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SUR LES OBSCÉNITÉS.

des ordures, son doyen et ses collègues ne s’assemblèrent point en chapitre afin de lui infliger pour le moins la plus légère de toutes les peines, qui est celle d’être admonesté ?

Ne nous étonnons donc point que la faction opposée à ceux qui condamnent les obscénités se soit toujours maintenue dans la république des lettres ; car outre qu’elle cite des raisons, elle se couvre de l’autorité de plusieurs exemples. Vous trouverez ces deux sortes de batteries dans les prolégomènes du Pétrone de Goldast. Tous ceux qui ont fait l’apologie des auteurs qui en qualité de physiciens, ou en qualité de casuistes, avancent des choses obscènes [1], ont opposé raisons à raisons, et autorités à autorités. Les grands noms, et les témoignages les plus graves, ne leur manquent pas,

......magnos se judice quisque tuetur [2].


Mais n’allez pas vous imaginer, je vous prie, que je veuille mettre de l’égalité entre leurs raisons et celles de leurs adversaires. J’ai assez déclaré en divers endroits que je condamne pleinement les impuretés de Catulle et celles de ses imitateurs, et les excès des casuistes ; et j’ajoute ici que les raisons de ceux qui plaident pour la liberté d’insérer des obscénités dans une épigramme me semblent très-faibles en comparaison des argumens qui les combattent [3]. J’ajoute aussi qu’une obscénité moins grossière, destinée seulement à plaisanter, me paraît plus condamnable qu’une invective très-obscène destinée à inspirer de l’horreur pour l’impureté. Et quant aux obscénités du théâtre, je serais fort d’avis que les magistrats les châtiassent rigoureusement. Elles ne peuvent être qu’une école de corruption, et appartiennent à la première classe plutôt qu’aux sept classes qui la suivent, et qui sont ici le sujet de mes remarques préliminaires. J’en ai encore une à proposer.

IV. Car je dis, en troisième lieu, que l’on sortirait de l’état de la question, si l’on alléguait aux écrivains de ces sept classes qu’ils feraient mieux de ne s’attacher qu’à des matières sérieuses, à les traiter avec toute la pudeur que l’Évangile demande. Cet avertissement, très-bon en lui-même, n’est pas ici à propos, puisque ces gens-là pourraient répondre qu’il ne s’agit pas de savoir s’ils ont choisi la bonne part, et si l’usage qu’ils ont fait de leur loisir et de leur plume est le meilleur qu’on en puisse faire, mais qu’il s’agit uniquement de savoir s’ils ont pris une liberté condamnée sous peine de flétrissure par les statuts de la république des lettres, par les règlemens de la police civile, et par les lois de l’état. Ils conviendraient sans peine qu’ils ne pourraient éviter la condamnation, s’ils étaient jugés selon les règles de l’Évangile ; mais ils

  1. Voyez ci-dessus la rem. (D) de l’article Albert le Grand, tom. I, pag. 360 ; et la rem. (C) de l’article Sanchez (Thomas), tom. XIII, pag. 70.
  2. Lucan. Phars., lib. I, vs. 127.
  3. On peut comparer ensemble les raisons du pour et du contre, si on lit le père Vavasseur, au livre de Epigrammate, chap. II, qui a pour titre : de Obscenitate in Epigrammate vitandâ.