teur que je cite n’a fait que traduire en prose ce que Ronsard avoit raconté de son extraction, dans l’une de ses élégies[1]. Du Perron[2] fit ce même conte, mais au lieu de Bulgarie, il mit la Moravie. Le Recueil des plus belles Pièces des Poëtes français, imprimé l’an 1692, contient[3] une Vie de Ronsard où on le fait originaire de Hongie et de Bulgarie. Si cela n’est pas absurde, c’est du moins une falsification ; car la tradition de cette famille ne donne pas deux patries à ses ancêtres, mais seulement une, sur les confins de La Hongrie et de la Bulgarie. Ce sont les termes de Claude Binet : et voilà à quoi l’on s’expose lorsqu’on veut changer les termes de ses originaux ; soit pour abréger, soit qu’on les trouve trop vieux. Il ne fallait pas supprimer ici le mot de confins.
(B) Des réflexions peu judicieuses. ] « Du mariage de Loys et de Jeanne de Chandrier nasquit Pierre de Ronsard au chasteau de la Poissonniere..... un samedy 11 de sept. 1524[* 1]. Auquel jour, le roy François Ier fut prins devant Pavie. Et pourroit on douter si en mesme temps la France receut par ceste prinse mal-encontreuse un plus grand bien dommage, ou un plus grand bien par ceste heureuse naissance : à laquelle estoit advenu comme à d’autres grands personnages, d’estre remarquée d’une si memorable rencontre. Ainsi que la naissance du grand Alexandre fut signalée et comme esclairée par l’embrasement du temple de Diane en la ville d’Ephese[4]. » Voilà sans doute une belle compensation, et la France bien dédommagée de la prison de son roi ; malheur qui mit le royaume à deux doigts du précipice, et qui fut la cause d’une longue suite de pertes honteuses et funestes à la nation : la voilà, dis-je, bien dédommagée puisqu’elle acquit ce jour-là un bel esprit qui l’a enrichie de plusieurs milliers de vers en sonnets et en madrigaux d’amour, en stances, en hymnes, en odes, etc. Cette pensée de Claude Binet ne pourrait être soufferte que dans quelque poésies de panégyriste, encore y aurait-elle besoin d’indulgence, et n’éviterait jamais la censure d’hyperbole froide parmi les gens de bon goût[* 2]. Ce fit sans doute ce qui obligea du Perron à ne la point faire paraître dans l’Oraison funèbre de Pierre Ronsard [5]. Qu’en dira-t-on donc lorsqu’on la verra en prose dans une histoire ? je veux dire dans la Vie de Ronsard, Mais que dira-t-on de M. de Thou, ce grave, ce vénérable magistrat ; qui a débité fort sérieusement la même pensée, dans une Histoire générale qui est un chef-d’œuvre ? Natus erat (Petrus Ronsardus) dit-il[6], eodem quo infeliciter à nostris ad Ticinum pugnatum est, anno ut ipse in Elegiâ ad Remigium Bellaqueum scribit, quasi Deus jacturam nominis Gallici eo prælio factum et secutum ex illo veluti nostrarum rerum interitum tanti viri ortu compensare voluerit. Remarquez bien que M. de Thou ne met pas à un même jour la naissance de ce poëte et la bataille de Pavie ; il ne les met qu’à la même année. Mais Claude Binet ne trouvant point là un assez beau jeu, ni assez de merveilleux, assura que ces deux choses arrivèrent le même jour. Il se trahit lui-même, il découvre son mensonge ; car il assigne l’onzième jour de septembre 1524 à la naissance de son poëte, et toute la terre sait que François Ier. fut battu devant Pavie le 24 de février 1525 ; le concours d’année ne laisse pas d’être vrai selon la façon de compter de ce temps-là ; car on n’avait pas encore réglé en France que l’année commençât le 1er. jour de janvier : elle ne commençait qu’à Pâques, et ainsi la bataille de Pavie était contenue dans l’année 1524. Qu’on ne dise pas qu’il y a faute d’impression dans le livre
- ↑ * Cette date est aussi donnée par du Verdier. Mais Leclerc et Joly pensent que ne vit le jour qu’en 1526,
- ↑ * On ne peut, dit Joly, que souscrire à cette judicieuse censure ; mais je ne sais si l’ardeur de critiquer n’a pas emporté Bayle un peu trop loin, lorsque quelques lignes plus bas, il blâme aussi fortement l’historien de Thou. Joly, tout en l’excusant, convient cependant que la comparaison faite par de Thou n’est pas à l’abri de la censure.