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PYTHAGORAS.

nous a donné les plus beaux traits qui puissent servir au tableau de l’éloquence de Pythagoras. « Selon le même Porphyre, quand il vint en Italie. Il changea la police d’un grand nombre de villes, et y rétablit la liberté : en une seule exhortation il gagna et attacha à sa philosophie plus de deux mille hommes ; il leur apprit à dompter leurs passions ; à étouffer tous les mouvemens d’avarice et d’ambition, à mettre tous leurs biens en commun, à aimer le silence, la retraite et la contemplation [1]. » Qu’on ne vienne pas à m’objecter que je représente ce philosophe sous l’idée d’un rhétoricien : ce n’est point mon intention ; je suis fort persuadé qu’il n’attaquait point le vice par des harangues semées de fleurs ; et composées selon les règles, et selon les subtilités brillantes que les sophistes des siècles suivans mirent en usage. Mais cela n’empêche pas qu’on ne puisse lui attribuer une éloquence merveilleuse, puisque ses discours, étaient si persuasifs. La force de cette éloquence consistait sans doute dans l’expression grave des raisons, et dans le poids qu’il donnait à ses paroles par la sagesse de sa conduite. Il prêchait d’exemple : son silence même était éloquent, et contribua autant sa voix à la reforme, comme l’a fort bien remarqué un ancien poëte,

Annon Pythagoræ monitus annique silentes
Famosum Æbalii luxum pressere Tarenti
[2] ?

  1. Thomassin, Méthode d’étudier et d’enseigner la Philosophie, liv. I, chap. XV, pag. 153.
  2. Claudianus, de Mallii Theodori Consulatu, vs. 156. Il faut lire annon, et non pas et non sans interrogation, comme dans l’édition de Barthius : et notez que Barthius, si prolixe partout ailleurs, ne dit presque rien sur ce passage. Claudien peu auparavant avait dit :

    Quidquid Democritus risit, dixitque tacendo Pythagoras.

    Ibidem, vs. 90.

(D) Un noviciat de silence.] C’était une rude discipline Ἐστὶ δὲ πάντων χαλεπώτατον ἐγκρατευμάτων τὸ γλώττης κρατεῖν [1], c’est-à-dire la plus difficile victoire que l’on puisse remporter est de maîtriser sa langue. Voyez l’éloge que l’on donne dans les distiques de Caton à ceux qui savent se taire bien à propos [2]. Servius fait mention du noviciat de cinq ans [3], et voici ce qu’Apulée remarque de celui que l’on imposait pendant près de cinq années aux disciples les moins retenus. Non in totum tamen (Pythagorici) vocem desuescebant, nec omnes pari tempore elingues magistrum sectabuntur ; sed gravioribus viris brevi spatio satis videbatur taciturnitas modificata. Loquaciores enim verò fermè in quinquennium, velut in exilium vocis mittebantur [4].

  1. Jamblichus, lib. I, cap. XXXI.
  2. Proximus ille Deo est qui scit ratione tacere.
  3. Servius, in illud Æneid. X, vs. 564,
    ...... Tacitis regnavit Amyclis.

  4. Apuleius, in Floridis.

(E) On interpréta criminellement cette concorde, et cela leur fut très-funeste.] On prit cette communauté d’étudians pour une faction qui conspirait contre l’état : on en fit périr soixante, le reste s’enfuit. Sed tercenti ex juvenibus cum sodalitii juris sacramento quodam nexi separatam à cæteris civibus vitam exercerent, quasi coetum clandestinæ conjurationis haberent, civitatem in se converterunt, quæ eos, cùm in unam domum convenissent, cremare voluit. In quo tumultu sexaginta fermè periêre, ceteri in exilium profecti [1]. Ni ce passage de Justin, ni ce qui le suit ne sont pas capables de nous apprendre si cette tempête fut excitée pendant la vie de Pythagoras. En prenant droit sur tout ce narré, l’on doit plutôt croire que ce philosophe ne fut point compris dans cette persécution, que de croire qu’il fut compris. Il semble donc que Justin nous raconte là le même fait dont Polybe parle. Or selon Polybe les pythagoriciens furent brûlés dans la grande Grèce, quelque temps avant la guerre que Denys, tyran de Syracuse, fit aux Crotoniates [2] : il semble donc qu’ils ne furent point brûlés pendant la vie de leur maître ; car il y a cent vingt ans entre la destitution de Tarquin et cette guerre de Denys contre Crotone [3]. Or Pythagoras vint en Italie sous le règne de Tarquin, et mourut à Métaponte après avoir séjourné à Crotone pendant vingt ans [4]. Vossius observe que Justin, Polybe, Porphyre, Jamblique, parlent

  1. Justin., lib. XX, cap. IV. Voyez la remarque (O).
  2. Polybius, lib. II.
  3. Voyez Calvisius, pag. m. 95, 165.
  4. Justin., lib. XX, cap. IV.