Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
450
MILTON.

ment accusé de choses qu’il est facile de prouver, les nie publiquement sans que ses parties adverses osent soutenir l’accusation ? Quelque ressource qu’on puisse trouver dans des subtilités de métaphysique, pour se défendre contre cette preuve de fausseté, il faut convenir que moralement parlant elle est convaincante : puis donc que Milton a pour lui une telle preuve, nous pouvons compter entre les mensonges qui ont été débités contre lui, ce qui concerne la prétendue sortie de Cambridge.

(C) Il écrivit sur le divorce. ] On voit par la seizième de ses lettres, écrite en 1654, qu’Aitzéma voulait faire traduire en flamand cet ouvrage de Milton, et que l’auteur aurait mieux aimé une traduction latine, ayant éprouvé que le peuple reçoit de travers tous les sentimens non communs. Il nous apprend là qu’il avait fait trois traités sur cette matière : le premier[1] sous le titre de Doctrine et Discipline du Divorce ; le second[2] sous le titre de Tetrachordon, où il explique les quatre principaux passages de l’Écriture qui concernent ce sujet ; le troisième[3] sous le titre de Colasterion, où il réfute un petit savant. On avait reproché à Milton[4] d’avoir traité de diabolique la doctrine de Jésus-Christ sur le divorce : telle qu’elle est expliquée par les pères, par les théologiens anciens et modernes, et par toutes les académies et les églises d’Angleterre, de Hollande et de France ; et que quant à lui, il prétend que le divorce doit être permis, lors même que la contrariété d’humeurs en est le seul fondement. Il ne répond que ces deux choses[5] : l’une, que le sens donné par le commun des interprètes aux paroles de l’Évangile, pour leur faire signifier qu’après un divorce fait en cas de nécessité, il n’est pas permis de passer à un second mariage, pourrait bien être une doctrine diabolique ; l’autre, qu’il n’est pas vrai que tous les pères, les théologiens anciens et modernes, toutes les académies, etc., soient d’accord sur la matière du divorce, et qu’il a fait voir dans son Tétrachordon que sa doctrine est celle de quelques pères, et celle de Bucer, de Fagius, de Pierre Martyr et d’Érasme. Voyez sa IIe. apologie à la page 58. Il est à noter que Milton, qui a tant particularisé plusieurs endroits de sa vie, ne nous a rien appris de son mariage. M. de Saumaise avait pourtant ouï dire, non-seulement, qu’il avait été marié, mais aussi qu’il avait répudié sa femme au bout d’un an, à cause qu’elle était de mauvaise humeur[6]. En un autre endroit il soupçonne que la jalousie, ou même le panache s’en mêlèrent[7]. Milton n’a donc pas plaidé pour le divorce et pour la polygamie, avec le même désintéressement que Lysérus[8] ; son intérêt personnel le faisait agir [9].

(D) Il écrivit sur la Thèse générale du droit des peuples contre les tyrans. ] C’est apparemment le livre dont il fait mention dans sa IIe. Apologie[10], lorsqu’il parle ainsi : id fusiùs docui in eo libro qui nostro idiomate Tenor sive Tenura regum et magistratuum inscriptus est… Illic ex Luthero, Zuinglio, Calvino, Bucero, Martyre, Paræo, citantur ipsa verbatim loca, ex illo deniquè Knoxo quem unum me Scotum ais innuere, quemque hâc in re reformatos omues præsetim Gallos illâ ætate condemnâsse. Atqui ille contrâ quod ibi narratur, se illam doctrinam nominatim à Calvino, summisque aliis eâ tempestate theologis, quibuscum familiariter consueverat, hausisse affirmat. Quant à ce que l’auteur du Clamor regii Sanguinis accuse Milton[11] d’avoir écrit aux parlementaires, pour les déterminer

  1. Imprimé à Londres, en 1644.
  2. Imprimé à Londres, en 1645.
  3. Imprimé en 1645.
  4. Dans une préface de George Crantzius, docteur en théologie, au devant de la IIe. Apologie de Milton, édition de la Haye, 1654. Voyez aussi Clam. reg. Sang., pag. 8.
  5. Defensio pro se, pag. 40, edit. Londin., 1655, in-12.
  6. Uxorem suam post annum à nuptiis dicitur res suas sibi habere jussisse ob graves tantùm mores. Salmas., Resp. ad Milton., pag. 253. Voyez aussi pag. 3.
  7. Si eunuchi omnes fuissent qui domum tuam, frequentabant, uxorem fortassè non repudiasses. Ibidem, pag. 23,
  8. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, mois d’avril 1685.
  9. Voyez, ci-dessous, la remarque (L).
  10. Pag. 101.
  11. Pag. 9.