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MORIN.

repetito Morinus tandem acquievit, Dominamque invisere eâ mente constituit, et procum gerere primâ vice : propior factus œdibus nigrâ veste videt limen obseptum, docentque vicini Sanclari conjugem esse mox ad tumulum efferendam. Id audiens quantùm obstupuerit, cogitate : tùm verò de cœlibatu perpetuo consilium sibi quondàm ducibus astris injectum, certissimum fore decrevit, omnibusque in posterum renunciare nuptiis, et quicquid vitæ reliquum esset in doctrinis ac librorum seu lectione, seu scriptione placido tenore transigere, atque in amicorum convictu suavissimè consenescere. Hoc fixum apud se ratumque nunquàm posteà violavit. Quid enim libero lectulo jucundius ? numquid uni conjugi molestiarum plerumque seminario tot amicos tamque illustres anteferret [1] ? Tout cela est digne d’un professeur en mathématiques. Il fallut souvent revenir à la charge pour lui persuader de se marier : il fallut joindre les motifs de l’utilité aux raisons de la justice ; et, lorsqu’enfin on eut obtenu son consentement, il se prépara à la première visite avec tant de quiétude, que la dame eut le loisir de mourir avant que de la recevoir. Il demandait si peu de nouvelles de sa maîtresse, qu’avant que d’avoir ouï rien dire de sa maladie il sut qu’elle allait être enterrée, et il ne le sut qu’en se portant sur les lieux pour faire la première déclaration d’amour. Cela est bien philosophe.

Son thème natal ne lui présageait que des malheurs du côté du sexe [2]. Il avoue qu’en l’année 1605 il reçut deux grandes blessures à cause d’une femme [3], et qu’après la grâce de Dieu, il doit à l’astrologie le bonheur d’avoir arrêté les funestes suites de son étoile ; car ayant connu ce que pouvait un certain astre dans l’exaltation de Vénus qui se rencontrait dans son horoscope, il prit garde de plus près à lui, et connut d’où étaient sorties les infortunes par où il avait passé à cause des femmes. Tot mala, infortunia, magnaque vitæ pericula mihi propter mulieres acciderunt in juventute, ut jam illa recogitando stupeam, multoque plura et forsan deteriora mihi accidissent, nisi Deus Opt. Max. meî misertus fuisset, ab eisque me liberâsset, et astrologia circà 35 meæ nativitatis annum quo huic scientiæ studere cœpi, infaustæ et mihi per experientiam periculosæ illius constitutionis monuisset [4].

(E) Il eut accès chez les grands, et même chez le cardinal de Richelieu. ] L’auteur de la Vie de Morin parle de cela en ces termes [5] : Richelius cardinalis, immensus ille genius, judicio nunquàm, ubi quempiam pertentâsset, errante, dignum eâ existimatione Morinum duxit, ut ipsum ad secretius Museum admitteret, deque negotiis momenti gravissimi consuleret. C’est un récit bien mutilé, et tel que le donnent les faiseurs d’éloges ; on n’y trouve point le changement du cardinal envers Morin, ni la colère furieuse de cet astrologue contre le cardinal. Suppléons à cette omission. Morin faussement imbu de la pensée qu’il avait trouvé la vraie science des longitudes, et que le cardinal lui faisait une très-grande injustice en lui refusant la récompense qu’une telle découverte méritait [6], conçut un dépit extrême et un vif ressentiment qui a duré autant que sa vie. Il n’alla plus voir cette éminence, et ce ne fut que pour l’amour de M. de Chavigny son patron, et pour la gloire de l’astrologie, qu’il travailla à un pronostic que ce cardinal lui fit demander. Priusquàm Parisiis discederet [7] optavit scire quid de suâ valetudine atque vità sentirem eo in itinere, non quidem per se (quem ab annis 4 non videram ob denegatam mihi remunerationem scientiæ longitudinum à me inventæ [8], utcunque suo scripto cam mihi pollicitus fuisset) sed interposito magnate sibi fidissimo, et mi-

  1. Vita Morini, pag. 6, num. 32.
  2. Voyez la remarque (O).
  3. Die nonâ julii 1605 duo periculosissima vulnera propter famosam mulierem. Morinus, Astrolog. gallica, lib. XXIII, pag. 617. Il y a quelque apparence qu’il prend ici famosus en mauvaise part.
  4. Idem, ibidem.
  5. Pag. 6, num. 33.
  6. Voyez la remarq. (H) à la fin.
  7. C’était pour le voyage du Roussillon, l’an 1642.
  8. Testantur quidem omnes astronomi me scientiam illam perfectè demonstrâsse, sed cardinalis Richelius perfectè et proditione commissariorum meorum me promisso præmio iniquè fraudavit. Morin., Astrolog. gall., lib. XXIV. pag. 687.