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MOPSUS.

(A) Teuchira, l’une des villes de la Pentapole. ] J’ai suivi la pensée du savant M. de Valois [1], qui a prouvé, par Lycophron, que Mopsus fut enterré près de Teuchira. Je ne veux pourtant point dissimuler qu’en examinant le passage de ce poëte ténébreux, je n’aie cru que le tombeau de notre argonaute y a été caractérisé plutôt par rapport à Ausigda, sur la rivière de Cinyphe, que par rapport à Teuchira. Or cette rivière n’est pas peu éloignée de la Pentapole [2]. D’ailleurs, j’avoue que je ne devine point pourquoi M. de Valois prétend que si Mopsus a été enterré dans la Pentapole, Ammien Marcellin n’a pas dû faire mention du rivage d’Afrique et du gazon punique [3] ; mais qu’on peut aisément le justifier par l’autorité de ceux qui ont dit que Mopsus était péri en Afrique ; du nombre desquels sont Tertullien et Apulée, à qui l’on peut associer Apollonius et Sénèque [4] qui le font mourir dans la Libye. Ce raisonnement suppose que la Pentapole n’était point une partie de l’Afrique ; mais je ne saurais m’imaginer, vu le grand nombre d’habiles gens qui soutiennent le contraire, qu’il n’ait été fort permis à Ammien Marcellin de le soutenir aussi : il se guinde quelquefois sur les phrases poétiques, où l’on préfère le nom général au particulier. Après tout, dans la Cassandre de Lycophron, on voit que la côte de Teuchira est appelée le logis inhabité d’Atlas. N’est-ce pas avoir voulu désigner en général les côtes d’Afrique ?

(B) Il fut honoré d’un temple dans la province de Cyrène. ] Si l’on aime mieux le témoignage d’un païen que celui de Clément Alexandrin, on n’a qu’à lire ces paroles d’Apulée : Tantùm eos Deos appellant qui ex eodem numero justè ac prudenter vitæ curriculo gubernato, pro nomine posteà ab hominibus proditi fanis et cerimoniis vulgò advertuntur, ut in Bæotiâ Amphiaraüs, in Africa Mopsus, in Ægypto Osiris, altus aliubi gentium [5]. Lutatius, scoliaste du poëte Stace, dit en parlant du même Mopsus : In tantùm magnus fuit in augurali peritiâ, ut post mortem templa ei dicata sint, à quorum adytis sæpè homines responsa accipiunt. On a déjà vu le témoignage [6] de Marcellin.

(C) Ammien Marcellin fait une faute qui lui est commune avec quelques auteurs. ] C’est qu’il confond l’Argonaute Mopsus avec le fils ou le petit-fils de Tirésias. Barthius [7] observe que même les anciens écrivains les confondent l’un avec l’autre, et il accuse nommément Servius de l’avoir fait : à tort l’en accuse-t-il puisque Servius [8] ne parle qu’en général de Mopsus. L’accusation serait plus juste contre Ammien Marcellin, dont Barthius cite le passage comme une bonne preuve de deux choses : 1°. que le tombeau de Mopsus était en Afrique ; 2°. qu’il n’est pas possible que Strabon ait vu dans la Cilicie le tombeau de ce Mopsus. Il nous laisse à deviner lequel de ces deux anciens auteurs se trompe, et ne voit pas, dans le passage qu’il cite, l’erreur d’Ammien Marcellin. C’est M. de Valois qui l’a remarquée. La chose est claire. Cet historien dit, d’un côté, que la ville de Mopsus a été le siége ou le domicile du devin Mopsus ; et, de l’autre, que ce Mopsus ayant été poussé sur les rivages d’Afrique, en revenant de la conquête de la toison d’or, y mourut ; et que son tombeau y fait des miracles. Celui qui a donné son nom à Mopsueste, et celui qui a fondé diverses villes dans la Cilicie, sont sans doute le même Mopsus : or celui-ci est contemporain de Calchas et d’Amphilochus, et a fleuri après la guerre de Troie ; il n’est donc pas celui qui fit le voyage des Argonautes. Clément Alexandrin n’a pas pris garde à cela, puisque, comme le remarque M. de Valois, il a cru que le Mopsus qui fleurissait au temps de la guerre de Troie avait été de ce voyage. Je ne lui objecte point, comme feraient d’autres [9], la trop longue vie que

  1. Henric. Valesius in Marcell., pag. 41.
  2. Voyez Mela, libr. I, cap. VII.
  3. Quod si ita est malè hic Africæ litus, et cespitem punicum posuit Marcellinus. Vales. in Marcellin., pag. 41.
  4. Voyez la rem. (F).
  5. Apul. de Deo Socratis.
  6. Dans le corps de cet article.
  7. In Statium, tom. II, pag. 818.
  8. In Eclog. VI, vs. 72.
  9. Lloyd, qui allègue contre ceux qui confondent les deux Mopsus, quod Argonautica expedi-