Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Morus


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MORUS (Alexandre), l’un des plus grands prédicateurs de son siècle dans le parti réformé [* 1], était fils d’un Écossais, qui était principal du collége que ceux de la religion avaient à Castres dans le Languedoc. Il naquit en 1616, dans cette ville-là, et comme il avait l’esprit fort vif, les progrès de ces études furent fort prompts. N’ayant guère plus de vingt ans [a], il fut envoyé à Genève, pour y continuer ses études de théologie ; et voyant que la profession en grec, qui était vacante, allait être disputée, et que les curateurs de l’académie avaient exhorté par leur programme les étrangers aussi-bien que les citoyens à entrer en lice, il se mit sur les rangs avec plusieurs autres compétiteurs, ministres, avocats, et médecins, presque tous plus âgés que lui de la moitié, et se fit tellement admirer par la belle et éloquente manière de tourner les choses, dans toutes les preuves d’érudition qu’il fallut produire, que le prix de la dispute lui demeura [b]. Ayant exercé cette charge environ trois ans, il succéda à celles que M. Spanheim, qu’on avait appelé à Leyde [c], laissa vacante [d], qui étaient celle de professeur en théologie dans l’académie, et celle de ministre dans l’église de Genève. Comme il était grand prédicateur, et qu’il avait joint avec cette qualité beaucoup de littérature [e], il ne faut pas s’étonner que tous ses collègues n’aient pas été de ses amis. Mais il faut avouer qu’il y avait bien d’autres choses qui lui suscitaient des traverses ; car, sans parler de ses mœurs, qui dans tous les lieux où il a vécu ont été un objet de médisance par rapport à l’amour des femmes, ses meilleurs amis demeuraient d’accord qu’il avait beaucoup d’imprudence, et qu’il était fort mal endurant (A). Quoi qu’il en soit, il se forma dans Genève deux partis, l’un pour lui, l’autre contre lui ; et il ne faut pas douter que le premier de ces deux partis ne fût composé, non-seulement des personnes qui avaient de l’estime et de l’amitié pour M. Morus, mais aussi des personnes qui sans l’aimer, ni sans l’estimer, voyaient leurs ennemis à la tête du parti contraire. L’on voit tous les jours des exemples de cela. Je ne sais comment M. Morus se procura les bonnes grâces de M. de Saumaise ; mais il est certain que celui-ci attira l’autre dans les Provinces-Unies. Quelques-uns prétendent que ce fut pour chagriner M. Spanheim (B), qui avait été brouillé à Genève avec M. Morus. D’abord M. de Saumaise tâcha de lui procurer une chaire de théologie à Harderwic [f], et la chose n’ayant pu réussir, il le fit appeler à Middelbourg. M. Morus, acceptant la vocation, partit de Genève en 1649, chargé d’un bon témoignage d’orthodoxie (C). Il se présenta au synode des églises wallones, assemblé à Maestricht [g] : il y prêcha avec l’applaudissement de tout l’auditoire ; et puis il alla prendre possession à Middelbourg de la charge de professeur en théologie dans l’école illustre, et de celle de pasteur de l’église. Messieurs d’Amsterdam, à son arrivée en Hollande, lui offrirent la profession en histoire [h], que la mort de Vossius avait rendue vacante dans leur école illustre ; et n’ayant pu le détacher des engagemens qu’il avait pris avec la ville de Middelbourg, ils firent venir David Blondel : et néanmoins trois ans après, ayant ouï dire que l’on offrait à M. Morus une chaire de théologie en France, ils lui renouvelèrent leurs offres. Il accepta alors cette vocation, et la remplit en habile homme. Il y fit une éclipse par un voyage en Italie qui fut assez long (D), et duquel on dit qu’il n’eut pas sujet de se repentir (E). Durant ce voyage, il fit un beau poëme [i], sur la défaite de la flotte turque par les Vénitiens. Ce poëme lui valut une chaîne d’or dont la république de Venise lui fit présent. Il revint exercer sa charge ; et après quelques bourrasques essuyées dans les synodes wallons [* 2] (F), il passa en France pour y être ministre de l’église de Paris, où plusieurs personnes le souhaitaient. Plusieurs autres s’y opposèrent, et se présentèrent à quelques synodes provinciaux, et puis au synode national de Loudun [j], chargées de sacs de papiers contre M. Morus. Toutes leurs accusations furent éludées, ou trouvées nulles (G) ; car il fut reçu ministre de l’église de Paris. M. Dalle, qui l’avait servi de tout son crédit dans plusieurs synodes (H), ne fut pas longtemps à s’en repentir ; il s’éleva entre eux une querelle fort violente, qui causa mille partialités dans le troupeau. En général, M. Morus, au milieu des applaudissemens que sa manière inimitable de prêcher (I) lui attirait d’une foule extraordinaire d’auditeurs, eut à Paris le chagrin de voir sa réputation attaquée par des personnes de mérite, qui le traduisirent tout de nouveau aux synodes (K), d’où il ne se sauva que comme par feu. Sa mort qui fut très-édifiante, et les marques de piété qu’il fit paraître durant sa dernière maladie, effacèrent le souvenir de ce qu’il pouvait y avoir eu d’irrégulier dans sa conduite. Il mourut à Paris, chez madame la duchesse de Rohan, au mois de septembre 1670. Il n’avait jamais été marié. On verra ci-dessous le titre de ses ouvrages (L). Je parle de la querelle qu’il eut avec Jean Milton (M) ; et j’observe qu’il y a des choses dans le Ménagiana qui lui sont glorieuses. On y en trouve aussi qui ne le sont point (N). Un de ses derniers panégyristes raconte un fait qui n’est pas vrai (O).

Le jugement, que M. Chevreau a fait du caractère de M. Morus, est très-conforme à celui de plusieurs autres connaisseurs, et témoigne en même temps que les choses que l’on écrit à un homme ne ressemblent pas toujours à celles que l’on dit de lui dans les lettres que l’on écrit à d’autres gens [k] (P). Je ne veux point passer sous silence que l’illustre M. Huet donne de très-grands éloges à M. Morus, dans quelques poésies latines qu’il lui adresse. Voyez la page 30 et 77 des poésies de ce savant prélat, à l’édition d’Utrecht 1700 [l].

