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SADUCÉENS.

en un autre endroit, que cette secte n’était point favorisée du menu peuple, mais des gens riches ; car ces gens-là s’accommodent peu des humeurs sauvages et misanthropes, et ils introduisent les incommodités et les douceurs de la vie partout où leur commerce se peut étendre. Il faudrait peut-être s’imaginer que ce qu’il dit touchant la discorde des saducéens, et touchant le caractère rustique de leurs conversations, ne signifie autre chose sinon qu’ils regardaient comme une vertu la liberté de disputer contre leurs maîtres[a]. C’était une suite presque inévitable de leurs principes, puisqu’ils rejetaient fièrement l’autorité des traditions, et qu’ils ne se mettaient point en peine si les anciens avaient ainsi expliqué ou non les textes de l’Écriture. Dès lors le droit du disciple pour contrecarrer son maître était aussi grand que l’avait été celui du maître pour contredire son prédécesseur, et ainsi des autres en remontant jusques au point du partage, ou en descendant à l’infini. La Sainte Écriture fait souvent mention des saducéens ; mais encore qu’elle nous apprenne[b] qu’ils niaient la résurrection des morts, et l’existence des anges et des esprits, et que les pharisiens croyaient l’une et l’autre, elle ne laisse pas de représenter les pharisiens comme de plus malhonnêtes gens que ne l’étaient les saducéens. Nous examinerons ce que l’on a dit des mauvaises mœurs de ceux-ci (D), et nous montrerons qu’on en a parlé sans de bonnes preuves. Il serait moins étrange qu’ils eussent été d’honnêtes gens, qu’il ne l’est qu’un sectateur d’Épicure ait été sage et vertueux ; car la partie qu’ils retenaient de la religion pouvait influer sur leur conduite par les motifs de la crainte et de l’espérance (E). C’est néanmoins un juste sujet d’étonnement qu’ils n’aient pas été excommuniés (F), et qu’ils aient fait un même corps de religion avec le reste des Juifs, comme le font aujourd’hui les jansénistes et les molinistes avec les autres chrétiens de la communion de Rome. Les saducéens ne paraissent point sous ce nom-là dans le Talmud ; on ne les y trouve que sous la notion d’hérétiques et d’épicuriens[c]. C’est sans beaucoup de raison que l’on prétend qu’ils n’admettaient que les cinq livres de Moïse (G), et que de là vint que Jésus-Christ, dans sa dispute avec eux, ne leur cita que le Pentateuque[d]. Arnobe est le seul auteur qui nous ait appris qu’on leur ait attribué de donner à Dieu un corps organique. Il rapporte cela d’une manière qui est un peu censurable {(H)

  1. Joseph., Antiq. lib. XVIII, cap. II.
  2. Évangile de saint Matthieu, chap. XXII, vers. 23 ; de saint Marc, chap. XII, vers. 16 ; et de saint Luc, chap. XX, vers. 27, Act. des Apôtres, chap. XXIII, vers. 8.
  3. Marsham, Chron. Can. Ægyp., sæc. IX, pag. m. 159.
  4. Évang. de saint Matthieu, de saint Marc, et de saint Luc, ubi suprà, citation (o).

(A) Secte qui se forma deux cents ans ou environ avant la naissance du Messie. ] L’opinion la plus probable est que Sadoc, disciple d’Antigonus Sochæus, fut le fondateur de la