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SUITE DES RÉFLEXIONS

toutes les règles du raisonnement, par une passion furieuse. Je ne demande que des juges équitables, ils ne trouveront jamais que l’on donne atteinte à l’autorité de l’inspiration, lorsqu’on remarque des défauts dans la personne inspirée. Nous convenons tous que l’adultère et l’homicide n’ont point empêché que David n’ait été prophète. Saint Paul n’a pas craint qu’en nous donnant une forte idée des infirmités du vieil homme qui le faisaient soupirer, et qui demandèrent un remède très-violent, il affaiblirait l’efficace de ses écrits. Mais c’est une matière qu’on ne peut traiter en peu de paroles. Revenons à l’anonyme, et à ses menaces de l’excommunication.

XXXIII. Les tribunaux ecclésiastiques ont-ils jamais procédé contre les traducteurs des Nouvelles de Boccace, contre d’Ouville, contre La Fontaine ? J’allègue ces exemples comme un argument du plus au moins ; car personne n’oserait dire que j’aie approché de la licence de ces gens-là. Les impuretés horribles de leurs écrits, qui ont fait condamner au feu, par sentence du Châtelet de Paris, les Contes de La Fontaine [1], sont en quelque sorte leurs inventions : et pour moi, je n’ai fait que copier ce qui se trouve dans des livres historiques connus de toute la terre, et j’y ai joint presque toujours une marque de condamnation : je n’en ai parlé que comme de choses qui témoignent le déréglement extrême de l’homme, et qui doivent faire déplorer sa corruption. Il n’y a guère de commentateur dont le sérieux puisse tenir contre les pièces qui se trouvent dans les Œuvres d’Abélard, ou contre la simplicité que l’on impute au bon Robert d’Arbrisselles. Voilà bien de quoi crier, si j’ai plaisanté sur de telles choses, c’est-à-dire, si je les ai censurées en les tournant en ridicule ? Vous m’allez dire que je n’allègue que des exemples de la tolérance de la communion de Rome : mais ne peut-on pas vous répondre que c’est l’argument du plus au moins ? N’avez-vous pas crié mille et mille fois contre son gouvernement tyrannique ? Si cela ne vous satisfait pas, prenons la chose d’un autre biais.

XXXIV. Nos pères censurèrent-ils Ambroise Paré, dont les livres français d’anatomie sont remplis d’ordures ? Censurèrent-ils les écrivains qui publièrent en phrases choquantes les déréglemens impudiques de la cour de Charles IX et de Henri III ? Censurèrent-ils d’Aubigné, dont la plume fut non-seulement fort satirique, mais aussi très-sale ? Censurèrent-ils Henri Étienne pour avoir publié tant de sots contes gras et burlesques dans son Apologie d’Hérodote ? En ce pays-ci, Sainte-Aldegonde n’a-t-il point mis dans un ouvrage de controverse toutes sortes de quolibets, et beaucoup de termes gras ? A-t-on censuré cela ? Les commentaires de Scaliger sur les Priapées, ceux de Douza sur Pétrone, remplis de doctrines sales et lascives, ont-ils fait des affaires à leurs auteurs, l’un professeur dans l’académie de Leyde, l’autre cu-

  1. Voyez ci-dessous la cit. (10) de l’Éclaircissement sur les obscénités.