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MUSURUS.

rus ferait en suite ; que Musurus ne manqua pas d’ajuster sa maison, d’augmenter son train, ni même de préparer le remercîment qu’il prétendait faire ; que n’ayant pas été compris dans la promotion des trente-un qui furent ajoutés au sacré collége, sa vertu se trouva fort faible pour digérer l’affront qu’il pensait avoir reçu ; qu’il s’en plaignit comme d’un mépris fait à toute la nation grecque en sa personne, et que pour porter son ressentiment aussi loin qu’il pouvait aller, il en fut malade de l’hydropisie dont il mourut.

(D) Nous ferons quelques réflexions sur son récit. ] 1°. J’ai de la peine à m’imaginer que s’il avait été nécessaire d’agrandir l’école publique, pour faire place au grand nombre des auditeurs, Érasme, qui ne pouvait pas l’ignorer, n’en eût rien dit dans le passage cité ci-dessus [1], où il rapporte à quelle heure et avec quelle exactitude Musurus faisait ses leçons ; quelle était la diligence d’un vieillard de soixante et dix ans à s’y trouver, et combien elle surpassait pendant le froid celle des jeunes étudians. 2°. J’ai déjà dit [2] que Musurus quittant Padoue, lorsqu’en 1509 les états des Vénitiens furent ravagés par l’ennemi, ne se détacha point du service de la république de Venise. J’ajoute que, selon Paul Jove, il fit le panégyrique de Platon avant que d’aller à Rome. D’où est-ce que M. Varillas a pris que ce poëme fut composé dans Rome même. 3°. Si ce poëme n’est que l’une des épigrammes qu’on a imprimées à la tête des Œuvres de Platon, comme Vossius [3] et M. Baillet [4] l’assurent, c’est une exagération qui passe toutes les bornes de la bonne rhétorique, que de dire tout ce que M. Varillas en dit. Il eût mieux fait de traduire littéralement Paul Jove : c’est un auteur qui n’a pas un grand besoin de paraphrase ; il est lui-même le paraphraste de ses pensées, tant il aime à les étendre sur un grand nombre de paroles étudiées. Or voici ce qu’il a dit de cet éloge de Platon : Extat id poëma, et in limine operum Platonis legitur, commendatione publicâ cum antiquis elegantiâ comparandum [5]. Mais encore un coup, si ce poëme n’est qu’une épigramme, qu’y a-t-il de plus puérile que de remarquer avec Paul Jove, que la guerre ne réduisit point Musurus à un tel repos, qu’il ne fît des vers à la louange de Platon [6] ? N’est-ce pas bien faire voir qu’un professeur, que l’on a contraint de renoncer à sa charge, ne s’est point plongé dans une absolue oisiveté, que de dire qu’il a fait une épigramme ? Je ne veux point dissimuler ce que Vossius débite, qu’on croit que ce fut principalement à cause de cette épigramme que Léon X éleva Musurus à l’archiépiscopat [7]. Considérez l’exhortation que je ferai ci-dessous [8]. 4°. C’est un misérable moyen de persuader son innocence, à l’égard du larcin d’une pensée, que de mener une bonne vie : on n’a jamais remarqué qu’un écrivain plagiaire ait été moins dans l’ordre par rapport aux bonnes mœurs, que ceux qui citent, et qui ne se parent point des plumes d’autrui. C’est sans doute un défaut moral, et un vrai péché que le plagiat des auteurs ; mais c’est un péché de telle nature, qu’il ne règne ni plus ni moins dans un homme voluptueux et débauché, que dans un homme chaste et sobre. 5°. Musurus n’obtint la mitre qu’en 1517 : il n’est donc pas vrai qu’il ait ressenti les premières gratifications de Léon X, qui fut créé pape l’an 1513. 6°. Il ne fut point pourvu de l’archevêché de Raguse, mais de celui de Malvasia dans la Morée. Archiepiscopus Epidaurensis dans Paul Jove, ne signifie ni Raguse la vieille, ni Raguse la nouvelle ; c’est la même prélature que d’autres nomment Monembasiensis. Aussi voyons-nous qu’un ami d’Érasme [9]

  1. Dans la remarque (A), citation (1).
  2. Dans la remarque (B).
  3. Vossius, de Poet. græc., pag. 84.
  4. Jugemens sur les Poëtes, num. 1248. Il n’y a rien de Musurus dans l’édition de Platon de Francfort, 1602, traduit par Vicin, ni dans celle de 1578, de Henri Étienne, traduit par de Serres.
  5. Jovius, Elogior., cap. XXX.
  6. Indè exturbatus ita tranquillum otium quæsivit, ut græco carmine divi Platonis laudes decantaret. Idem, ibidem.
  7. Vossius, de Poetis græcis, p. 84. Konig en rapportant cela, met par abus Léon XI pour Léon X.
  8. Dans la remarque (G).
  9. Paul Bombasius. Sa lettre, parmi celles d’Érasme, est la XXIIIe. du IIe. livre, et datée du 6 décembre 1517.