  1. * « Article, dit Leclerc, où Bayle, en contradiction avec lui-même, se fait l’apologiste d’un protestant sur des faits, et criants et prouvés suffisamment, pendant que sur de semblables faits, mais incomparablement moins bien prouvés, il a condamné Cayet et quelques autres. Je n’en ferai pas le détail, je me trouve trop pressé. On le trouvera dans ma Lettre critique pages 228-239. »
  2. * Joly dit que ce fut par son livre : Victoria gratiæ : Alexandri Mori de gratiâ et libero arbitrio Disputationes Genovenses adversùs Dionysium Petavium, jesuitam. dont la seconde édition est de 1652, in-4o. Daniel Heinsius et Frédéric Spanheim, personnages que Saumaise n’aimait pas, y sont maltraités, et Saumaise y est loué.
  1. Alex. Mori Fides publica, pag. 225.
  2. Voyez la Vie d’Étienne le Clerc, l’un des concurrens, imprimée à Amsterdam, en 1685, à la tête des Quæstiones Sacræ de David le Clerc, etc.
  3. Il y vint en 1642.
  4. Mori Fides publica, pag. 226.
  5. Voyez ce que Tanaquil le Fèvre lui écrit, epistolar. lib. I, pag. 219.
  6. Voyez la rem. (G).
  7. Fid. publica, pag. 157.
  8. Ibid., pag. 213.
  9. Voyez-en l’éloge dans les lettres de Tanaquil le Fèvre, liv. II, pag. 157.
  10. Il commença le 10 de novembre 1659, et finit le 10 de janvier 1660.
  11. Voyez, tom. VII, pag. 282, la remarque (M) de l’article Grotius.
  12. C’est la 4e. : on y a joint ses notes sur l’Anthologie.

(A) Ses amis demeurent d’accord qu’il avait beaucoup d’imprudence, et qu’il était… mal endurant. ] On reconnaît dans une préface [1], où l’on prend parti pour M. Morus, que son naturel trop prompt, sa trop grande liberté de parler, et la trop forte passion de s’élever au-dessus des autres, avaient souvent donné lieu aux inimitiés qui avaient toujours régné entre lui et ses émules. On ajoute qu’on n’avait ouï rien dire à M. Spanheim contre M. Morus, si ce n’est qu’il était altier : on dit aussi qu’au jugement de Saumaise, M. Morus ajoutait trop de foi à de faux amis, et qu’il n’était pas assez laborieux ; mais qu’au reste c’était un très-bel esprit, et capable de toutes choses. M. Diodati, dans une lettre [2] qu’il écrivit en faveur de M. Morus à M. de Saumaise, avoue que ce ministre ne s’était jamais porté qu’à une défense innocente, mais qu’il l’avait fait avec de la chaleur et de la vigueur, qui avait souventes fois nui à ceux qui l’avaient aggressé ; ..... Que son naturel était bon, et sans fraude ni arrière-pensée, franc et noble, prompt et fort sensible aux indignités, mais qui se revenait aisément ; qui ne provoquait point, mais aussi qui avait de terribles ergots pour se défendre. Je n’ai guère vu de personne (poursuit-il) qui se soient glorifiées de l’avoir entrepris. Conscia virtus, et si vous y ajoutez, genus irritabile vatum, le rendent bien armé contre ses assaillans. Qu’il me soit permis de faire une réflexion en peu de mots, sur l’illusion que l’on se fait en matière d’amitié. Voilà M. Diodati qui, parce qu’il avait de la tendresse pour M. Morus, ne compte pour rien un défaut très-capital et très-indigne d’un ministre, je veux dire un esprit vindicatif au souverain degré, une fierté et un emportement extrêmes : c’est dans le fond flétrir un ministre, et le destituer entièrement de l’esprit évangélique qui doit être inséparable de son caractère, que d’avouer ce que M. Diodati en avoue ; et néanmoins il ne croyait pas que ce fût rabattre grand’chose des louanges qu’il répandait à pleines mains sur son ami. Il excuse le mieux qu’il peut l’humeur vindicative de M. Morus : L’importunité, dit-il [3], de ses malveillans semblait bien mériter que de fois à autre ils fussent ainsi émouchetés, pour leur enseigner le repos. Je vois tous les jours des gens qui s’aveuglent de telle sorte sur le chapitre de tel ministre dont ils se seront entêtés, sous prétexte des grands dons qu’ils lui attribuent, qu’ils parlent de son ismaélisme [4] presque avec éloge. C’est un dangereux ennemi, disent-ils, que monsieur un tel, il a bec et ongles, malheureux qui se joue à lui [5], comme s’il s’agissait de parler à la païenne d’un colonel de dragons, ou comme si un ministre de l’Évangile était un chevalier du Chardon, armé d’une devise menaçante, Nemo ne impunè lacessit, nul ne s’y frotte [6].

Qui me commorit, (meliùs non tangere, clamo)
Flebit ; et insignis totâ cantabitur urbe [7].


Il est difficile de croire que de tels ministres soient autrement attachés à la religion que par les liens de la vanité, et parce qu’elle leur fournit les moyens de s’ériger en petits tyrans. Encore un coup, parcourez tous les défauts à quoi la nature humaine est sujette, vous n’en trouverez point de plus opposé à l’esprit du christianisme, que la violence qui paraît dans les querelles de quelques-uns de ces messieurs. Elle témoigne que dans chaque démêlé ils veulent donner à connaître leur puissance, jusques au point que personne à l’avenir ne soit assez téméraire pour leur résister. Sans avoir lu Homère, ils mettent mieux en pratique les paroles d’Agamemnon, qu’aucun texte de l’Écriture.

...Ἐγὼ δέ κ᾽ ἄγω Βρισηΐδα καλλιπάρῃον
Αὐτὸς ἰὼν κλισίην δέ, τὸ σὸν γέρας, ὄϕρ᾽ εὖ εἰδῇς
Ὅσσον ϕέρτερός εἰμι σέθεν, ςυγέῃ δὲ καὶ ἄλλος
Ἶσον ἐμοὶ ϕάσθαι, καὶ ὁμοιωθήμεναι ἄντην.

