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PYTHAGORAS.

au travers pour se mettre à couvert de ses ennemis. Et si tant est qu’il les ait défendues, ce n’a été pour autre raison que la première des cinq qu’en donne M. Moreau [* 1] au lieu que nous avons cité de son commentaire sur l’École de Salerne [1]… L’on peut dire pareillement qu’il n’y avait rien d’extraordinaire en cette conversion qu’il faisait des fèves en sang, vu que M. Moreau montre très-clairement en son dit commentaire, que suivant les principes des chimistes qui mettent la similitude et ressemblance pour causes de l’action, c’est une chose qui se peut faire et expliquer par raisons naturelles : sans toutefois que l’on doive persuader que Pythagore se servit de cet élixir de fèves, ou du sang humain, pour écrire sur son miroir ventru ; car outre le peu de raison qu’il aurait eu d’y employer plutôt le sang que quelque autre liqueur, Campanella [* 2] prouve par des raisons très solides, que cette opération est du tout impossible : et quand Agrippa [* 3] s’est vanté d’en avoir le secret, et Noël des Comtes [* 4] a écrit que du temps de François Ier et Charles-Quint l’on savait à Paris la nuit tout ce qui s’était passé le jour au château de Milan, le premier ne le disait que pour se vanter et mettre en vogue, ce que nous montrerons plus amplement dans son chapitre ; et la relation du dernier est une pure fable et bourde controuvée par ceux qui ont voulu joindre la magie aux armes de ces deux grands princes [2], comme l’on dit que firent autrefois Ninus et Zoroastre, Pyrrhus et Crésus, Nectanébus et Philippes de Macédoine. Ce qui nous doit faire juger que tout ce que l’on dit de ce miroir de Pythagore lui est aussi faussement attribué que l’arithmétique superstitieuse et la roue de l’onomantie ; ou que s’il l’a jamais mis en pratique, c’était infailliblement quelque jeu, prestige et subtilité : et pour conclure avec Suidas, ποίγνιον διὰ κατόπτρου [3]… Il n’y aurait aussi aucune apparence d’insister plus long-temps sur ce que Pythagore fit mourir en prononçant certains mots, un serpent qui faisait beaucoup de dommage en Italie, parce que Bossardus, qui nous donne Aristote pour garant de cette histoire, ne cite point le livre d’où il l’a prise ; et que si l’on veut en rechercher la vérité de plus près, l’on trouvera qu’elle est totalement fausse, n’étant fondé que sur l’ignorance de ceux qui changent Socrate en Pythagore, et qui prennent pour argent comptant la fable qui est récitée du premier dans un livre des Causes et Propriétés des Élémens que Patrice [* 5] montre avoir été faussement attribuée à Aristote. Mais cette inadvertance de Boissardus pourrait être facilement excusée, s’il n’en avait commis une beaucoup plus grande et remarquable, quand il cite Plutarque en la vie de Numa, pour autoriser l’histoire du bœuf que Pythagore [* 6] fit retirer d’un champ de fèves après lui avoir chuchoté quelque chose à l’oreille. Il eut mieux fait de confesser qu’il l’avait traduite de Cæœlius Rodiginus qui cite véritablement Plutarque au commencement de son chapitre mais sur un autre sujet que celui de cette fable, de laquelle on ne trouvera point qu’il ait fait jamais aucune mention [4]. »

Je crois qu’on sera bien aise de trouver ici les paroles grecques du scoliaste d’Aristophane, corrigées par le savant Méziriac. Je conclurai ce discours, dit-il [5], par une jolie remarque sur la comédie des Nuées, et Suidas sur ces mots Θετταλὴ γυνὴ qui, d’une merveille de magie sur le sujet

  1. * Cap. 19.
  2. * Lib. 4 de Sensu, cap. 16.
  3. * Lib. 1 de occult., Philosoph., cap. 16.
  4. * Lib. 3, cap. 17, Mytholog.
  5. * Discussion. peripat. som. I, lib. 2.
  6. * Lib. 19, cap. 7.
  1. Naudé, Apologie des grands Hommes accusés de Magie, pag. 225, 226.
  2. Voyez l’article François Ier, tom. VI, pag. 572, remarque (K).
  3. Naudé, Apologie des grands Hommes accusés de Magie, pag. 226, 227.
  4. Naudé, là même, pag. 237.
  5. Méziriac, sur les Épîtres d’Ovide, pag. 607, 608.