Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T13.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
SARA.

tiâ quidem, sed in medio ipso (ut loquuntur ) vel agendi ratione[1].

Notez que les copistes sont fort sujets à grossir les choses. Cornélius à Lapidé et Marin Mersenne disent simplement et absolument que Calvin accuse Sara de..... et Abraham d’adultère. Feuardent s’était contenté de dire que l’accusation avait été proposée obliquement, et sous l’apparence trompeuse d’une justification.

(K) Saint Augustin n’a pas fait une bonne apologie de ce procédé d’Abraham. ] Il s’est servi de quatre raisons. La 1re. est qu’Abraham ne se porta point à cet acte par un mouvement d’amour sensuel, mais afin d’avoir des enfans : Usus est eâ (concubinâ) quippe ad generandam prolem, non ad explendam libidinem[2] La 2e. est qu’il s’y porta, non pas pour faire injure à sa femme, mais plutôt pour lui complaire, et pour lui donner la consolation que son état de stérilité l’obligeait à souhaiter. La 3e. est que cette conduite fut fondée sur le droit dont parle saint Paul dans le chapitre VII de la Ire. épître aux Corinthiens : Pareillement l’homme n’a point la puissance de son corps, mais la femme. Il n’y a ici aucune faute, ni du côté de la femme, ni du côté du mari ; celle-là donne sa servante à son époux dans la vue de la génération, celui-ci prend cette servante dans la même vue. Nulla est hìc cupido lasciviæ, nulla nequitiæ turpitudo. Ab uxore causâ prolis ancilla marito traditur, à marito causâ prolis accipitur, ab utroque non culpa luxûs, sed naturæ fructus exquiritur [3]. La 4e. raison est qu’Abraham renvoya Agar dès que sa femme le voulut. J’ai cité ailleurs[4] les paroles de saint Augustin sur ce sujet. Léonard le Cocq, commentateur de ce père, ne fait point difficulté de le réfuter. Il oppose à la première raison cet axiome de saint Paul : Il ne faut point faire le mal afin qu’il en arrive du bien[5], et la doctrine ordinaire des moralistes, qu’une bonne action demande non-seulement une bonne fin et un bon motif, mais aussi une matière qui soit légitime, Ad hoc quod sit actio honesta, requiritur non modò bonus finis et reliquæ circumstantiæ, verùm etiam quod sit circa debitam materiam[6]. Cela lui fournit la réfutation de la seconde raison ; car si le commerce du patriarche avec sa servante est mauvais en soi, il ne devient pas légitime par l’acquiescement d’Abraham aux désirs de Sara ; les conseils ni les suggestions d’une femme ne disculpent point le mari à égard des choses illégitimes : cela paraît manifestement dans la chute du premier homme, qui allégua vainement que la femme que Dieu lui avait donnée avait porté à manger du fruit défendu. La troisième raison ne vaut pas mieux que les autres ; car une femme ne peut point transporter à une autre femme le droit dont parle saint Paul, non plus qu’un mari ne peut point céder à un autre homme le droit dont parle le même apôtre. Non potest uxor jus illud quod habet in corpus viri transferre in alteram mulierem ; ut congressum viri sui cum aliâ muliere assensu suo possit facere licitum, ut nec vir potest transferre in alterum virum illud jus quod habet in uxorem[7]. Léonard le Cocq ne dit rien sur la quatrième raison ; c’est qu’il ne l’a point considérée comme un des moyens de l’apologie ; mais les plus stupides peuvent aisément connaître qu’elle ne sert qu’à montrer que le patriarche ne tenait point à cela par des liens d’impureté. C’est une très-bonne chose que de renoncer aisément et promptement à un commerce illégitime ; mais cela ne prouve point qu’on en ait joui légitimement. Ce commentateur suppose que saint Augustin n’allégua pas ces raisons comme des preuves qui établissaient la pureté du commerce d’Abraham et d’Agar, mais seulement comme des preuves qui réfutaient la prétention des manichéens, que ce patriarche, éperdument amoureux d’Agar, avait couché avec elle pour assouvir sa passion. Il suppose aussi que le même

  1. Calvin., in Genes. c. XVI, vs. 1, p. 83.
  2. August, de Civitat. Dei, lib. XVI, cap. XXV.
  3. Idem, ibidem.
  4. Dans le remarque (C) de l’article Agar, tom. I, pag. 244.
  5. Épître aux Romains, chap. III, vs. 8.
  6. Leonh, Coqueus, in August., de Civitate Dei, lib. XVI, cap. XXV, pag. m. 351.
  7. Idem, ibidem.