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MONTMAUR.

l’on fit et de sa personne et de ses actions. Les meilleurs poëtes, les meilleurs esprits du temps, se donnèrent le mot, et conspirèrent contre lui, et ils tâchèrent de renvier les uns sur les autres pour le tourner en ridicule ; de sorte qu’ils inventèrent une infinité de fictions : il faut donc prendre cela pour des jeux d’esprit et des romans, et non pas pour un narré historique (H). Balzac s’enrôla avec tant de zèle dans cette espèce de croisade, qu’il voulut bien prendre la peine de descendre du haut de sa gravité, afin de donner à ses pensées quelque air de plaisanterie badine. C’était pour lui une occupation plus fatigante, que ne l’eût été pour Scarron un écrit sérieux et guindé. Il fit plus, car il sonna le tocsin, il anima ses amis à prendre la plume, et à fournir leur quote part (I). C’est une chose assez remarquable que les suppôts de la faculté des arts de l’université de Paris n’accoururent point au secours de leur confrère Pierre de Montmaur. C’est un signe qu’il avait su se faire aimer ni des régens de collége, ni des beaux esprits. C’eût été un étrange tintamarre si ces régens eussent fait une contre-ligue en sa faveur, et se fussent mis en devoir de faire servir toute leur grammaire, et toute leur rhétorique en prose et en vers contre ses persécuteurs. Il y a des personnes de mérite qui condamnent le déchaînement de ceux-ci (K) : les passages que je rapporterai là-dessus contiennent des choses qui illustreront cet article. Montmaur logeait au collége de Boncour, et cela fournit une matière de plaisanterie (L). Il mourut l’an 1648 (M). Il publia quelque chose contre Busbec [a]. On dit qu’il avait cinq mille livres de rente, et qu’il était fort avare [b].

  1. Busbequium mortuum nec responsurum invasit. Menag. in Vitâ Mamurræ, pag. 30. Voyez la remarque (B).
  2. Suite du Ménagiana, pag. 200, édition de Hollande.

(A) Il a passé pour le plus grand parasite de son temps. ] Je ne citerai que quatre vers de M. Boileau.

Tandis que Pelletier, crotté jusqu’à l’échine,
S’en va chercher son pain de cuisine en cuisine,
Savant en ce métier, si cher aux beaux esprits,
Dont Montmaur autrefois fit leçon dans Paris [1].

(B) Il se rendit si odieux aux beaux esprits, qu’ils employèrent contre lui tous les traits.... de la satire la plus outrageante. ] Je tirerai du Valésiana le commentaire de ce texte. « Le professeur Montmaur aimait à faire bonne chère aux dépens d’autrui. Il s’était donné entrée chez tous les grands qui tenaient table ouverte, par quelques bons mots grecs et latins qu’il leur débitait pour son écot. Après avoir bien bu et mangé, pour divertir ses hôtes, il se mettait à médire de tous les savans tant vivans que morts. Et il n’y en avait pas un qui n’eût un coup de dent. La plupart des savans se crurent obligés de le célébrer comme il le méritait, et de lui rendre justice. Ce fut M. Ménage qui sonna pour ainsi dire le tocsin contre lui. Il composa sa Vie en latin, [* 1] et à la fin de cette pièce, il exhorta, par une petite épigramme de cinq vers [2], tous les savans à prendre les armes contre cet ennemi commun. Je [3] ne voulus pas être des derniers à prendre

  1. * Cette Vie n’est tout au plus que de 1636 ; la dédicace, du moins, est datée du 20 octobre de cette année ; Voyez ci-après la note ajoutée sur la remarque (I).
  1. Boileau, satire I, vs. 77.
  2. Vous la trouverez ci-dessous dans la remarque (I).
  3. C’est-à-dire Hadrien Valois.