.....Ego autem abducam Briseïda pulchram-genas,
Ipse profectus al tentorium, tuum prœmium : ut benè intelligas
Quantò potentior sum te : timeat autem et alius
Æqualem se mihi dicere, et comparari contrà [8].


Voyez Milton aux pages 44 et 190 de sa Réplique. Voyez aussi l’Histoire de l’Édit de Nantes, où l’on avoue que Morus entre ses belles qualités en avait qui ne lui faisaient pas honneur ; qu’il était imprudent, impérieux, satirique, méprisant ; et qu’il ne trouvait presque rien de bon que ses ouvrages, et les louanges de ses approbateurs [9].

(B) Quelques-uns prétendent que ce fut pour chagriner M. Spanheim. ] Sorbière sera mon garant ; car voici ce qu’il écrit à M. Patin [10] : Je ne vous puis dire de M. Spanheim, que ce que l’on publiait lorsqu’il fut décédé, que Saumaise l’avait tué, et que Morus avait été le poignard. L’histoire est longue, et pour la toucher en peu de mots, je n’ai à vous dire si ce n’est que M. de Saumaise n’aimait point feu M. Spanheim, par quelque jalousie d’esprit et de réputation dans l’école ; que pour le mortifier il fit appeler en Hollande M. Morus, duquel il ne connaissait que le nom, mais qui était le fléau et l’aversion de son collègue ; que le docteur remua ciel et terre pour l’empêcher de venir, et qu’il mourut lorsqu’il eut nouvelles que son adversaire était en chemin..... joint à cela un court éloge de M. Spanheim, et puis il ajoute touchant M. Morus, je n’en puis pas porter mon jugement sans vous le rendre suspect, pour ce qu’il est mon intime ami depuis le collége, c’est à-dire depuis plus de vingt-cinq ans, et que j ai livré pour lui des batailles où le père Jarrige s’est rencontre : Mais il est très-certain, et tout le monde avoue qu’il a l’esprit tout de feu, qu’il a de vastes pensées, qu’il brille et qu’il éclate extraordinairement.

La lettre que M. Spanheim écrivit à Vossius, au mois de mars 1648 [11], mérite d’être considérée, et peut servir de confirmation à quelques-unes des choses que Sorbière vient de nous dire. On y trouve en particulier ce fait-ci, que M. Godefroi [12] m’avait écrit un témoignage si avantageux et si glorieux à M. Morus, que par haine pour M. Spanheim. Celui-ci menaçait de faire savoir au public tout ce qui s’était passé à Genève par rapport aux bons témoignages que M. Morus y avait obtenus, et quelle avait été la vie et la conduite de M. Morus. J’apprends par la même lettre, que M. Morus protesta avec serment aux magistrats de Genève, qu’il n’avait point eu en vue M. Spanheim dans la harangue dont je parlerai ci-dessous [13].

(C) Il partit de Genève chargé d’un très-bon témoignage d’orthodoxie. ] Ce témoignage lui fut donné par l’église de Genève, le 25 de janvier 1648 : il est tout du long en latin et en français dans le Fides publica de M. Morus [14] ; et l’on y voit de plus que les ennemis de ce ministre, pour frustrer les bonnes intentions de Saumaise qui le voulait établir en Gueldre, professeur en théologie, répandirent dans le monde que M. Morus était un pernicieux hérétique, qui non-seulement croyait que, selon les intentions de Dieu, Jésus-Christ a souffert également pour tous les hommes, et que le péché d’Adam ne nous est pas imputé ; mais aussi que le Saint-Esprit n’est point Dieu, ou que l’on n’est pas obligé d’être persuadé qu’il le soit. L’église de Genève donna là-dessus à l’accusé un témoignage si plein d’éloges, qu’il a plus l’air d’un panégyrique de rhétoricien, que d’une sentence d’absolution. M. Morus y paraît plus blanc que neige à tous égards, et pour la doctrine, et pour la bonne vie. On y soutient que ses plus passionnés ennemis ne peuvent lui reprocher quoi que ce soit qui mérite aucune censure [15]. Nous verrons néanmoins ci-dessous [16], que Milton reçut de Genève divers mémoires qui noircissaient terriblement M. Morus.

(D) Il fit une éclipse à sa profession en histoire, par un voyage en Italie qui fut assez long. ] On voit dans une harangue latine qu’il récita à Amsterdam, après son retour d’Italie, pourquoi il n’était pas retourné plus tôt. Il y expose plusieurs dangers qu’il avait courus. Au reste, ceux qui disent qu’il entreprit ce voyage sans en avertir ses supérieurs n’ont pas trop de tort ; car le congé qu’il obtint à Amsterdam, le 20 de décembre 1654, n’avait été demandé que pour un voyage en France, qui devait durer trois ou quatre mois. Mais quand M. Morus fut de retour, il se présenta au synode de Leyde au mois de mai 1656, et dit qu’il avait trouvé en Italie de grandes apparences d’y avancer la gloire de Dieu, par la prédication de l’Évangile. Il fut remercié de ses bons conseils.

(E) Il n’eut pas sujet de se repentir du voyage d’Italie. ] On conte qu’étant tombé dangereusement malade à Florence, il dit tant de belles choses au médecin qui le traitait, que ce médecin en fut tout rempli d’admiration, et qu’en ayant rendu compte au grand-duc, il lui inspira le désir de voir ce docte étranger ; de sorte que M. Morus, étant guéri, fut introduit à l’audience de son altesse, et la charma tellement par ses discours, qu’il en reçut dans la suite plusieurs marques d’une estime et d’une affection particulière. D’autres disent que M. Morus était connu de ce prince avant qu’il tombât malade. Voici ce qu’on trouve dans un petit livre qui vient de paraître [17] : Le grand-duc de Toscane reçut humainement M. Morus dans ses états et dans sa capitale, il le favorisa de son amitié et de son estime, il lui envoya son médecin dans la maladie qu’il eut à Florence, et lui fit un riche présent, digne de celui qui le donnait, et digne de celui qui le recevait......... On dit que le médecin que ce duc envoya pour visiter ce malade, et pour le traiter dans sa maladie, fut tellement surpris, dans les entretiens qu’il eut avec lui, de l’entendre raisonner avec tant de force, tant de profondeur et tant de pénétration sur toute sorte de sciences et principalement sur la médecine, qu’il avoua, quelque habile qu’il fût lui-même dans sa profession, que son malade en savait plus dans la médecine, qu’il n’en avait appris lui-même dans cette science, où il avait donné tous ses soins et toutes ses veilles.

