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ZIA.

suum, sed illud antevertunt priusquàm vel imbecillitas accedat, vel parte aliquâ manci far, ita ut hi quidem papavere, illi verò cicutâ sibi ipsis vitam eripiant [1]. Quant à Élien, il affirme que ceux qui se sentaient incapables, à cause de leur décrépitude, de rendre quelque service au public, s’assemblaient en un festin, et avalaient de la ciguë. Νόμος ἐςὶ Κείων, οἱ πάνυ παρ᾽ αὐτοῖς γεγηρακότες, ὥσπερ ἐπὶ ξένιᾳ παρακαλουντος ἑαυτοὺς, ἢ επί τινα ἑορταςικὴν θυσίαν ἀνελθόντες, καὶ ςεϕανωσάμενοι, πίνουσι κώνειον, ὅταν ἑαυτοῖς συνειδῶσιν, ὅτι πρὸς τὰ ἔργα τὰ τῇ πατρίδι λυσιτελοῦντα ἄχρηςοί εἰσιν, ὑποληρούσης ἤδη τι αὐτοῖς καὶ τῆς γνώμης διὰ τὸν χρόνον. Consuetudo est apud Ceos, ut ii, qui senio planè confecti sunt, tanquam ad convivium se mutuò invitent, aut ad quoddam solenne sacrificium conveniant, et coronati cicutam bibant : quum sibi ipsis conscii sunt, se ad promovenda commoda patriæ inutiles ampliùs esse, animo jam ob ætatem delirare incipiente [2]. Pinédo [3], Kuhnius [4], et Berkélius [5], approuvent la correction de Casaubon, et il n’y a point lieu de douter qu’elle ne soit bonne. Scaliger [6] citant le passage de Strabon a mis κωνιάζεσθας et non pas κονεάζεσθας. Voici une autre conjecture de Casaubon : il croit qu’Étienne de Bysance [7], qui a rapporté la même chose que Strabon, mais de telle sorte qu’au lieu de dire que les vieillards avalaient de la ciguë il a dit qu’ils se battaient en duel, ἀγωνίζεσθαι in certamine dimicare, se servit d’un exemplaire de Strabon où on lisait κονίεσθαι ou κονίζεσθαι in arenam descendere, et non pas κονίαζεσθαι. Berkélius a rejeté cette conjecture, sous prétexte qu’elle est contraire à la pratique des vieillards de Céos, et au témoignage des historiens [8] ; mais il n’a nullement compris la pensée de Casaubon : il s’est figuré qu’on supposait que ce mot-là pouvait être celui de Strabon, et il fallait croire qu’on supposait que l’exemplaire de Stéphanus Bysantin était corrompu. M. Kuhnius avance une autre conjecture, c’est qu’on avait lu dans Strabon ἀκονίζεσθαι, boire de l’aconit [9]. Le changement de ce mot-là en celui, ἀγωνίζεσθαι a été facile. Pighius avait déjà dit que l’on devait corriger de cette sorte le texte de Stéphanus [10].

Il reste à examiner si cette pratique des vieillards de Céa était fondée sur une ordonnance de l’état, ou simplement sur une de ces coutumes qui, étant une fois liées à des notions de grandeur d’âme, s’observent presque aussi exactement que les ordonnances. Nous avons vu que Strabon s’est imaginé qu’il y avait un édit selon lequel il fallait que l’on se donnât la mort dès que l’on avait plus de soixante ans. Il y a beaucoup d’apparence qu’il se trompe ; car puisque l’air de cette île était fort sain, et que les gens y vivaient beaucoup [11], on se fût privé de plusieurs sujets robustes, et capables de servir encore la patrie, si l’on eût contraint, par l’autorité des lois, à s’empoisonner tous ceux qui avaient soixante et un ans. Et prenez garde que les termes d’Héraclide insinuent beaucoup plutôt une coutume volontaire qu’une loi qui obligeât. Prenez garde aussi que les termes d’Élien désignent très-clairement les personnes décrépites, et non pas tous ceux qui avaient atteint l’année soixante-unième. Tout cela est propre à bien réfuter l’opinion de Strabon. Que si elle était véritable, nous pourrions du moins prouver que cet édit de l’île de Céa ne subsistait plus au temps de Tibère. La preuve que Va-

  1. {{ancre|ancrage_Zia-(9)Heraclides, de Politiis, page m. 20. Notez que Berkélius, in Stephanum Byzantinum, page 421, a supposé faussement qu’Héraclides dit que femmes étaient principalement obligées à exécuter la loi.
  2. Ælian., Var. Histor., lib. III, c. XXXVII.
  3. In Steph. Byzant., page 332.
  4. In Ælian., lib. III, cap. XXXVII.
  5. In Steph. Byzant., page 421.
  6. Scaliger, in Varronem. de Ling. lat., lib. VI, page m. 118.
  7. Steph. Byzantin., voce Ἰουλις
  8. Hæc quangnam speciosa videntur, minimè approbanda judico, cum antiquo ritui et historiæ planè sint contraria. Berkelius, in Stephan. Byzant., page 421.
  9. Kuhnius, in Ælian., lib. III, c. XXXVII, pag. 233.
  10. Pighius, in Valerium Maximum, lib. II, cap. VI.
  11. Voyez la citation d’Héraclide, ci-dessus, num. (9).