jour il ne soit cause qu’on augmente encore le nombre des éditions d’Abélard, comme on l’a déjà remarqué[* 3]. »

  1. * Joly remarque que c’est par faute d’impression que les Mémoires de Nicéron disent 1626.
  2. * Réimprimé, dit Leclerc, sous le titre de Traité ou Discours sur l’Histoire Sacrée de saint Grégoire, 1614.
  3. * « Il n’y a peut-être, dit Joly, aucun fait littéraire plus difficile à débrouiller que celui-ci.... J’avoue que je ne comprends pas pourquoi une partie des exemplaires porte le nom d’Amboise, et l’autre celui de du Chesne. Peut-être chacun d’eux se persuadait-il que l’Abélard verrait le jour sous son nom seul.... L’édition étant prête à paraître, ils ne purent apparemment s’accorder ; et, au lieu de convenir qu’elle porterait le nom de l’un et de d’autre, ils convinrent mal à propos qu’une partie des exemplaires porterait le nom d’Amboise, et l’autre celui de du Chesne. »
  1. La Croix du Maine, Biblioth. Française, pag. 86
  2. Du Verdier, Biblioth. Française, p. 365.
  3. À la page 42.
  4. Du Verdier, Biblioth. Franç., pag. 365.
  5. La Croix du Maine, Biblioth. Française, pag. 87.
  6. Du Verdier, Bibliothéque Française, p. 365.
  7. La Croix du Maine, Biblioth. Française, pag. 87.
  8. Pag. 413.
  9. Sebast. Roulliard, pag. 350. Son livre fut imprimé à Paris, l’an 1628, in-4°.
  10. On le dit pourtant dans le Catalogus Autorum Catalogorum, etc. de M. Teissier, p. 290.
  11. Hist. de Melun, pag. 348.
  12. Launoius, Hist. Gymnasii Navarræ, p. 801.
  13. Le P. Oudin, Supplementi de Script. Ecclesiast., pag. 413.
  14. Spizelius, Specim. Biblioth. univers Konig. Bibl. vet. et nova ; Christoph. Hendreich, dans les premières feuilles de Pandectar. Brandenburg.
  15. Préface sur Grégoire de Tours.
  16. Il n’est point dans la Bibliothéque de Dauphiné du sieur Allard. [ Chalvet, qui a donné en 1797 une nouvelle édition de cette Bibliothéque, n’a consacré que deux lignes à ce Bonnet. ]
  17. Mémoire manuscrit, communiqué par M. Lancelot, l’un des sous-bibliothécaires de la bibliothéque Mazarine à Paris.

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