(F) Après quelques bourrasques essuyées dans les synodes wallons. ] En effet au mois d’avril 1659, le synode de Tergou le cita, sur quelques plaintes qui avaient été portées contre lui. Il alla bien à Tergou, mais il ne jugea pas à propos de se présenter au synode ; il fit seulement savoir à la compagnie qu’il ne dépendait plus que des églises de France, auxquelles il s’était engagé. Il ne prévint point par-là sa condamnation, comme il l’avait cru ; car le synode déclara qu’il n’était point en état d’exercer avec édification son ministre en ce pays, ni d’y communier [18]. Le synode de Nimègue confirma ce jugement au mois de septembre 1659 [19], nonobstant les lettres de l’église de Paris, touchant l’admission de M. Morus à cette église, accompagnées d’un acte du synode d’Aï, du 8 mai 1659, qui ratifiait cette admission. M. de Thou, qui était alors ambassadeur de France à la Haye, se mêla de la chose en faveur de M. Morus, par un grand mémoire qu’il présenta à MM. les États généraux, qui ordonnèrent, par acte du 6 avril 1660, communiqué au synode de Harlem, qu’on les informât des procédures qui avaient été tenues dans cette affaire. Ce synode députa trois pasteurs et deux anciens à MM. les États, pour leur donner l’éclaircissement qu’ils souhaiteraient. Je pense qu’on en demeura là.

(G) Toutes leurs accusations furent éludées ou trouvées nulles. ] Rapportons ce que l’on trouve sur ce sujet dans l’Histoire de l’Édit de Nantes. Le commissaire du roi au synode national de Loudun « ne s’opposa point à la lecture des informations envoyées de Hollande contre Alexandre Morus, de qui le ministère était alors recherché par l’église de Paris. Il voulut bien même qu’en jugeant on eût égard à ces actes, et que les avis y fussent fondés ; mais il fit insérer dans l’arrêté du synode une espèce de protestation qui portait que le jugement serait rendu suivant les libertés de l’édit, les lois de la discipline et les usages du royaume, sans s’assujettir à nulle autorité, juridiction, ni jugement étranger, ni renvoyer l’étranger à la juridiction, ou au jugement d’autres que ceux du royaume, ce qui serait contraire aux ordonnances et édits, bien et avantage des sujets du roi. Par ce moyen ce fut le commissaire plutôt que le synode qui jugea l’affaire, parce que l’instruction n’en étant pas achevée dans le pays où l’accusation était née, et la protestation du commissaire empêchant d’y renvoyer Morus, pour se justifier sur les lieux, on ne trouvait pas les informations suffisantes pour le convaincre. Il fut donc absous, et on confirma la vocation qui lui était adressée. Mais il serait malaisé de dire si cette vocation fit plus de bien que de mal, parce qu’elle porta dans le consistoire et dans l’église une si grande division, que l’un des partis appelait édification ce que l’autre appelait scandale ; qu’il parut de grands excès d’un côté, des soupçons de passion de l’autre ; quelque chose de trop recherché pour détruire Morus, et quelque chose de trop violent pour le maintenir. Un synode provincial de la province de Berri termina l’affaire par la permission du roi ; et on l’accusa d’avoir été un peu partial en faveur de l’accusé, et de s’être fait un peu trop de plaisir de mortifier un consistoire aussi célèbre que celui de Charenton, qui, par le mérite et la capacité de ceux qui le composaient, était alors comme l’oracle de toutes les églises [20]. »

(H) M. Daillé.... l’avait servi de tout son crédit dans plusieurs synodes. ] Je me suis cru obligé de mettre ici les insultes que les adversaires de M. Daillé lui firent pour ce sujet, et ce qu’il leur répondit pour sa justification, car cela fait partie des aventures de M. Morus. Voici donc ce que le sieur Cottiby, autrefois ministre à Poitiers, reprocha à M. Daillé [21] : Ce qui me surprend davantage, c’est de me voir accusé par vous, monsieur, de qui j’aurais espéré le plus de protection et de support, si par malheur il m’était arrivé de tomber dans quelque faute qui m’eût obligé de comparaître devant ces tribunaux où vous tenez d’ordinaire un rang si éminent : car que ne devais-je point raisonnablement attendre d’un homme qui, en la personne de l’un de ses confrères, s’est déclaré le défenseur et l’avocat de l’une des plus impures vies du monde ; et qui, après avoir plaidé sa cause dans un synode provincial de l’Île-de-France, a bien été assez hardi, dans le national, dont il était le chef, (digne chef d’un tel corps), de le maintenir hautement, je ne dirai pas contre les fidèles mémoires des ministres de Rouen, de Caen et de Lyon ; mais, ce qui est plus étonnant, contre une foule d’accusations de quelques provinces entières, et tout cela par je ne sais combien de détours bien moins innocens que ceux de la langue. Le père Adam fit à peu près les mêmes reproches ; mais voici ce que M. Daillé lui répond [22] : « Pourquoi voulez-vous que je l’eusse condamné et jugé indigne des offices que la charité doit à tous ses prochains dans le besoin, moi qui l’avais ouï, moi qui ne l’avais pas seulement ouï, mais qui, après avoir pris une exacte connaissance de la cause avec toute la diligence et toute l’application d’esprit dont je suis capable, étais demeuré convaincu de son innocence ? Quand je n’aurais dû ces petits devoirs qu’à ma conscience, son sentiment me justifie assez contre les violences et les médisances étranges où votre prosélyte s’emporte contre moi en cet endroit. Mais vous et lui avez d’autant plus de tort de blâmer ma conduite dans cette affaire, que j’y ai rendu les offices que vous reprenez non proprement à mon sentiment particulier, mais à l’ordre de mes supérieurs ; premièrement à l’ordre du consistoire de mon église, qui me chargea, moi et les autres députés, de cette affaire, dans le synode de l’Île-de-France dont votre prosélyte fait mention, et qui fut celui qui se tint à la Ferté-sous-Jouarre, l’an 1655, et puis deux ans après à l’ordre, non de mon consistoire et de mon église seulement, mais aussi du synode entier de ces provinces, tenu à Aï en Champagne, l’an 1659. J’ai fait le moins mal qu’il m’a été possible, ce que les compagnies dont je dépends m’ont enjoint et commandé expressément, ce que ma conscience, bien loin d’en être choquée, approuvait comme juste et raisonnable. Quel crime ai-je commis en cela ? Certainement quand au fond le défenseur serait aussi coupable comme je le tiens innocent, toujours est-il évident que je n’aurais point de part dans le vice qui, en ce cas-là, se trouverait dans les deux jugemens qui l’ont justifié ; car j’y ai seulement défendu une cause que je croyais et que je crois encore très-juste : je n’ai eu et n’ai pu avoir de voix dans la sentence qui y a été prononcée. J’y ai fait l’office de l’avocat et non de juge. Encore faut-il que j’ajoute que je ne fis ni l’un ni l’autre dans le synode national qui a prononcé le dernier arrêt sur cette affaire ; le défenseur qui était présent y ayant lui-même plaidé sa cause en cinq ou six séances entières, avec tant de force et d’évidence, que grâces à Dieu il n’eut besoin de l’aide d’aucun. » Voyez ci-dessous la remarque (M) vers la fin.

