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SUR LE JOUR.

tence d’excommunication, ou même d’annihilation,

Que ce jour soit rayé des choses avenues,
Jupiter le commande aux trois filles chenues
Qui tiennent registre des temps [a].

N’allons pas si vite. Le hasard peut faire, sans le secours d’un ordre divin ou humain, et sans qu’on casse aucune journée, que deux pays contigus diffèrent de vingt-quatre heures quant au commencement du jour civil. Il ne faut pour cela que deux vaisseaux qui, en faisant le tour du globe, l’un par l’orient, l’autre par l’occident, se rencontrent, par exemple, à moitié chemin. Supposez que leur équipage s’établisse dans une île, l’un d’un côté, l’autre de l’autre, et que chacun garde sa façon de compter les jours ; le dimanche commencera d’un côté, lorsqu’au delà du point de partage on ne sera qu’au commencement du samedi. C’est ce que les Portugais et les Espagnols ont éprouvé vers le Japon.

VIII. Putéanus s’est mal exprimé en disant que ceux qui font le tour par l’orient perdent un jour.

Or, puisque ceux qui font le tour de la terre par l’orient se croient être au samedi lorsqu’on ne compte que le vendredi dans la ville où ils retournent ; et puisque ceux qui font le tour par l’occident ne comptent que le vendredi lorsqu’ils trouvent qu’à leur patrie l’on est déjà au samedi, il est clair que ceux-là gagnent un jour, et que ceux-ci en perdent un autre. Cependant il y a eu des écrivains qui ont tellement brouillé leurs idées sur ce sujet, qu’ils ont imputé la perte aux premiers, et le gain aux derniers. C’est ce que fit Érycius Putéanus [b]. Michalor, son critique, n’eut garde de ne l’en reprendre pas, et la suite de cette censure fut que Putéanus, qui pouvait aisément sortir d’affaire en avouant de bonne foi qu’il s’était servi de termes impropres, s’opiniâtra à soutenir son expression. N’eût-il pas bien mieux valu confesser de bonne grâce sa faute, puisque la dispute ne roulait que sur des mots ? Mais quoi ! après tant d’années de profession dans la chaire de Juste-Lipse, après tant de livres donnés au public, avouer qu’on a mal parlé ! à Dieu ne plaise ; ce serait faire tort au rang. Il aima donc mieux recourir à toutes les chicanes que son esprit et sa lecture lui suggérèrent, que de passer condamnation. Mal lui en prit : son adversaire, revenant à la charge, éplucha impitoyablement jusqu’aux moindres choses, et tant sur cet endroit de la dispute que sur tout ce qui regardait la prétendue nécessité et les usages de la ligne du point du jour, il le mit hors de combat, et demeura seul le maître du champ de bataille. Sa première critique est en latin, mais la réplique est en italien.

Je crois qu’Érycius Putéanus n’oublia qu’une seule chicanerie, qui aurait été de soutenir que d’un côté c’est une perte que de rapporter d’un long voyage un

  1. J’ai rapporté ci-dessus, tom. VI, pag. 500, rem. (B) de l’article Fontarabie, ces mêmes vers.
  2. Ab ortu in occasum navigantibus dies unus uno circuitu in lucro est, ab occasu in ortum unus interit. Et un peu après : Demet transeuntibus quantùm unus in occasum ambitus addit ; addet quantùm unus in ortum eripit.