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ROQUETAILLADE.

osé attaquer Rabelais vivant, par écrit, quoique ils se picotassent souvent à Meudon, chez les princes de la maison de Lorraine, ne l’a attaqué que dans une épitaphe où il le traite fort mal, parce que Rabelais ne le regardait que comme un poëte impécunieux et misérable, au point qu’il le tenait fort heureux de loger en une échauguette, appelée encore à présent la Tour de Ronsard, à Meudon, d’où il allait faire sa cour au château, et où il trouvait souvent en son chemin maître François Rabelais, qui ne l’épargnait guère ; car après tout, s’il n’était pas si fameux poëte que lui, il ne laissait pas d’être né poëte comme médecin[* 1], incomparablement plus savant que ce prince des poëtes de son temps, et entendant bien mieux raillerie[1]. Le livre dont ces paroles sont tirées fut imprimé à Paris, l’an 1697. L’auteur n’y mit pas son nom ; mais il fit assez entendre dans l’épître dédicatoire qui il était [2]. Il avait pratiqué la médecine pendant cinquante ans, et ne laissait pas de se trouver pauvre. Sa mauvaise fortune l’avait rendu satirique, et il n’employait enfin son loisir qu’à critiquer. Cela paraît dans ses Supplémens à l’Histoire de la Médecine, dans son Anti-Ménagiana, et dans le livret qu’il publia sous le faux nom de Pépinacourt, et sous le titre de Réflexions, Pensées et Bons-mots anecdotes. Il mourut à Paris, le 18 de mai 1698.

    dans quelque bouge du château ou de ses dépendances. Les laquais, nommés courtisans, ne sont, pas toujours si dédaigneux qu’ils le paraissent. Il n’est pas de nid à rats, tel incommode et malpropre qu’il soit, qu’ils n’occupent avec orgueil dans la maison d’un prince. Il n’existe à Meudon, aujourd’hui, aucun local connu sous le nom de tour de Ronsard ; il est vrai que, depuis le 16e. siècle, il s’est fait de grands changemens dans ces lieux. Le château de Meudon, qu’avait fait bâtir le cardinal Charles de Lorraine (qui a un article ci-dessus, tom. IX, pag. 362), passa ensuite à la famille de Servien, puis à Louvois, dont la veuve le vendit à Louis XIV. Le grand roi, successeur de Scarron, donna ce château, en échange, au dauphin, son fils. Celui-ci, en conservant l’ancien château, en fit construire un nouveau, tout à côté, mais dans une autre exposition. Pendant la révolution le parc de Meudon fut un établissement national pour diverses épreuves, puis, un parc d’artillerie. Le 16 mars 1795, un incendie consuma le vieux château, sur l’emplacement duquel on ne voit aujourd’hui que quelques arbustes plantés symétriquement. Mais du temps du cardinal de Lorraine il existait plusieurs tours dont l’une avait le nom de Mayenne, et une autre, celui de Ronsard. Si c’est à cause de P. Ronsard qu’elle fut ainsi nommée, il est à croire que c’est parce qu’il l’occupa. Toutefois on ne peut en conclure qu’il fut pauvre et gueux comme un poëte. Il fut au contraire toujours bien doté. Outre les dons considérables et pensions qu’il reçut des rois et princes, il avait, 1°. la cure d’Évaillé, près de Saint-Calais dans le Maine ; cette cure, dont il est parlé dans la note (D), était une baronnie ; 2°. le prieuré de Croix-Val, paroisse de Ternay ; 3°. le prieuré de Saint-Cosme-les-Tours ; il est mention de ces deux prieurés dans la remarque (O), note (87) ; 4°. l’abbaye de Bellosane. Avec tout cela il aurait pu faire le vœu de pauvreté ; car on sait que faire ce vœu était un moyen de s’en préserver.

  1. (*) Ex utroque Apollo.
  1. Jugement et nouvelles Observations sur les Œuvres de Rabelais, pag. 52, 53.
  2. Il s’appelait Jean Bernier, et était natif de Blois.

ROQUETAILLADE [* 1] (Jean de la) [* 2], en latin de Rupescissâ, religieux de l’ordre de Saint-François dans le couvent d’Aurillac [a], diocèse de Saint-Flour, se rendit célèbre au XIVe. siècle, tant par la liberté qu’il se donna de crier contre les vices du clergé et contre l’oppression des peuples, et de semer des prédictions menaçantes (A), que par la longue prison qui fut la peine de sa hardiesse (B). Quelques-uns disent que l’événement justifia ses prédictions, mais d’autres assurent qu’il arriva tout le contraire (C) de ce qu’il avait prédit. Il ne se vantait pas proprement d’être prophète, mais d’avoir obtenu de Dieu la connaissance des secrets de l’Apocalypse et des autres prophéties de l’Écriture. Voyez dans la remarque (A) le passage de Froissard. On a fait beaucoup d’attention à l’apologue qu’il employa

  1. (*) Rabelais, l. I, ch. VI, parle d’un Roquetaillade qui, selon je ne sais quelle tradition, naquit du talon de sa mère, Qu’entend-il par-là ? Rem. Crit.
  2. * « Il faut écrire de Roquetaillade, dit Leclerc. Je croirais volontiers que ce religieux était né à Roquetaillade, village du diocèse d’Aleth, et qu’il en prit le surnom. »
  1. Voyez la remarque (A), à la fin, et la citation (26).