(I) Sa manière inimitable de prêcher. ] Elle consistait en certaines saillies d’imagination qui contenaient des allusions ingénieuses, et je ne sais quel air de paradoxe fort capable de surprendre l’auditeur, et de le tenir toujours attentif. Mais la manière dont il débitait ces choses en faisait le principal agrément. De là vient que sur le papier ses sermons ne sont pas à beaucoup près si admirables, et que la plupart de ceux qui ont voulu l’imiter se sont rendus ridicules. Le désir de limiter, qui commençait à gâter beaucoup de jeunes ministres, obligea le synode de l’Île-de-France, en l’année 1675, à faire un acte qui fut lu en chaire à Charenton et ailleurs, par lequel on commandait d’éviter, dans l’exposition de la parole de Dieu, les jeux d’imagination et de mots, etc. On sera bien aise de voir ici le jugement d’un historien qui est sans comparaison meilleur connaisseur que moi. Il était, dit-il en parlant de notre Morus [23], extraordinairement suivi du peuple ; et ceux qui se connaissaient le moins à ce qui mérite l’admiration, étaient néanmoins ses plus passionnés admirateurs. On disputait entre les personnes de bon goût, si ce qu’on trouvait en lui de plus beau était solide ou apparent, et si on le devait nommer un éclair ou une lumière. Mais ceux-mêmes qui prononçaient contre lui ne pouvaient s’empêcher de l’entendre avec plaisir, et de sentir en eux les mêmes mouvemens qu’il excitait dans les autres. Quelques-uns ont cru qu’il avait beaucoup moins d’érudition qu’on ne se l’imaginait communément ; mais personne n’a douté qu’il ne sût mettre en œuvre fort heureusement ce qu’il possédait, et donner un grand lustre à ce qu’il exposait au justement du public. Quoi qu’il en soit, jamais homme n’a reçu des applaudissemens plus flatteurs que lui, et n’a pu s’appliquer mieux ce qu’on a dit de quelque autre, que s’il ne méritait pas les jugemens avantageux qu’on faisait de lui, au moins il ravissait à ses auditeurs la liberté d’en faire de désobligeans. Il avait dit, dans la page 316, que les manières de Morus ne plaisaient pas à tout le monde, et qu’on a vu presque toujours mal réussir ses imitateurs.

(K) On le traduisit tout de nouveau aux synodes. ] On peut dire que M. Morus ne fut pas long-temps en paix dans l’église de Paris ; car, dès le mois de septembre 1661, on porta des plaintes contre lui au consistoire, qui n’eurent point de suite ; et peut-être n’en eurent-elles point à cause qu’il demanda son congé pour aller en Angleterre, au mois de décembre 1661. Il en revint au mois de juin 1662. Tout aussitôt les plaintes ayant été renouvelées, le consistoire ordonna qu’il serait ouï, mais qu’en attendant il s’abstiendrait de prêcher. Ses partisans le voulurent faire prêcher en dépit du consistoire, et pour cet effet ils se saisirent des avenues de la chaire, et ne voulurent point souffrir que le fils de M. Daillé y montât ; ce qui causa un si terrible désordre, qu’il n’y eut point de prédication le matin de ce dimanche. Quelques chefs de famille eurent recours au parlement, qui ordonna, le 27 de juillet 1662, que l’on assemblerait un colloque. Ce colloque suspendit M. Morus pour un an. Le synode de l’Île-de-France confirma et aggrava même cette suspension ; mais celui de la province de Berri, auquel ce ministre en appela, le rétablit dans sa charge [24]. Ces sortes d’appels étaient permis par les réglemens des synodes nationaux.

(L) On verra ci-dessous le titre de ses ouvrages. ] On a de lui un traité de Gratiâ et libero Arbitrio ; un autre de Scripturâ sacrâ sive de causâ Dei [* 1] ; un commentaire sur le chapitre LIII d’Isaïe ; des Notes ad loca quædam novi Fœderis [* 2] ; une réponse à Milton, sous le titre de Alexandri Mori Fides publica ; des harangues et des poëmes en latin. Depuis sa mort on a imprimé quelques fragmens de ses sermons, et même quelques sermons tout entiers [25] : disons un mot sur ses harangues. Il en prononça trois à Genève, qui sont fort belles : la latinité en est plus docte qu’élégante ; il aimait les phrases peu communes, et les significations de mots dont on ne trouvait presque point d’exemples. De ces trois harangues il y en a une qui est un panégyrique de Calvin, et une autre qui a pour titre, de Pace, dans laquelle il condamna fortement, sans nommer personne, MM. Amyraut et Spanheim, qui étaient en guerre ouverte sur la grâce universelle. Il leur dit leurs vérités comme il faut. Ce fut une véritable mercuriale ; il s’en donna au cœur joie. Disons aussi un petit mot sur ses poésies latines. On estime beaucoup celles qu’il fit sur la naissance de Notre-Seigneur, et pour rendre grâces à Dieu après une grande maladie. M. Pérachon, qui était alors protestant, les traduisit en vers français, et les publia à Paris, l’an 16.... [* 3] Je ne me souviens point d’avoir vu d’autres vers français de M. Morus, que la réponse qu’il fit sur les mêmes rimes à un sonnet que Corras lui adressa après son abjuration.

