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PYTHAGORAS.

Ménélas une blessure au siége de Troie. Aprés la mort d’Euphorbus, il fut Hermotime, et puis un pêcheur de Délos, nommé Pyrrhus ; et enfin Pythagoras, homme qui se souvenait de toutes ces transmigrations, et de ce qu’il avait souffert dans les enfers, et que les autres âmes y souffrent [1]. Voici une petite contradiction [2] ; car si les âmes en sortant d’un corps passent en un autre, elles ne vont point dans les enfers. Notre philosophe dans Ovide, ne remonte que jusqu’à Euphorbus :

Morte carent animæ, semperque priore relicta
Sede, novis domibus vivunt, habitantque receptæ.
Ipse ego (nam memini) Trejani tempore belli
Panthoides Euphorbus eram : cui pectore quondam
Hæsit in adverso gravis hasta minoris Atride.
Cognovi clypeum lævæ gestamina nostræ
Nuper Abantais, templo Junonis, in Argis [3].

Ô l’heureuse mémoire d’homme ! s’écrie agréablement Lactance : O miram et singularem Pythagoriæ memoriam ! O miseram oblivionem nostrûm omnium, qui nesciamus, qui antè fuerimus ! sed fortassè vel errore aliquo, vel gratiâ sit effectum, ut ille solus lethæum gurgitem non attigerit, nec oblivionis aquam gustaverit. Videlicet senex vanus (sicut ociosæ aniculæ solent) fabulas tanquàm infantibus credulis finxit. Quòd si benè sensisset de iis, quibus hæc locutus est, si homines eos existimâsset, nunquàm sibi tam petulanter mentiendi licentiam vendicâsset. Sed deridenda hominis levissimi vanitas [4]. Lactance ne devait pas révoquer en doute que Pythagoras n’attribuât sa mémoire à une faveur des dieux ; il le pouvait lire dans Héraclide ; et sans cela, dira-t-on, il était aisé de s’imaginer que Pythagoras alla au-devant de l’objection que les autres hommes lui pouvaient faire, eux qui ne se souvenaient d’aucune préexistence. Voici une réponse à cette objection. À certains égards il n’est point probable qu’il ait eu assez de hardiesse pour se vanter d’une telle chose : il eût fallu, comme l’observe Lactance, que son mépris pour les autres hommes fût monté au dernier point ; mais si l’on tourne la médaille on ne trouvera rien là qui choque la vraisemblance. Il s’était acquis une telle réputation, et il avait fait tant d’expériences sur l’aveugle docilité, et sur la crédulité infinie de ses auditeurs, qu’il pouvait bien se promettre qu’on lui passerait tout ce qu’il dirait de sa mémoire. Si vous voulez savoir ses transmigrations depuis la mort de Pythagoras, vous n’avez qu’à jeter les yeux sur ces paroles, vous y apprendrez qu’au troisième changement il fut une courtisane. Pythagoram verò ipsum sicuti celebre est Euphorbum primo se fuisse dictitâse ; ita hæc remotiora sunt his, quæ Clearchus et Dicæarchus memoriæ tradiderunt, fuisse eum posteà Pyrandrum, deindè Callicleam, deindè fæminam pulchrâ facie meretricem, cui nomen fuerat Alce [5]. Au reste, il n’inventa pas la métempsycose ; il l’apprit des Égyptiens [6] : cela lui fit gâter les belles leçons qu’il avait ouïes de Phérécyde sur l’immortalité de l’âme, et qui l’avaient tant touché, qu’il abandonna tout d’un coup le métier d’athlète pour étudier en philosophie. Quis nunc extremus idiota, vel quæ abjecta muliercula non credit animæ immortalitatem, vitamque post mortem futuram ? Quod apud Græcos olim primus Pherecydes Assyrius cùm disputâsset, Pythagoram Samium illus disputationis novitate permotum ex athletâ in philosophum vertit [7].

  1. Ex Heraclide Pontico, apud Laertium, lib. VIII, num. 4 et 5.
  2. Conférez ce que dessus, vers la fin de la remarque (F) pag. 133.
  3. Ovidius Metam., lib. XV, vs. 158.
  4. Lactant., divin. Institut., lib. III, cap. XVIII, pag. m. 196.
  5. Ant. Gellius, lib. XV, cap. XI. Voyez, tom. XI, pag. 19, l’article Périclès, citation (186).
  6. Herodotus, lib. II, cap. CXXIII, où il tait néanmoins le nom de Pythagoras. Mais Diodore de Sicile, lib. I, sub finem, ne le tait point.
  7. Augustinus, epist. III, pag. m. 9.

(N) On remarque qu’il adora un autel, comme un lieu qui n’avait pas été profané, ou pollué.] C’était un autel consacré à Apollon, dans l’île de Délos. Lisez ces paroles de Macrobe [1] : Constat, sicut Cloatius Verus ordinatorum libro secundo docet, esse Deli aram, apud quam hostis non cœditur, sed tantùm sollemni deum prece venerantur, verba Cloatii hæc sunt : Deli ara est Apollinis

  1. Macrob. Saturn., lib III, cap. VI, pag. m. 316.