Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
353
SUR LES OBSCÉNITÉS.

faudra prendre à sa propre corruption. Ne sont-ce pas des choses que je fais voir comme criminelles ?

C’est ce que j’avais à dire sur la première des deux questions qu’il me fallait discuter. J’espère que l’on verra clairement toute la force de ma justification, et qu’on tombera d’accord que s’il y a dans mon dictionnaire quelque obscénité digne de censure, elle ne sort pas des expressions que j’emploie, quand je parle de mon chef. Voyons maintenant si elle consiste dans les choses mêmes ; soit que j’aie rapporté les propres paroles des autres auteurs, soit que je n’aie fait qu’en donner le sens. C’est la seconde question que j’ai entrepris de discuter.

On ne peut prendre l’affirmative sur cette question sans établir cette hypothèse : 1°. qu’un historien est obligé de supprimer toutes les actions impures qui se rencontrent, ou dans la vie des princes, ou dans la vie des particuliers ; 2°. qu’un moraliste qui condamne l’impureté ne doit jamais spécifier aucune chose qui offense la pudeur. Les puristes dont j’ai tant parlé ci-dessus doivent nécessairement embrasser cette hypothèse, et il est certain qu’on a vu toujours beaucoup de gens qui ont condamné les histoires et les invectives, où les désordres de l’impudicité paraissent sous des images affreuses.

Si nos puristes veulent éviter le blâme de raisonner inconséquemment, et de quitter aujourd’hui les maximes où ils reviendront dès demain, il faut qu’ils admettent toute l’hypothèse que j’ai marquée. Ils doivent dire, 1°. qu’un historien doit observer simplement que Charlemagne, et les deux Jeannes de Naples, et Henri quatrième ; n’ont pas été chastes ; 2°. qu’un prédicateur, et un directeur, et tout autre homme qui souhaite la réformation des mœurs, doit censurer simplement et en général les désordres impudiques. J’ai cité [1] un auteur qui condamne perpétuellement l’historien Mézerai d’avoir fait mention de certains faits particuliers qui blessent les chastes oreilles. Il le condamne nommément sur le chapitre de Marguerite de Valois, première femme de Henri le Grand.

Il y a eu de cette espèce de puristes dans tous les siècles ; mais toujours aussi il y a eu de très-grands auteurs qui se sont moqués ou des scrupules ou des fantaisies de ces gens-là, de sorte que la république des lettres a toujours été divisée en deux partis là-dessus : chacun a eu ses autorités et ses raisons ; chacun a répondu et chacun a objecté, et jamais aucun tribunal suprême n’a défini ce qu’il fallait suivre. C’est ce qui me dispense d’un long examen : je trouve là une voie courte de me tirer pleinement d’affaire. Car si ceux qui ont méprisé les maximes des puristes ont toujours fait un parti considérable dans la république des lettres, s’ils ont toujours maintenu leurs droits, s’il n’y a point eu de décision sur ce différent, il est permis à chaque particulier d’embrasser leur secte, et de croire que pour le moins il est probable qu’elle est bonne.

  1. Voyez ci-dessus les cit. (44), (45).