(M) La querelle qu’il eut avec Jean Milton. ] L’origine de cette querelle fut qu’en 1652 M. Morus fit imprimer à la Haye un livre de Pierre du Moulin le fils [26], et le dédia sous le nom de l’imprimeur [27] au roi de la Grande-Bretagne. Ce livre, intitulé Regii sanguinis Clamor ad cœlum adversùs Parricidas anglicanos, est une invective bien poussée contre les parlementaires : Milton en particulier y est extrêmement maltraité. L’épître dédicatoire ne le ménage pas mieux ; mais il est déchiré en pièces beaucoup plus furieusement dans les vers qui sont à la fin du livre. Milton, qui avait laissé sans repartie divers écrits violens publiés contre les parlementaires, ne put garder le silence à l’égard de celui-ci, où il se voyait personnellement intéressé, tant par les éloges immenses que l’on y donnait à Saumaise, que par les injures terribles dont il s’y trouvait accablé. Il répondit donc, et supposa, soit de bonne foi, soit par ruse, afin d’avoir plus de prise sur celui qu’il réfuterait, que cet ouvrage avait Morus pour auteur [28]. Il le traita comme un chien, ou plutôt comme un bouc ; car il l’accusa de mille impudicités, et nommément d’avoir débauché une servante à Genève, et de l’avoir entretenue depuis qu’elle eut un mari ; et d’avoir engrossé la femme de chambre de madame de Saumaise, sous promesse de mariage. Il l’accusa d’avoir été convaincu de diverses hérésies à Genève, et de les avoir honteusement abjurées de bouche, mais non pas de cœur. Il l’accusa d’avoir été huit ou dix mois dans Genève, privé de ses gages et de ses fonctions de professeur et de ministre, à cause du procès d’adultère, etc., qui lui avait été intenté, dont l’issue, dit-il, aurait été sa condamnation, s’il n’eût esquivé le jugement définitif, en déclarant qu’il voulait sortir de la ville. Il l’accusa d’avoir été interdit des fonctions du ministère par les magistrats d’Amsterdam : enfin il le diffama de la manière du monde la plus cruelle, répandant sur les contes qu’il en faisait un tas de railleries bouffonnes. M. Morus lui opposa une pile d’attestations d’orthodoxie et de bonne vie, que les consistoires, les académies, les synodes et les magistrats des lieux où il avait vécu lui avaient données. Il lui fit voir que les juges, tant civils qu’ecclésiastiques, qui avaient connu des prétentions de la femme de chambre de madame de Saumaise, les avaient déclarées nulles, et qu’il était sorti pur et net de celle affaire, malgré le complot de cette dame, qui avait mis tout en œuvre contre lui [29]. Il fit voir par des certificats authentiques des magistrats d’Amsterdam, du consistoire wallon, et des curateurs de l’école illustre de la même ville, qu’il m’avait jamais été interdit de ses fonctions de ministre. Je n’ignore pas qu’il n’y ait des exceptions à alléguer contre les certificats de bonne vie, et qu’il ne soit un peu étrange que ceux que Morus obtint à Genève aient été si différens du témoignage de la voix publique : car, après tout, il est certain que Milton avait reçu des mémoires de Genève, et qu’il produit [30] une lettre écrite de cette ville, qui assure que tout le monde admirait qu’il eût été si fidèlement instruit sur le chapitre de M. Morus. Il ne demeure point court à l’égard des certificats : il dit [31] en particulier de ceux de Genève, qu’ils furent donnés avant que les accusateurs de M. Morus pour fait d’adultère l’eussent attaqué formellement. On sait d’ailleurs que la plus grosse tempête que ce ministre ait essuyé à Genève, s’éleva depuis les attestations obtenues le 25 de janvier 1648 : et quelqu’un a publié [32] que le magistrat de cette ville cassa l’acte de déposition décrétée contre M. Morus par le consistoire ; et qu’il commanda au consistoire de donner à ce ministre un témoignage de bonne vie. Mais enfin il y a incomparablement plus d’exceptions à alléguer contre les bruits diffamatoires, qu’un auteur comme Milton est capable de recueillir, que contre les certificats : de sorte que, tout bien compté, je serais d’avis que, vu ceux qui ont été produits par sa partie, et les inconvéniens qu’on aurait à craindre si des accusations vagues, et sans preuve juridique, l’emportaient sur des justifications revêtues de formalités, il demeurât chargé de la note d’un calomniateur public, sauf dans les faits où il se pourrait munir du secours de quelques actes authentiques. Je serais d’avis nommément que le distique qu’il fit insérer dans la gazette de Londres, fût déclaré une turlupinade diabolique. Le voici : car je ne crois pas que M. Colomiés [33] ait voulu parler d’un autre distique.

Galli ex concubitu gravidam te, Pontia [34], Mori,
Quis benè moratam morigeramque neget ?


La haine de Milton a été assez opiniâtre, comme il paraît par une lettre [35] qu’il écrivit lorsqu’il s’agissait de l’affaire de M. Morus au synode national de Loudun. Il croyait que, quand même on n’y ordonnerait autre chose que la déposition de ce ministre, il arriverait à ce synode ce qui n’était encore arrivé à aucun autre, c’est-à-dire d’avoir une heureuse issue. Synodo intereà protestantium Laodunensi [36], propediem, ut scribis, convocandæ, precor id quod nulli adhuc synodo contigit, felicem exitum, non Naziansenicum, felicem autem huic nunc satis futurum si nihil aliud decreverit quàm ejiciendum esse Morum. Cette lettre est datée du 20 décembre 1659 ; c’est-à-dire du 30 selon le nouveau style. Le synode avait donc déjà duré près de deux mois, et cependant Milton en parle comme d’une assemblée à venir ; ce qui fait voir qu’il n’avait guère de correspondances en France. Dans une autre lettre [37] il parle encore plus durement de la vocation de M. Morus à Charenton ; c’est sans le nommer.

