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MORUS.

pensées, qu’il brille et qu’il éclate extraordinairement.

La lettre que M. Spanheim écrivit à Vossius, au mois de mars 1648 [1], mérite d’être considérée, et peut servir de confirmation à quelques-unes des choses que Sorbière vient de nous dire. On y trouve en particulier ce fait-ci, que M. Godefroi [2] m’avait écrit un témoignage si avantageux et si glorieux à M. Morus, que par haine pour M. Spanheim. Celui-ci menaçait de faire savoir au public tout ce qui s’était passé à Genève par rapport aux bons témoignages que M. Morus y avait obtenus, et quelle avait été la vie et la conduite de M. Morus. J’apprends par la même lettre, que M. Morus protesta avec serment aux magistrats de Genève, qu’il n’avait point eu en vue M. Spanheim dans la harangue dont je parlerai ci-dessous [3].

(C) Il partit de Genève chargé d’un très-bon témoignage d’orthodoxie. ] Ce témoignage lui fut donné par l’église de Genève, le 25 de janvier 1648 : il est tout du long en latin et en français dans le Fides publica de M. Morus [4] ; et l’on y voit de plus que les ennemis de ce ministre, pour frustrer les bonnes intentions de Saumaise qui le voulait établir en Gueldre, professeur en théologie, répandirent dans le monde que M. Morus était un pernicieux hérétique, qui non-seulement croyait que, selon les intentions de Dieu, Jésus-Christ a souffert également pour tous les hommes, et que le péché d’Adam ne nous est pas imputé ; mais aussi que le Saint-Esprit n’est point Dieu, ou que l’on n’est pas obligé d’être persuadé qu’il le soit. L’église de Genève donna là-dessus à l’accusé un témoignage si plein d’éloges, qu’il a plus l’air d’un panégyrique de rhétoricien, que d’une sentence d’absolution. M. Morus y paraît plus blanc que neige à tous égards, et pour la doctrine, et pour la bonne vie. On y soutient que ses plus passionnés ennemis ne peuvent lui reprocher quoi que ce soit qui mérite aucune censure [5]. Nous verrons néanmoins ci-dessous [6], que Milton reçut de Genève divers mémoires qui noircissaient terriblement M. Morus.

(D) Il fit une éclipse à sa profession en histoire, par un voyage en Italie qui fut assez long. ] On voit dans une harangue latine qu’il récita à Amsterdam, après son retour d’Italie, pourquoi il n’était pas retourné plus tôt. Il y expose plusieurs dangers qu’il avait courus. Au reste, ceux qui disent qu’il entreprit ce voyage sans en avertir ses supérieurs n’ont pas trop de tort ; car le congé qu’il obtint à Amsterdam, le 20 de décembre 1654, n’avait été demandé que pour un voyage en France, qui devait durer trois ou quatre mois. Mais quand M. Morus fut de retour, il se présenta au synode de Leyde au mois de mai 1656, et dit qu’il avait trouvé en Italie de grandes apparences d’y avancer la gloire de Dieu, par la prédication de l’Évangile. Il fut remercié de ses bons conseils.

(E) Il n’eut pas sujet de se repentir du voyage d’Italie. ] On conte qu’étant tombé dangereusement malade à Florence, il dit tant de belles choses au médecin qui le traitait, que ce médecin en fut tout rempli d’admiration, et qu’en ayant rendu compte au grand-duc, il lui inspira le désir de voir ce docte étranger ; de sorte que M. Morus, étant guéri, fut introduit à l’audience de son altesse, et la charma tellement par ses discours, qu’il en reçut dans la suite plusieurs marques d’une estime et d’une affection particulière. D’autres disent que M. Morus était connu de ce prince avant qu’il tombât malade. Voici ce qu’on trouve dans un petit livre qui vient de paraître [7] : Le grand-duc de Toscane reçut humainement M. Morus dans ses états et dans sa capitale, il le favorisa de son

  1. Elle est la CDXLVIIe., parmi celles qui ont été écrites à Vossius.
  2. Professeur en droit à Genève.
  3. Dans la remarque (L).
  4. Pag. m. 81.
  5. Si vitæ integritatem spectes, hinc te niveus morum candor retrabit, illinc admirabilis et sibi semper constans innocentia. Apostolus vult episcopum esse ἀνέγκλητον. Nihil utique illi vel ab infensissimis hostibus et livoris felle maligno turgentibus meritò objici queat, quod justæ sit reprehensioni obnoxium.
  6. Dans la remarque (M), citation (30).
  7. Panégyrique de M. Morus, imprimé à Amsterdam, 1695, pag. 14.