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MORUS.

défenseur qui était présent y ayant lui-même plaidé sa cause en cinq ou six séances entières, avec tant de force et d’évidence, que grâces à Dieu il n’eut besoin de l’aide d’aucun. » Voyez ci-dessous la remarque (M) vers la fin.

(I) Sa manière inimitable de prêcher. ] Elle consistait en certaines saillies d’imagination qui contenaient des allusions ingénieuses, et je ne sais quel air de paradoxe fort capable de surprendre l’auditeur, et de le tenir toujours attentif. Mais la manière dont il débitait ces choses en faisait le principal agrément. De là vient que sur le papier ses sermons ne sont pas à beaucoup près si admirables, et que la plupart de ceux qui ont voulu l’imiter se sont rendus ridicules. Le désir de limiter, qui commençait à gâter beaucoup de jeunes ministres, obligea le synode de l’Île-de-France, en l’année 1675, à faire un acte qui fut lu en chaire à Charenton et ailleurs, par lequel on commandait d’éviter, dans l’exposition de la parole de Dieu, les jeux d’imagination et de mots, etc. On sera bien aise de voir ici le jugement d’un historien qui est sans comparaison meilleur connaisseur que moi. Il était, dit-il en parlant de notre Morus [1], extraordinairement suivi du peuple ; et ceux qui se connaissaient le moins à ce qui mérite l’admiration, étaient néanmoins ses plus passionnés admirateurs. On disputait entre les personnes de bon goût, si ce qu’on trouvait en lui de plus beau était solide ou apparent, et si on le devait nommer un éclair ou une lumière. Mais ceux-mêmes qui prononçaient contre lui ne pouvaient s’empêcher de l’entendre avec plaisir, et de sentir en eux les mêmes mouvemens qu’il excitait dans les autres. Quelques-uns ont cru qu’il avait beaucoup moins d’érudition qu’on ne se l’imaginait communément ; mais personne n’a douté qu’il ne sût mettre en œuvre fort heureusement ce qu’il possédait, et donner un grand lustre à ce qu’il exposait au justement du public. Quoi qu’il en soit, jamais homme n’a reçu des applaudissemens plus flatteurs que lui, et n’a pu s’appliquer mieux ce qu’on a dit de quelque autre, que s’il ne méritait pas les jugemens avantageux qu’on faisait de lui, au moins il ravissait à ses auditeurs la liberté d’en faire de désobligeans. Il avait dit, dans la page 316, que les manières de Morus ne plaisaient pas à tout le monde, et qu’on a vu presque toujours mal réussir ses imitateurs.

(K) On le traduisit tout de nouveau aux synodes. ] On peut dire que M. Morus ne fut pas long-temps en paix dans l’église de Paris ; car, dès le mois de septembre 1661, on porta des plaintes contre lui au consistoire, qui n’eurent point de suite ; et peut-être n’en eurent-elles point à cause qu’il demanda son congé pour aller en Angleterre, au mois de décembre 1661. Il en revint au mois de juin 1662. Tout aussitôt les plaintes ayant été renouvelées, le consistoire ordonna qu’il serait ouï, mais qu’en attendant il s’abstiendrait de prêcher. Ses partisans le voulurent faire prêcher en dépit du consistoire, et pour cet effet ils se saisirent des avenues de la chaire, et ne voulurent point souffrir que le fils de M. Daillé y montât ; ce qui causa un si terrible désordre, qu’il n’y eut point de prédication le matin de ce dimanche. Quelques chefs de famille eurent recours au parlement, qui ordonna, le 27 de juillet 1662, que l’on assemblerait un colloque. Ce colloque suspendit M. Morus pour un an. Le synode de l’Île-de-France confirma et aggrava même cette suspension ; mais celui de la province de Berri, auquel ce ministre en appela, le rétablit dans sa charge [2]. Ces sortes d’appels étaient permis par les réglemens des synodes nationaux.

(L) On verra ci-dessous le titre de ses ouvrages. ] On a de lui un traité de Gratiâ et libero Arbitrio ; un autre de Scripturâ sacrâ sive de causâ Dei [* 1] ; un commentaire sur le chapitre LIII d’Isaïe ; des Notes ad loca quædam novi Fœderis [* 2] ; une réponse à Milton, sous le titre de Alexandri Mori Fides publica ; des

  1. * Middelbourg, 1653, in-4o., dit Joly.
  2. * Londres, 1661, in-8o., dit Joly, d’après Lelong.
  1. Histoire de l’Édit de Nantes, tom. III, liv. II, pag. 453.
  2. Tout ceci est narré amplement dans l’Histoire de l’Édit de Nantes, à la fin du VIIe. livre du IIIe. tome.