(N) Il y a des choses dans le Ménagiana qui lui sont glorieuses. On y en trouve aussi qui ne le sont point. ] « M. Morus déclara avant que de mourir, que personne ne l’avait plus tenté que moi de changer de religion. Madame la duchesse d’Aiguillon me donna ordre de lui offrir de sa part quatre mille livres de pension. Je fis parler de cette affaire à M. de Péréfixe, alors archevêque de Paris, par M. l’abbé Gaudin, et M. de Péréfixe en parla au roi. Sa majesté dit là-dessus qu’il n’était pas temps, et que cela ferait tort à M. Morus, parce qu’il était alors en procès avec ses confrères. M. Morus mettait la division partout où il se trouvait. Il l’avait mise en Hollande et ailleurs, de même qu’à Paris. Je le comparais à Hélène, qui avait excité la guerre partout où elle avait été [38]... M. le maréchal de Grammont étant allé, par ordre du roi, voir le ministre Morus qui était malade à l’extrémité, à son retour le roi lui demanda comment il était ? Le maréchal lui dit : Sire, je l’ai vu mourir, il est mort en bon huguenot ; mais une chose en quoi je le trouve encore plus à plaindre, c’est qu’il est mort dans une religion qui n’est maintenant non plus à la mode qu’un chapeau pointu [39]. »

(O) Un de ses derniers panégyristes raconte un fait qui n’est pas vrai. ] « La Sorbonne en [40] fut un jour tout alarmée, et il se passa une chose glorieuse pour M. Morus, qui fit rougir tous ses docteurs, et qu’ils regardèrent comme une espèce d’enchantement. Un homme, dont le visage ne leur était nullement connu, et qu’ils prirent d’abord pour quelque prêtre de village, s’étant trouvé dans une de leurs disputes, demanda au professeur qui présidait alors dans cette assemblée, s’il lui voulait permettre de proposer quelques argumens. Ce qui lui ayant été accordé, il s’en acquitta d’une manière qui lui gagna bientôt l’estime de tous ces docteurs ; et comme ce nouvel antagoniste poussait ces argumens d’une terrible force, et au delà de ce qu’on en devait attendre, ils passèrent de l’estime à l’admiration. Mais quand ils virent que ce puissant adversaire les poussait à bout, et qu’ils ne savaient plus que répondre à la force de ses raisons, toute leur admiration et toute leur estime se changea en colère et en indignation, et la dispute s’échauffa si fort, que s’il ne fût sorti adroitement de ce lieu si dangereux, il avait à craindre quelque mauvais tour : mais il imita Jésus-Christ, notre grand maître, quand il sortit du temple pour éviter les embûches des pharisiens qu’il venait de confondre ; de même notre Morus, après avoir fermé la bouche aux pharisiens de ces derniers siècles, les amusa par de douces paroles, sortit de leur synagogue, et ainsi s’en alla. Après qu’il leur eut échappé, ils le firent suivre de loin par un de leurs disciples, pour découvrir le lieu où il entrerait, et pour s’informer ensuite quelle était cette espèce d’homme, qui en savait lui seul plus que toute la Sorbonne ensemble : ce qui ayant été remarqué par celui qu’ils désiraient tant de connaître, il se tourna vers celui qui le suivait, et ne lui dit que ces deux mots en le quittant : Memento Mori ; ce qui fit juger d’abord à ceux qui l’avaient envoyé, que celui qui leur avait donné tant de peine était cet homme si célèbre, l’une des colonnes de l’église de Charenton, et la terreur de la religion romaine [41]. » Voilà ce qu’on trouve dans un ouvrage qui paraît depuis un an, et qui mérite d’être lu. Il y a plus de vingt-cinq ans que je fis ce conte en présence d’un docteur en théologie, curé de R., homme d’esprit et fort versé dans les coutumes de sa religion. J’étais persuadé de ce fait ; car je l’avais ouï dire en diverses occasions à d’habiles gens, et à l’âge que j’avais alors, je ne me défiais guère de ce qui était narré par de telles bouches [* 4]. Le docteur me répondit, voilà un fort joli conte ; la conclusion en est fort ingénieuse ; mais soyez assuré que c’est un roman ; car ceux qui proposent des argumens contre les thèses qui sont soutenues en Sorbonne, sont toujours des gens connus, et gradués dans la faculté, et revêtus même des habits, ou des ornemens de cérémonie qui leur conviennent. Si l’auteur du conte avait su cela, il aurait choisi une autre scène,

(P) Le jugement de M. Chevreau… est très-conforme..., et témoigne en même temps que les choses qu’on écrit à un homme ne ressemblent pas toujours à celles que l’on écrit de lui… à d’autres gens. ] Lisez les deux lettres qu’il lui écrivit l’an 1660 [42], l’une en français, et l’autre en latin ; et comparez les avec ce passage de sa lettre à M. le Fèvre : « Vous savez qu’il y a des hommes qui naturellement aiment le parfum de quelque côté qu’il puisse venir, qui le demandent comme une dette, et qui s’y sont tellement accoutumés, qu’on ne leur peut plaire qu’avec un encensoir à la main. C’est une faiblesse qui fait pitié, mais qui est humaine : outre que la profonde érudition de notre ami [43] dans les belles-lettres, la connaissance exacte qu’il a du grec, et de toutes les langues orientales, méritent bien qu’on le considère, et qu’on le distingue d’avec tant d’autres qui ne lui ressemblent que par son défaut. Ce qui m’en a plu dans les fréquentes conversations que nous avons eues, c’est qu’il m’a toujours dit de bonne foi qu’il était infiniment au-dessous de M. Daillé, qu’il croit plus solide que votre Calvin. Avec tout cela, un proposant que vous connaissez vient de m’assurer que M. Morus l’emporte, du consentement de tout le monde, sur M. Daillé ; que ses actions publiques d’imagination et de boutade, plaisent beaucoup plus par leur nouveauté, que l’éloquence de M, Daillé qui serait son maître [44]..... Ce que je crains, est qu’il ne s’entête de ces merveilleux applaudissemens ; qu’il n’ait pas la force de se faire la moindre violence dans son humeur libre ; et qu’il ne succombe dans son penchant,... sans avoir égard à son caractère, à sa réputation et à sa fortune [45]. M. Morus, dit-il dans une autre lettre [46], a beaucoup d’érudition et d’esprit : peu de religion et de jugement. Il est malpropre, ambitieux, inquiet, changeant, hardi, présomptueux et irrésolu. Il sait le latin, le grec, hébreu, l’arabe ; et ne sait pas vivre. »

