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MILTON.

à une chose sur laquelle ils demeuraient en suspens, je veux dire à la mort du roi, Milton se retranche dans la négative, et prétend n’avoir travaillé sur ces questions qu’après le supplice de ce monarque.

(E) Comment il travaillait à l’histoire de sa nation. ] Il était, selon M. de Saumaise [1], un petit régent qui enseignait le latin dans Londres ; ludi trivialis magister Londinensis ; ludi magister in scholâ triviali Londinensi, de pedaneo magistro secretarius parlamenti rebellis factus. Mais comme dans le Cri du Sang royal, où l’on fait un court récit de ses aventures, on ne dit point qu’il régentât quelque classe, et que d’ailleurs il est apparent qu’il n’eût pas osé raconter fort en détail les divers états et les diverses occupations de sa vie, sans rien dire de sa régence, si elle eût été effective, il semble que les espions avaient mal servi M. de Saumaise. Cependant il ne faut point se fier à ces apparences : nous verrons ci-dessous [2], qu’il y avait quelque fondement dans ce qu’il disait.

(F) Sa réponse à... M. de Saumaise fit parler de lui par tout le monde. ] Je crois que tous les livres en prose que Milton avait publiés, avant que de réfuter M. de Saumaise, étaient en anglais. Il paraît néanmoins par cette réfutation, qu’il avait la langue latine fort en main : on ne peut nier que son style ne soit fort coulant, vif et fleuri, et qu’il n’ait défendu adroitement et ingénieusement la cause des monarchomaques ; mais, sans se mêler ici de prononcer sur la matière, je crois pouvoir dire que la manière dont il mania ce grand sujet devint très-mauvaise par le peu de gravité qu’il y garda. On le voit à tout moment, je ne dis pas étaler des railleries piquantes contre M. de Saumaise, car cela ne gâterait pas son ouvrage, et servirait puissamment à mettre de son côté les rieurs, mais faire le goguenard et le bouffon. Ce défaut règne plus visiblement dans ses deux réponses à M. Morus. Elles sont remplies de pointes, et de plaisanteries outrées : le caractère de l’auteur y paraît à nu : c’était un de ces esprits satiriques qui, à la vérité se plaisent beaucoup à ramasser tous les bruits qui courent au désavantage des gens, et à se faire écrire par les ennemis d’une personne toutes les médisances qu’ils en savent, mais qui se plaisent beaucoup plus encore à insérer ces médisances dans le premier libelle qu’ils publient contre quelqu’un. Sa Réponse à M. de Saumaise fut brûlée à Paris et à Toulouse, par la main du bourreau [3] ; ce qui ne servit qu’à lui procurer plus de lecteurs, Ce ne fut point le parlement de Paris, comme on l’assure dans le Cri du Sang royal, qui condamna l’ouvrage au feu, mais le lieutenant civil. Milton ne laissa point passer à son adversaire cette méprise [4]. Il tira une grande vanité de ce que la reine Christine, à ce qu’il prétend, fit tant de cas de ce livre, qu’elle passa même jusques à mépriser M. de Saumaise qui était alors à sa cour [5]. Il est certain que cet ouvrage fut lu avec une grande avidité, comme M. Ziegler, qui en parle d’ailleurs avec un mépris extrême, nous l’assure dans la préface de ses Exercitationes ad Regicidium Anglorum. L’anonyme qui publia une apologie, pro Rege et Populo Anglicano contrà Johannis Polypragmatici (alias Miltoni Angli) defensionem destructivam regis et populi Anglicani : [6], se plaint fort douloureusement de la destinée inégale de Saumaise et de Milton. On n’a pu qu’avec mille peines, dit-il, procurer une édition de l’ouvrage de Saumaise, mais celui de Milton s’est imprimé plusieurs fois. Quod ornatissimus Salmasius ad tuendum jus et honorem Caroli Britanniæ monarchæ, sceleratorum manibus interfecti, prudenter scripserat, unâ tantum impressione, idque, magnâ cum difficultate in lucem erupit : tanto odio hisce ultimis temporibus, veritatem mundus persequitur. Sed quod scelestissimus Miltonus, ad lacerandam famam regis defuncti, et subvertendum in subditos dominium hæreditarium, invidiosé elaboravit, illius tot sunt exemplaria,

  1. Resp., pag. 1, 3, 14.
  2. Dans la remarque (K).
  3. Defens. II, pag. 93.
  4. Ibidem.
  5. Ibidem, pag. 8, 52, 96.
  6. Je me sers de l’édition d’Anvers, 1651, in-12.