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PHASÉLIS.

de sa jeunesse et de sa beauté ; mais Palæphatus ne dit rien qui nous donne cette idée : il dit que Phaon avait été marinier toute sa vie, et qu’il n’avait jamais fait aucune malhonnêteté à personne, ni rien fait payer pour le passage aux pauvres gens ; qu’à cause de cela on l’admirait dans l’île de Lesbos ; que Vénus, s’étant déguisée en vieille femme, se mit dans son bâtiment ; qu’il lui fit faire le trajet en diligence, et qu’il ne lui demanda point de paiements ; mais que, de vieux qu’il était, elle le rendit un beau jeune homme. Servius touche cette histoire[1], et ajoute cette particularité empruntée de deux poëtes comiques[2], que Phaon fit bâtir un temple à Vénus sur la montagne de Leucade, d’où une femme dont il était fort aimé s’était jetée dans la mer. Au reste, Lucien a cru que Phaon était de l’île de Chio[3], et s’est trompé apparemment.

(B) Quelques-uns ont dit que la vertu d’une certaine herbe fut cause de l’amour de Sapho pour lui. ] C’est une chose étrange qu’on ne veuille pas que Sapho ait pu devenir passionnée d’un homme, par la seule force du tempérament. Vous voyez que Pline en donne pour cause un principe aussi fabuleux que l’onguent de Vénus : il a bien raison de dire que la vertu de cette herbe tient du monstre[4]. Portentosum est quod de eâ traditur, radicem ejus alterutrius sexûs similitudinem referre, raram inventu : sed si viris contigerit mas, amabiles fieri. Ob hoc et Phaonem Lesbium dilectum à Sapho. Multæ circà hoc non magorum solùm vanitates, sed etiam pythagoricorum [5]. Il s’agit de l’éryngium blanc, appelé par les Latins centum capita. Du Pinet traduit chardon à cent têtes.

  1. Servius, in Æn. III, vs. 279. Corrigez dans l’édition de Leyde, 1680 :

    Venerem mutatam in navis formam,

    comme ceci, in anus formam.

  2. Menander et Turpilius.
  3. Lucianus, in Navigio, tom. II, pag. 696.
  4. Plinius, lib. XXII, cap. VIII.
  5. Le père Hardouin nous renvoie sur cela à un livre faussement intitulé : Kiranidum Kirani, pag. 37.

PHASÉLIS, ville maritime dans la Lycie, sur les confins de Pamphilie [a]. Ce fut l’une des villes qui s’enrichirent le plus des pirateries des Ciliciens : c’est pour cela qu’elle fut ruinée par Publius Servilius [b], après les victoires qu’il remporta sur ces corsaires. Elle était dans un pitoyable état lorsque Pompée y aborda après la bataille de Pharsale (A). On assure qu’elle fut bâtie par Mopsus [c]. On a fort parlé de cette ville à l’occasion d’une grâce miraculeuse que l’on prétendait qu’Alexandre y avait reçue des dieux (B). Je ferai sur ce sujet une remarque comme je m’y suis engagé [d].

  1. Strabo, lib. XIV, pag. 458. Voyez aussi Tite Live, lib. XXXVII, cap. XXIII.
  2. Nec mari submovisse contentus validissimas urbes eorum et diutinâ præda abundantes, Phaselin et Olympon evertit, Isaurumque ipsam arcem Caliciæ. Florus, lib. III, cap. VI.
  3. Pomponnius Mela, lib. I, cap. XIV.
  4. Article Macédoine, au texte lett. (d), tom. X, pag. 7.

(A) Elle était dans un pitoyable état lorsque Pompée y aborda après la bataille de Pharsale. ] Si nous on croyons Lucain, il y avait plus de gens dans le vaisseau de Pompée, que dans cette ville.

..... Te primùm parva Phaseli
Magnus adit. Nam te metui vetat incola rarus
Exhaustæque domus populis, majorque carinæ
Quam tua turbat fuit[1] .........


Et néanmoins Strabon, qui vivait après Pompée, parle de Phasélis comme d’une ville considérable, et à trois ports. Il avait égard apparemment à ce qu’elle avait été[2], mais il aurait dû ne pas s’exprimer au temps présent. Εἷτα Φασηλὶς, τρεῖς ἔχουσα λιμέας, πόλις ἀξιόλογος. Ac deindè Phaselis, tres habens portus, urbs memorabilis[3].

(B) Une grâce miraculeuse que l’on prétendait qu’Alexandre y avait re-

  1. Lucan., lib. VIII.
  2. Notez qu’il n’y a nulle apparence que depuis la bataille de Pharsale, jusqu’au temps de Strabon, cette ville eût été réparée.
  3. Strabo, lib. XIV, page 458.