  1. * Middelbourg, 1653, in-4o., dit Joly.
  2. * Londres, 1661, in-8o., dit Joly, d’après Lelong.
  3. * Dans la Bibliothéque française, XXXIX, 262, on remarque que Bayle en employant le pluriel, semble parler ici de deux poëmes différens. Il ne s’agit pourtant que d’un seul, qui est celui que Perrachon a traduit sous le titre de : Poëme sur la Naissance de Jésus-Christ, Paris, 1665, in-folio, dit Joly, réimprimé en 1669.
  4. * Cette rétractation de Bayle prouve sa bonne foi. Joly et Leclerc le louent de s’être rétracté.
  1. Au-devant de la II. Apologie de Milton, édit. Hagæ Comit. 1654. George Crantzius, docteur en théologie, est l’auteur de cette préface.
  2. Produite dans le Fides publica, pag. 111 et suiv.
  3. Fides publica, pag. 114.
  4. Milton, Defensio pro se, pag. 134, produit une lettre où l’on dit de M. Morus ce qui fut prédit d’Ismaël, que ses mains étaient contre tous, et les mains de tous contre lui.
  5. Δυσμενέων παῖδες τῷ σῷ μένες ἀιτιασείαν. Voyez Homère, Iliad., lib. VI, vs. 127.
  6. C’était celle d’un roi de Navarre. Voyez le père Bouhours, Entret. des Devises, pag. m. 463, 464.
  7. Horat., sat. I, vs. 45, lib. II.
  8. Homer., Iliad. lib. I, vs. 184.
  9. Histoire de l’Édit de Nantes, tom. III, pag. 454.
  10. Sorbière, lettre LXIV, pag. 442.
  11. Elle est la CDXLVIIe., parmi celles qui ont été écrites à Vossius.
  12. Professeur en droit à Genève.
  13. Dans la remarque (L).
  14. Pag. m. 81.
  15. Si vitæ integritatem spectes, hinc te niveus morum candor retrabit, illinc admirabilis et sibi semper constans innocentia. Apostolus vult episcopum esse ἀνέγκλητον. Nihil utique illi vel ab infensissimis hostibus et livoris felle maligno turgentibus meritò objici queat, quod justæ sit reprehensioni obnoxium.
  16. Dans la remarque (M), citation (30).
  17. Panégyrique de M. Morus, imprimé à Amsterdam, 1695, pag. 14.
  18. Voici les paroles du synode, article XXVII : La compagnie a déclaré que ledit Alexandre Morus était incapable d’exercer aucune fonction du saint ministère de l’Évangile au milieu de nous, et d’y participer à la sainte cène du Seigneur, jusques à ce que, par une sincère repentance de ses péchés et une conversation sans reproche, il ait réparé tant de scandales qu’il nous a donnés, etc.
  19. La compagnie a jugé, que la compagnie alors avait eu de très-suffisantes raisons pour prononcer cette sentence ; et partant, le présent synode a approuvé, ratifié, et confirmé de nouveau l’article 27 du précédent synode. Actes du synode de Nimègue du mois de septembre 1659, article XXI.
  20. Histoire de l’Édit de Nantes, tom. III, liv. V, pag. 315, à l’ann. 1659.
  21. Cottiby, Réplique à M. Daillé, pag. 17.
  22. Daillé, Réplique au père Adam, part. III, pag. 154.
  23. Histoire de l’Édit de Nantes, tom. III, liv. II, pag. 453.
  24. Tout ceci est narré amplement dans l’Histoire de l’Édit de Nantes, à la fin du VIIe. livre du IIIe. tome.
  25. À la Haye, 1685. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, mois de mars 1685, pag. 333 de la seconde édition. On a imprimé dix-huit de ses Sermons sur le VIIIe. chapitre de l’Epître aux Romains, à Amsterdam, l’an 1691.
  26. Voyez Daillé, Réplique au père Adam, IIe. part., pag. 127. Colomiés, Biblioth. choisie, pag. 19.
  27. Il y eut des exemplaires où M. Morus mit son nom, à ce que dit Milton, Defens. pro se, pag. 23, 25.
  28. Le Catalogue de la Bibliothéque d’Oxford le donne aussi à M. Morus.
  29. Illa mihi graviter jam dudùm infensa.…... nihil intentatum reliquit ut me in nassam infaustissimi matrimonii compingeret. Quod ubi sensit innotuisse vulgo, me verò palam vehementissimèque reluctari, Acheronta movebo, inquit, et perdam ipsum, quâ sæpè formulâ utitur. Morus, Fides publica, pag. 190.
  30. Milton, Defens. pro se, pag. 132.
  31. Idem, pag. 92, 141.
  32. Ludov. Molinæus, Parænesi ad ædificat., pag. 433.
  33. Bibliothéque choisie, pag. 19.
  34. C’est ainsi qu’il nommait la femme de chambre de madame de Saumaise. M. Morus, sans dire quel était son vrai nom, nie que Milton l’eût bien nommée. Voyez Miltoni Defens. pro se, pag. 164.
  35. C’est la XXIXe.
  36. Il eût fallu dire Juliodunensi, ou Lausdunensi, etc.
  37. C’est la XXIVe., et elle est datée du 1er. d’août 1657.
  38. Ménagiana, pag. 153 de la seconde édition de Hollande.
  39. Suite du Ménagiana, pag. 82.
  40. C’est-à-dire, de la force du génie de M. Morus.
  41. Panégyrique d’Alexandre Morus, imprimé à Amsterdam. chez Jean du Fresne, l’an 1695. pag. 14, 15, 16.
  42. Œuvres mêlées de M. Chevreau, pag. 40 et 50.
  43. C’est-à-dire M. Morus.
  44. Œuvres mêlées de M. Chevreau, pag. 48.
  45. Là même, pag. 49.
  46. Là même, pag. 409.

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